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13/12/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Collaborateur de l’équipe dirigeante du magasin de textiles et meubles Quantmeyer & Eike, c’est en tant qu’agent d’Hermann Göring, et, qui plus est, l’un des plus importants, que Josef Angerer se rendit à plusieurs reprises à Paris, afin d’y débusquer des œuvres d’art et surtout des tapisseries pour le Reichsmarschall. C’est dans ce contexte qu’il participa à la réquisition du fonds de la galerie des frères Bacri et usa de sa position pour exercer des pressions sur des vendeurs.

Ascension professionnelle dans la branche du textile

Issu d’un milieu modeste de la région de Berchtesgaden, Josef Angerer, dit « Sepp », arriva à la fin des années 1920, à Berlin, où il trouva un poste de vendeur dans la société de commerce de détail de textile Quantmeyer & Eike1. Ce fut notamment grâce à son mariage contracté en 1931 avec la nièce par alliance d’Hansjoachim Quantmeyer (1894-1945), propriétaire du magasin depuis 1934, qu’Angerer put être promu mandataire de l’entreprise jusqu’à devenir, pour finir, son second gérant en 1939. On sait peu de choses sur sa formation et ses premières années. On sait toutefois qu’il acquit de vastes compétences linguistiques en anglais, en français et en arabe, qui lui profitèrent plus tard, lorsqu’il devint marchand de tapis, pour entretenir des relations à l’international. Si ses voyages à travers l’Europe et l’Asie firent de lui un expert distingué dans le domaine de la tapisserie des Gobelins et des tapis en général, c’est en fin commerçant qu’il sut nouer des liens étroits à l’échelle internationale, en Suisse, en Italie, en France, en Perse, jusqu’en Amérique du Sud2.

Dès le milieu des années 1920, Angerer devint un sympathisant du national-socialisme, il était également un membre actif des confréries « Kaiserjäger Bund » et « Bund Oberland », qui se trouvaient en étroite relation avec Hitler et Göring.3 Quelques semaines après la prise de pouvoir des nationaux-socialistes, le 1er avril 1933, Josef Angerer devint membre du NSDAP4.

Des commandes pour Göring

En 1934, l’« entreprise nationale-socialiste modèle », qu’était Quantmeyer & Eicke, reçut ses premières commandes importantes venues des dirigeants nationaux-socialistes1. Ainsi la société se vit-elle confier la décoration de la nouvelle chancellerie. Mais elle recevait également des commandes venues de personnalités emblématiques Albert Speer ainsi qu’Hermann Göring, qui fit décorer sa villa de fonction à Berlin et sa résidence de campagne dans l’Uckermark avec de somptueux tapis. C’est ainsi que fut établi le premier contact entre Göring et Hansjoachim Quantmeyer ainsi que Josef Angerer, qui allait par la suite ne cesser de s’intensifier. À partir de 1937, Angerer se mit avec l’accord de Hansjoachim Quantmeyer aussi à travailler directement pour Hermann Göring2, même si ses services se trouvaient limités par ses obligations au sein de la société. Il n’en devint pas moins – d’après Walter Andreas Hofer, qui, à dater du mois de mars 1941, accéda à la fonction de « directeur de la collection d’art du Reichsmarschall » – le principal agent artistique de Göring3. Les domaines de compétences des experts travaillant pour Göring étaient clairement répartis4. Alors que la sélection des tableaux incombait essentiellement à Hofer, qui pouvait se prévaloir d’une vaste culture générale mais n’était spécialiste d’aucun domaine en particulier, la recherche des Gobelins et des tapis, leur évaluation, les propositions de prix étaient le fait d’Angerer qui, lui, était compétent en matière de textile5.

Les activités d’Angerer à Paris

Avant l’éclatement de la guerre déjà, Angerer, en tant que représentant de Quantmeyer & Eicke, avait fait l’acquisition d’au moins une tapisserie qui était entrée dans la collection de Göring1. Il réalisa également l’achat d’une peinture – la représentation d’une naïade de Lucas Cranach l’Ancien – dès 1938 à Paris. Le tableau, qui avait été pris en charge par la Luftwaffe, pour en faire présent à Göring, avait été acheté auprès des frères Bacri2.

Angerer fut certainement impliqué dans la confiscation de pans de la collection de ces marchands d’art juifs qui eut lieu quelques jours seulement après l’entrée des Allemands dans Paris. Selon le rapport du concierge, qui gérait l’immeuble sis au 140 boulevard Haussmann, l’adresse de l’habitation de la galerie des deux marchands qui venaient tout juste de fuir, Angerer se serait rendu sur les lieux le 1er juillet 1940, accompagné de trois commissaires3. À cette époque, la galerie n’avait pas d’administrateur officiel. De nombreuses œuvres furent emportées sous la surveillance d’Angerer alors même qu’elles n’avaient pas été systématiquement évaluées. Angerer revint sur les lieux encore trois autres fois jusqu’à la mi-août, mais ces fois-ci, en compagnie d’experts, afin de faire évaluer les objets avant de les emporter. Lui-même indiqua dans sa déclaration sous serment qu’il avait reçu par l’intermédiaire d’Harald Turner (1891-1947), le chef de l’administration militaire à Paris, des listes d’objets avec pour ordre de faire enlever ces pièces stockées dans la Bacri. Et il aurait accompli cette mission. Au cours d’un séjours plus tardif à Paris – selon ses propres dires, Angerer séjourna de quatre à cinq fois à Paris4 – il aurait en outre reçu l’ordre de verser le paiement de ces objets sur un compte dans une « succursale de la Reichsbank ». C’est ainsi, comme le dit Angerer,  que « s’est conclue mon action auprès de la société Baccri (sic). Je n’ai pas été mêlé aux pillages ultérieurs de la société Baccri (sic), puisque je ne faisais pas partie de l’Unité d’intervention Rosenberg5. » Au mois d’août 1940, les objets d’art qui se trouvaient encore dans l’immeuble des frères furent saisis par l’ Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) [Unité d’intervention du gouverneur du Reich Rosenberg6. Quatre des œuvres qui furent dérobées chez les Bacri et retrouvées dans la collection Göring, furent identifiées après la guerre et restituées à la France7.

Outre cette implication directe dans la confiscation de biens juifs, Angerer eut l’occasion de visiter avec Hofer les dépôts de biens artistiques juifs spoliés, que le Kunstschutz [service de « protection du patrimoine »] avait été obligé de créer sur ordre d’Harald Turner8. Angerer et Hofer venaient y rechercher des objets pour Göring et les faisaient acheminer au Jeu de Paume afin de pouvoir les présenter au Reichsmarschall et le laisser choisir lors de sa prochaine visite9. Le marchand d’art Bruno Lohse, nommé à l’ERR par Göring pour représenter ses intérêts, préparait alors l’exposition des objets confisquée au Jeu de Paume10. Josef Angerer et Andreas Hofer accompagnèrent Göring à plusieurs reprises, par exemple le 5 février 1941, lorsqu’il alla voir les peintures confisquées autrefois propriété de Juifs qui avaient été rassemblées et exposées là. Hofer indiqua par la suite qu’au moins au début, Angerer avait la charge d’organiser le transport des œuvres d’art spoliées que Göring s’était choisies après avoir vu en tout 14 expositions organisées spécialement pour lui11. D’une note, de la secrétaire de Göring, Gisela Limberger, il ressort qu’Angerer, par exemple, fut en charge d’emporter à Berlin les œuvres des impressionnistes français présentes au Jeu de Paume qui avaient été prévues pour faire l’objet d’un échange avec le Eugenio Ventura (1887-1949) à Florence12. Pour ce faire, Angerer utilisait des sociétés de transport, mais il pouvait aussi comme le faisait Hofer, profiter du voyage en train de Göring et emporter sur lui quelques objets isolés. Lors de ses voyages, il transporta toujours sur lui une lettre dont il ressortait qu’il voyageait pour affaires au service du Reichsmarschall13.

En plus d’opérer des sélections dans les dépôts d’art spolié, Angerer et les autres agents artistiques travaillant au service de Göring recherchaient des pièces intéressantes pour sa collection sur le marché de l’art français. À cette fin, Göring les convoquait durent ses visites à Paris normalement à l’Hôtel Ritz ou à sa base au Quai d’Orsay, pour leur faire part de ses désirs d’achat. Le temps que Göring consacrait à l’enrichissement de sa collection lors de ses séjours à Paris, est visible sur son agenda. D’après celui-ci par exemple, il arriva le 14 mars 1942 à 11 h 00 à Paris ; à 11 h 30, il reçut Angerer, Hofer et Walter Bornheim pour un rapport. Le même soir, Hofer et Angerer se trouvaient encore une fois chez lui entre 18 et 19 heures. Le lendemain, il y eut de nouveaux entretiens de 11 à 12 heures ainsi que de 18 à 19 heures avec Angerer, Hofer et Bornheim. À 19 h 00, Göring repartir par un train spécial à Berlin14.

Les devises étrangères nécessaires aux achats, Angerer les recevait soit des différents bureaux de la Luftwaffe soit du bureau de l’état-major, qui, parfois, réglait directement les factures15. L’une des acquisitions les plus importantes et les plus chères que fit Hofer pour Göring fut l’ensemble de 7 tapisseries représentant des scènes de la vie de Charles V ; il lui avait été parvenu par l’intermédiaire de Gabrielle Chesnier-Duchesne16 et il l’avait présenté à Göring dans le cadre d’une exposition-vente organisée à l’intention de ce dernier dans la galerie Charpentier sans doute à l’initiative de Josef Mühlmann17 Angerer acheta pour Göring au prix de 4 000 000 F (dont il retenait pour lui-même 500 000 F au titre de commission), les tapisseries qu’il avait acquises auprès du marchand Henri Aumaitre un an auparavant pour 500 000 F,18 Comme Göring apprit l’énorme marge de bénéfice que toucha Aumaitre au cours de cette vente, ce dernier dut par la suite rembourser 800 000 F19. Angerer exerçait dans ce cadre une pression considérable sur l’intermédiaire Gabrielle Chesnier-Duchesne, et prit, selon le rapport de cette dernière, deux tableaux de sa galerie. Il les lui paya cependant bien plus tard20.

Les autres marchands français avec lesquels Angerer était en contact et auprès desquels il faisait des acquisitions pour le compte de Göring, étaient la galerie Brimo de Laroussilhe, Paul Gouvert (1880 – 1959) , M. u. R. Stora ainsi que Jean-Louis Souffrice21. Une connaissance relativement proche lui permit apparemment de nouer un contact avec le marchand d’art américain Tudor Wilkinson (1879-1969), 18 Quai de Alliance, lequel étudiait pour lui le marché parisien et dont il réussit à faire libérer la femme anglaise d’un camp de concentration sans doute aidé en cela par Göring22.

Au cours de l’année 1943,le lien commercial entre Angerer commencèrent à se distendre. Si, au départ, ce fut surtout Angerer qui fournissait pour le compte de Göring, des tapisseries flamandes23, c’était désormais Hofer à qui incombait de plus en plus la charge de fournir les Gobelins et les tapis.

Après la guerre

Dès septembre 1941, Angerer, qui entretenait de bonnes relations avec des marchands d’art italiens de renom et y était aussi un intermédiaire essentiel pour Göring, installa sa femme et ses deux enfants à Florence afin de les protéger des bombardements au-dessus de Berlin, qui ne cessaient de prendre de l’ampleur. Au mois de juillet 1943, la famille retourna en Allemagne et s’installa dans la maison Erhard à Maria Gern près de Berchtesgaden. C’est ici qu’Angerer fut appréhendé vers la fin de la guerre par les autorités militaires américaines et temporairement emprisonné1. Angerer fut entendu les 14 et 20 novembre 1945, à Munich, dans le cadre des recherches sur les activités liées à la spoliation de l’art de Göring2. En tant que membre du NSDAP, Josef Angerer fut soumis à une procédure de dénazification en décembre 1946. En raison de ses interventions réitérées en faveur de victimes des persécutions politiques et racistes, qu’il aurait réussi à faire libérer des camps, la Spruchkammer de Berchtesgaden le déclara innocenté3.

Dans l’après-guerre, Angerer s’efforça de créer un nouveau commerce à son propre compte à Berlin et soutint également les membres de la famille Quantmeyer dans leurs tentatives de refonder leur société d’importation de textiles à Duisburg. Les deux entreprises périclitèrent4. En 1950, Angerer s’installa avec sa famille à Friedrichshafen sur les bord du lac de Constance, où il travailla dans la fabrication de textile. Entre 1953 et 1959, il vécut à Beyrouth et représenta là les intérêts de la société Stinnes au Liban. Il mourut le 17 juin 1961 à l’âge de  61 ans à Friedrichshafen sur les bords du lac de Constance5.