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Expert en art, tchécoslovaque de confession juive, Mandl tomba sous l’emprise de Maria Almas-Dietrich sous l’Occupation. Il devint l’un de ses principaux agents sur le marché parisien et, pour cette raison, le volume de ses ventes reste difficile à estimer.

Un réfugié tchécoslovaque à Paris

De nationalité tchécoslovaque, Victor Mandl naquit à Moscou le 27 octobre 1890, dans une riche famille qui perdit sa fortune au moment de la Révolution russe en 1917. Son père, Ludwig Mandl marié à Albine Stockinger, avait constitué une importante collection avant 1914, acquérant une grande partie des œuvres d’art à Paris. Il s’était par exemple procuré auprès de la galerie Kleinberger des tableaux de Nicolas Maes, d’Albert Cuyp, de Jan van Goyen, d’Adriaen Brouwer, de Jan Steen, de Rembrandt van Rijn, de Jacob van Ruisdael, ainsi que des bois sculptés du XVe siècle de l’école de Strasbourg et de l’école du Rhin. Entre 1912 et 1914, Ludwig Mandl était domicilié à Wiesbaden en Allemagne1.

Vers 1924, Victor Mandl devint « appréciateur d’art », peu de temps après son arrivée à Berlin2. En 1938, Mandl fuit la Tchécoslovaquie en raison de l’avancée du régime nazi, étant originaire de Bohême-Moravie. Réfugié dans la métropole française, il y retrouva une partie des tableaux laissés par son père et fit venir de Suisse et de Hollande d’autres objets d’art, dans l’intention de « mettre à profit ses relations et ses connaissances dans le domaine de l’art ». Trop âgé pour être mobilisé dans la légion tchèque en 1939, il resta à Paris et exerça en tant qu’expert en tableaux, 9 rue du Boccador, dans le VIIIe arrondissement de Paris, sans ouvrir de commerce3.

Au moment de l’exode, il s’enfuit à Saint-Palais en Charente-Maritime puis revint à Paris au mois d’août 1940 où il resta caché. Il témoignait après-guerre :

« Depuis cette époque jusqu’au début de 1941 je ne me suis livré à aucune opération commerciale, en raison tant de ma nationalité d’origine tchéco-slovaque [sic] que de ma situation de ½ juif, je redoutais les allemands [sic]4. »  

En 1941, il obtint finalement une patente de marchand de tableaux, bénéficiant de nouvelles protections et appuis5.

Un expert en art sous l’emprise d’Almas Dietrich

Au début de l’année 1941, Maria Dietrich, qu’il avait connue à Munich en fréquentant la galerie Almas, vint en effet le voir à son domicile, pour acquérir des tableaux de sa collection personnelle. Elle lui demanda de lui servir d’intermédiaire pour en rechercher d’autres. Elle revint ensuite régulièrement à Paris pour de courts séjours et se servit à différentes reprises du nom de Victor Mandl pour obtenir des licences d’exportation et des devises en établissant de fausses factures.

Mandl exerçait alors sous la menace, comme la Cour de justice le reconnut après-guerre : « on peut admettre que Mandl, de religion juive, a subi la contrainte de la femme Dietrich qui bénéficiait à raison de ses relations personnelles avec Hitler d’un pouvoir redoutable… »1. Michel Martin écrivait dans son rapport à propos de la marchande :

« D’un caractère très autoritaire et passionnée des affaires, Maria Dietrich usait ouvertement de l’appui du Führer pour se faire faciliter ses opérations commerciales par les autorités allemandes en France. À partir de 1942, elle est venue à peu près régulièrement à Paris tous les deux mois pour de courts séjours. Elle achetait à des marchands avec lesquels elle était déjà en relation avant la guerre, comme Rochlitz et Cailleux. Comme les autres acheteurs allemands, Maria Dietrich ne se faisait pas faute, pour contraindre ses vendeurs à lui céder leur marchandise, d’user de moyens de pression, notamment vis-à-vis des marchands ou des collectionneurs que leur nationalité ou leur religion israélite exposait à des mesures d’exception de la part des Allemands ; tel était le cas de Mandl, qu’elle tenait à sa discrétion. »2

Dans ses interrogatoires devant la Cour de justice de la Seine, Mandl expliquait comment la marchande lui fit établir des « factures de complaisance » dans le but d’éviter par exemple un remboursement suite au renvoi d’un tableau à sa galerie ou pour obtenir de l’argent afin de pouvoir faire ses achats à Paris3. Plusieurs autorisations de commande furent ainsi délivrées à Dietrich avec l’indication de Mandl comme vendeur sans que ce dernier n’en soit informé et qu’il ait réellement participé aux transactions.

Parmi les tableaux facturés par Dietrich, sans avoir été vendus par Mandl, ce dernier mentionnait pour l’année 1944 « Deuster (éc.holl.), deux personnages dans un intérieur », « Fumeur (Harlem) »  et « van der Pluym (éc.all.) », tableaux qui selon lui provenaient de la collection Schloss, spoliée par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg4. Sur les transactions opérées en toute conscience avec des tiers, Mandl reçut des commissions. Ce fut le cas lors de la vente de trois tableaux de Hubert Robert par Charles Michel à Dietrich en novembre 1941, transaction pour laquelle Mandl reçut 10 800 F « à titre d’un tiers de commission » de Dietrich5. Ces tableaux n’avaient pas été spoliés, étant depuis 1931 dans la collection familiale de Charles Michel qui toucha de Dietrich 427 500 F6.

Mandl affirma avoir effectué une vente à Walter Andreas Hofer d’un tableau de « D. Teniers (éc. Flam.), Intérieur avec personnages »7. Bien qu’il ait versé de l’argent à son adresse pour Dietrich et qu’il soit venu à son domicile en sa compagnie en 1943, Bruno Lohse n’aurait effectué aucune transaction avec le marchand, qu’il connaissait par ailleurs par l’intermédiaire d’Allen Loebl, son ami depuis longue date. Mandl n’aurait pas eu de contacts commerciaux avec Gustav Rochlitz ou Adolf Wüster, ni même avec Zacharie Birtschansky qui habitait pourtant le même immeuble8.

De rares correspondances témoignent aussi d’échanges, parfois infructueux, avec Karl Haberstock dont Mandl n’évoqua pas le nom dans ces interrogatoires9. En janvier 1941, Haberstock se serait procuré auprès de Mandl un panneau de Frans II Francken10. En avril 1941, Mandl lui proposa un tableau de Michel-Ange dont Hans Posse déconseilla l’acquisition11. Haberstock acheta par contre avec Julius Boehler de Munich un Claes Heda qui fut expertisé comme un faux en juin 1941 par [August Liebmann] Mayer et retourné à Loebl12. La même année, Mandl aurait vendu à Haberstock deux tableaux de Giovanni Paolo Panini à destination de Linz13. En mars 1943, un tableau d’Adolf Backhuisen, expertisé par Erhard Goepel fut vendu en son nom à destination du futur musée d’Hitler à Linz14. De même, une peinture de l’école italienne en mars 1943 et une nature morte aux poissons d’Alexander Adriaens en août 194315. La provenance de ces tableaux demeure aujourd’hui incomplète.

Bien que des transactions avec d’autres marchands allemands soient ainsi avérées, Mandl restait avant tout l’agent principal de Dietrich qui se servait de lui comme d’un prête-nom16.

Les poursuites après-guerre

À la Libération, la Cour de justice de la Seine abandonna le 8 novembre 1946 les charges d’« atteinte à la sûreté extérieure de l’État » pesant sur Mandl et envoya le dossier devant le Comité de confiscation des profits illicites pour juger les ventes à l’ennemi qui devaient faire l’objet d’une procédure fiscale. Sur les 3 404 500 F de chiffre d’affaires réalisé retenus par le Comité, la vente de ses tableaux personnels représentait 1 595 000 F et celle de la vente de tableaux pour le compte de tiers 1 809 500 F. Plus de la moitié des ventes ne concernaient donc pas sa collection personnelle1.

Pour sa défense, Mandl affirma après-guerre qu’il avait vendu les tableaux de sa collection personnelle à perte et que le profit soi-disant retiré était bien inférieur à la valeur du tableau à l’époque :

« En fait, ces ventes, auxquelles je ne pouvais me soustraire et dont le total s’élève à 1 225 000 frs furent consenties par moi dans des conditions désavantageuses. Il s’agit d’une « spoliation déguisée » dont j’ai été victime ; car, nul doute que les 9 tableaux et les 4 gravures, que ces ventes représentaient, avaient une valeur bien supérieure au prix payé2. »

D’après Mandl, il lui était par ailleurs impossible de refuser la vente de tableaux appartenant à des tiers que la marchande de Munich avait vus à son domicile. Certains d’entre eux lui avaient été confiés par des amis au moment de leur fuite3. Deux tableaux avaient été ainsi achetés à « M. Muller, israélite », demeurant 5 rue Delambre dans le XIVe arrondissement de Paris parti à Montluçon, pour une somme de 271 700 F en 1939 et furent revendus 370 000 F à Almas-Dietrich en 1944. Des tableaux appartenant à « MM. Wiazenski et de Jonquiere [sic] » furent aussi emportés pour 1 809 500 F par la galeriste de Munich en 19424. Français d’origine russe, Vladimir Viazemski affirma avoir confié à Mandl la vente de neuf tableaux et de gravures provenant de sa collection personnelle. Quant à Guy Faulque de Jonquières, il ignorait également le nom de l’acquéreur allemand des six tableaux qu’il donna à vendre à Mandl en 1942, tous issus de la collection de son grand-père5.

Pour la vente de 31 tableaux à Almas-Dietrich, Mandl fut condamné le 7 avril 1949 à une confiscation de 407 114 F et à une amende de 200 000 F. Suite à une procédure de recours, débutée en mai 1949, et qui n’aboutit pas avant le décès de Mandl le 4 mai 1952, la confiscation est finalement réduite à 150 000 F et l’amende ramenée à 10 000 F le 7 janvier 19546. Entre-temps, sa veuve Anastasie Prokofieff avait bien payé le reliquat au Trésor, pour laquelle elle avait fait une demande de remise grâcieuse en mars 1953, en raison de sa situation financière difficile depuis la mort de son époux. Celle-ci fut rejetée, la dette ayant été depuis soldée7.