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29/06/2022 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Le marchand d’art allemand Walter Andreas Hofer joua un rôle de premier plan dans le système nazi de spoliation artistique entre 1940 et 1944. Proche de Hermann Göring, il prit part à son commerce d’œuvres d’art confisquées, et fit passer un certain nombre de pièces du marché français dans le Reich allemand.

La carrière d’un marchand d’art

Walter Andreas Hofer est né le 10 février 1893 à Berlin. Après le baccalauréat, il fréquenta une école de commerce, puis prit part à la Première Guerre mondiale, de 1914 à 19181. Il fit ses premiers pas dans le négoce d’art en 1920, en entrant au service de la galerie munichoise Bachstitz. Peu de temps après, le propriétaire, Kurt Walter Bachstitz (1882-1949), qui était juif, épousa la sœur de Hofer. Celui-ci devint au cours des années suivantes un proche collaborateur de son beau-frère, qui lui confia en 1922 la direction de sa succursale hollandaise à La Haye. En 1928, cependant, il quitta la galerie sur un désaccord et rentra en Allemagne. Durant la crise économique mondiale, il étudia l’histoire de l’art pendant deux ans afin d'approfondir ses connaissances en la matière. De 1930 à 1934, il travailla à Lausanne comme assistant du marchand d’art Gottlieb Reber (1880-1959)2. Il revint à Berlin l’année suivante et ouvrit son propre négoce. En 1936, il fit la connaissance de Hermann Göring par l’intermédiaire du Dr Moritz Julius Binder (1877-1947), ancien directeur du Zeughaus-Museum [musée de l’Arsenal] de Berlin. Il épousa peu après Bertha Fritsch, et de leur union naquit une fille en 19383. Parmi les premiers tableaux que Hofer vendit à Göring figure une Madeleine pénitente du néerlandais Jan van Scorel (Mü 6774), œuvre qui fut ensuite remise à Adolf Hitler, probablement en cadeau4.

Bien qu’il n’appartînt pas au milieu traditionnel des marchands d’art berlinois, Hofer réussit à se forger un nom dans le cercle des hauts dignitaires nazis pendant les années précédant la Seconde Guerre mondiale. Sa femme, Bertha Hofer-Fritsch, étant restauratrice, il était en mesure d’offrir à ses clients toute la chaîne logistique – conseil, vente et réfection d’œuvres d’art –, multipliant ainsi ses possibilités de réaliser des bénéfices. Parallèlement, il était en contact étroit avec les plus éminents spécialistes de l’époque, qu’il consultait sur des questions d’attribution d’œuvres nouvellement acquises. Une spécificité de sa pratique commerciale consistait à offrir régulièrement des cadeaux à ses bons clients. C’est ainsi que Göring reçut en présent au moins cinq pièces jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parmi elles, on mentionnera l’Ange musicien (RM 77/Mü 6305), tableau flamand datant de 1520 environ, que Hofer offrit à Emmy, la femme de Göring, à Noël 19385.

Le fournisseur des puissants du « Troisième Reich »

Le registre de Hofer, qui a été conservé, fait état de 34 ventes à la Chancellerie du Reich pour les seules années 1938 et 19391. Elles dépassent en volume l’ensemble des achats réalisés durant la même période pour le compte de la Chancellerie par le marchand d’art préféré de Hitler, Karl Haberstock2. Cette collaboration avec la Chancellerie du Reich s’interrompit toutefois lorsque Hitler nomma le 20 juin 1939 Hans Posse à la tête de l’unité chargée de constituer la collection du nouveau musée à Linz (la « Mission spéciale Linz »)3. Mais plus encore que Hitler, c’est le contact avec Göring qui, au cours des années suivantes, fut pour Hofer véritablement décisif. Habile vendeur, le marchand d’art sut probablement s’attirer les faveurs de Göring et s’insinuer dans son univers de pensée, s’assurant ainsi peu à peu une fonction que l’on ne saurait qualifier autrement que de « fournisseur de la Cour ». Jusqu’en 1945, il fournit au Reichsmarschall 110 objets d’art, parmi lesquels 83 tableaux et 14 sculptures, mais également des tapisseries et des vitraux historiques4. La position de Hofer dans l’entourage de Göring n’échappa pas à ses contemporains. Bientôt, de nombreux représentants du « Troisième Reich » acquirent des œuvres d’art chez Hofer pour les offrir au Reichsmarschall. Hofer connaissant bien les goûts de son client principal, il était capable, plus qu’aucun autre marchand de l’époque, de fournir les présents les plus sûrs de lui plaire5.

Parmi les œuvres que Hofer livra directement à Göring, citons Vénus et Amour de Francesco Albani (RM 1079/ Mü 6360) et Vénus et Amour sur un dauphin de Hans Thoma (RM 175/Mü 5539)6. D’autres parvinrent à Göring sous forme de présents procurés par Hofer à des tiers : Le Christ et la femme samaritaine au puits de Lucas Cranach l’Ancien (RM 623 / Mü 5924), La Sainte Famille dans un paysage de Marten van Heemskerck (aujourd’hui attribué à Jan Vermeyen) (RM 686 / Mü 5880) et Paysage avec quatre paysans de David Tenier (RM 678 / Mü 5911)7.

Affaires en France

Après l’invasion du Benelux et du Nord et de l’Ouest de la France par la Wehrmacht en 1940, Hofer fit partie des premiers marchands d’art allemands à bénéficier d’une autorisation de voyager délivrée par Göring, grâce à laquelle il put se rendre en zone occupée afin d’y acquérir des œuvres pour le compte de hauts dirigeants nazis. C’est ainsi qu’avec le marchand d’art Josef Angerer, qui comptait également parmi les fournisseurs privilégiés de Göring, Hofer se rendit dès l’automne 1940 à Paris pour y dénicher des œuvres à vendre. Tous deux accompagnèrent également Göring lors de la première visite qu’il effectua au Jeu de Paume en vue d’examiner des œuvres confisquées1. Entre 1940 et l’été 1944, Hofer rapporta à Göring au total 46 objets de ses voyages en France, dont seulement 18 ont une origine connue sur le marché de l’art français2. Parmi eux, mentionnons la Vierge en prière de Colijn de Coter (RM 1192 / Mü 6172) et Le Souffleur à la pipe de Georges de La Tour (RM 1072 / Mü 5538 / MNR 10). Ses principaux fournisseurs étaient les marchands d’art Camoin, Roger Dequoy, Martin Fabiani et Allen Loebl. Hofer acheta en outre quelques œuvres auprès de Victor Mandl, du comte Avogli-Trotti, de Rudolf Holzapfel, de Joseph Leegenhoek et d’Achille Boitel, ainsi que de Hans Wendland, citoyen allemand établi en Suisse mais qui séjourna régulièrement en France pendant la guerre3. Hofer se rendait systématiquement chez les galeristes parisiens pour négocier avec eux avant la visite de Göring. On peut donc supposer qu’il était aussi en relation avec les fournisseurs français directs du Reichsmarschall, parmi lesquels les marchands Brimo de Laroussilhe, Charles Michel, Jean Schmit et Jean-Louis Souffrice. Les factures des ventes directes à Göring furent réglées dans un premier temps par le marchand d’art Angerer, puis par le représentant du Reichsmarschall à Paris, le général Friedrich Hanesse. Avec le concours de Hofer, Göring acquit en France des œuvres d’art pour une valeur d’environ 12 à 15 millions de francs4.

Durant toute sa vie professionnelle, Hofer veilla à préserver son indépendance et évita d’entrer en collaboration étroite avec d’autres marchands5. C’est probablement la raison pour laquelle il ne conclut aucune entente avec des partenaires commerciaux français en vue de procurer au Reich allemand des œuvres d’art provenant de France. Cette même volonté d’indépendance motiva son refus de percevoir un traitement fixe lorsque Göring, en mars 1941, le nomma responsable de sa collection d’art. Il exerça cette activité à titre honorifique, mais sut exploiter économiquement le prestige qui était attaché à la fonction de « directeur des collections artistiques du Reichsmarschall », et profita probablement d’un certain nombre d’offres dont son client principal n’avait pas connaissance6. Il veilla jalousement sur sa position auprès de Göring, ce qui le mit, en sa qualité de marchand doté d’une expérience internationale, en concurrence permanente avec Bruno Lohse, historien de l’art plus diplômé que lui, dans la recherche d’œuvres d’art pour le compte du Reichsmarschall7.

Implication dans le pillage des œuvres

Au vu de la position de confiance exceptionnelle dont il jouissait auprès de Göring, on ne s’étonnera pas que Hofer ait été très impliqué dans les 18 opérations d’échanges réalisées par le Reichsmarschall concernant des œuvres issues de collections juives. Avec Harald Turner, de l’administration militaire allemande, Hofer, dès novembre 1940, organisa au Jeu de Paume la première exposition d’œuvres d’art confisquées à des propriétaires juifs, exposition que visita Göring. Jusqu’à la fin de 1942, il prépara chacune des visites du Reichsmarschall dans les locaux de l’ERR [Unité d’intervention Rosenberg]1. Il examinait les œuvres préalablement réquisitionnées de maîtres de la modernité classique et opérait parmi elles une première sélection, que Göring faisait ensuite échanger contre des maîtres anciens pour sa collection personnelle. Hofer alla même jusqu’à formuler des préconisations concernant la livraison de collections juives à l’ERR. C’est ainsi qu’il proposa en 1941 de transférer la collection de Paul Rosenberg à Paris, après que le Devisenschutzkommando [détachement pour la protection des devises], une unité d’enquête de la douane allemande, eut confisqué celle-ci dans une banque de Bordeaux. Le but était, là encore, d’identifier parmi les œuvres de cette collection un certain nombre de pièces susceptibles d’être échangées2. Par ailleurs, après la guerre, les enquêteurs alliés soupçonnèrent Hofer d’avoir tenté d’exercer un chantage sur le peintre Georges Braque pour le forcer à vendre un tableau de Lucas Cranach l’Ancien à Göring3.

Hofer n’était pas seulement impliqué dans la préparation des trocs, il prenait aussi part à leur mise en œuvre. Il mena ainsi les négociations avec les marchands suisses Theodor Fischer et Hans Wendland concernant l’échange de tableaux confisqués contre des œuvres de maîtres anciens pour le compte de Göring. Certaines œuvres confisquées passèrent en Suisse par la valise diplomatique, où Hofer se chargea ensuite de les faire parvenir aux marchands4. Interrogé par des enquêteurs américains, Hofer protesta après la guerre qu’il avait clairement informé ses partenaires commerciaux de l’origine juive des œuvres5. Au vu de son implication dans ces affaires, les interrogateurs établirent cependant qu’il avait joué un rôle de premier plan dans le commerce d’œuvres spoliées6.

Après la mort de Hans Posse, Hofer parvint également à nouer des liens commerciaux avec le « Sonderauftrag Linz » [Mission spéciale Linz] de Hitler. Le nouveau responsable du Sonderauftrag, Hermann Voss, appartenait au cercle d’experts avec lesquels il était en dialogue. En 1943, il fit don au Sonderauftrag du Forum romain, avec le Colisée à l’arrière-plan, tableau de l’école de Panini (Linz 3317 / Mü 66517). Mais avec l’évolution de la guerre, les ventes notables se tarirent. Hofer fut enrôlé dans la Wehrmacht en janvier 1944. Au début, il put continuer de s’habiller en civil en tant que soldat de la Luftwaffe. Mais à partir d’octobre 1944, il dut rejoindre Carinhall, la résidence de campagne de Göring, pour y accomplir son service à mi-temps, et consacrer le temps restant à l’inventaire de la collection du Reichsmarschall8. En avril et mai 1945, il organisa l’évacuation de la majeure partie de la collection. Les œuvres partirent en train, tout d’abord à Veldenstein et Neuhaus (Franconie), puis à Berchtesgaden et Unterstein (Haute-Bavière), où la collection tomba finalement entre les mains des alliés. Après la prise de Berchtesgaden, Hofer se présenta de lui-même pour aider les troupes américaines au nouvel inventaire de la collection, qui avait été amputée de quelques œuvres lors du pillage, par des soldats alliés et la population de Berchtesgaden, des wagons qui contenaient les objets d’art de Göring9.

Du fait de sa position éminente parmi les fournisseurs de Göring, Hofer se retrouva bientôt dans le viseur des enquêteurs américains. Comme beaucoup d’autres personnes impliquées dans la spoliation d’œuvres d’art en Allemagne, il fut interrogé à l’été 1945 à Altaussee (Autriche) sur la nature de ses activités pendant le « Troisième Reich », où s’entremêlaient confiscations et acquisitions légales d’œuvres d’art. Hofer commença par nier toute participation aux opérations d’échange d’œuvres confisquées. Une de ses stratégies de défense consistait à incriminer d’autres marchands pour se mettre lui-même hors de cause10. Mais confronté aux témoignages d’autres collaborateurs du ERR détenus au même moment, il fut bientôt contraint de reconnaître son implication dans ces affaires. Les interrogatoires en Autriche prirent fin pour lui le 15 septembre 1945. Les Américains l’envoyèrent dans la foulée à Nuremberg afin qu’il témoigne contre Göring et d’autres grands criminels de guerre11. Mais il ne fut pas interrogé et se retrouva dès le début 1946 dans le camp d’internement civil de Hersbruck, dans le Pays-de-Nuremberg. C’est là, en ouvrant le journal, que Hofer découvrit les activités du Central Collecting Point (CCP) de Munich, organisme chargé de restituer les œuvres d’art spoliées par les nazis en Allemagne et à l’étranger12.

Nouvelle ascension après 1945

À en croire les témoins de l’époque, Hofer ne parlait pas très bien anglais, mais il possédait une excellente mémoire. Il fut capable d’identifier au premier coup d’œil l’origine des œuvres qui illustraient l’article sur le CCP et en fit part au bureau américain. Fort de ses vastes connaissances, il fut transféré en août 1946 à Munich, où, pendant deux semaines, il identifia au dépôt des œuvres d’origine inconnue. La collaboration de l’ancien marchand d’art fut aux yeux des Américains si fructueuse qu’ils voulurent poursuivre le travail avec lui. Comme il n’avait par ailleurs jamais été membre du Parti et pouvait fournir la preuve qu’il avait aidé plusieurs personnes victimes des persécutions nazies, il fut remis en liberté en novembre 1946. Parmi les personnes qu’il avait aidées figuraient son beau-frère Kurt Walter Bachstitz et l’historien de l’art Max J. Friedländer (1867-1958)1. Les Américains l’assignèrent à résidence à Unterstein, où habitait sa femme. Au cours des deux années suivantes, il se rendit régulièrement à Munich pour y déterminer la provenance de nouvelles œuvres. Son assignation à résidence fut levée au milieu de l’année 1948, et Hofer fut à nouveau un homme libre2.

La période passée au Collecting Point fut pour Hofer déterminante, car il y noua des contacts qui s’avérèrent importants pour sa carrière après-guerre. Il parvint ainsi à établir une relation de confiance avec la conservatrice française Rose Valland, qui était chargée de la récupération des biens artistiques spoliés. Il fit la connaissance d’historiens de l’art allemands qui travaillaient au Collecting Point pour les Américains. La rencontre la plus importante fut sans doute, à cet égard, celle d’Eberhard Hanfstaengl (1886-1973), le directeur général des Collections de peintures de l’État de Bavière, qui depuis août 1948 dirigeait pour le Land de Bavière l’organisme qui succéda au Collecting Point3. Grâce aux liens qu’il avait établis avec les alliés, il réussit à échapper à un procès intenté en France contre des responsables allemands des spoliations artistiques. En 1950, finalement, un tribunal de Paris le condamna par contumace à dix ans de détention, jugement qui n’eut guère d’effet sur la suite de son existence. Lors des procédures de dénazification, il fut classé « Mitläufer » [suiviste] par les autorités4.

La même année, Hofer reprit à Munich ses activités de marchand d’art. Il avait réussi à récupérer certaines parties de sa collection, qui se trouvaient à la fin de la guerre en zone d’occupation américaine5. Le hasard voulut qu’il habitât à présent dans le même immeuble que Karl Haberstock, son concurrent de longue date, qui avait été autrefois le fournisseur favori de Hitler. Mais à la différence de Haberstock, Hofer parvint à prendre pied commercialement dans la capitale bavaroise. Il reprit ses voyages d’affaires en Europe à peine quelques années plus tard et poursuivit ses activités jusqu’à sa mort en 19756. Grâce à ses témoignages, la jeune République fédérale parvint à débouter des demandes d’indemnisation venues de Suisse : c’est en vain que les autorités de Berne tentèrent de rejeter sur Bonn les demandes de compensation déposées par le marchand Theodor Fischer et le collectionneur Emil G. Bührle pour les pertes entraînées par la restitution d’œuvres volées7.

Reste que Hofer continua probablement de tremper dans des transactions douteuses après la guerre. En 1997, Le Savant aiguisant sa plume, tableau de Salomon Koninck provenant de la collection Schloss (Schloss 138) que les nationaux-socialistes avaient fait confisquer en France en 1943, refit surface au Chili. D’après les indications du chercheur américain Jonathan Petropoulos, des inspections menées dans la maison de vente mandatée auraient révélé que ce tableau avait été acheté par Hofer à Munich au début des années 1950 avant de faire le voyage vers l’Amérique du Sud8.