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Ancien galeriste, René Avogli-Trotti est l’un des proches du couple Adolf et Nadine Wüster, pour qui il effectue des achats dans la capitale occupée et qu’il héberge en 1944.

La galerie « Trotti & Cie » avant-guerre

Le comte René1 Avogli-Trotti, né le 1er octobre 1875, est issu d’une grande famille de Ferrare. Il s’installe à Nice en 18952 avant de rejoindre Paris trois ans plus tard. Le 17 septembre 1900, il épouse à Londres Évangeline Notman. Amateur d’art, il ouvre deux ans plus tard une galerie avec Marcel Nicolle (1871-1934). Cet ancien conservateur adjoint du musée des Beaux-Arts de Lille était alors attaché de conservation au département des peintures du musée du Louvre3.

La société en nom collectif ainsi créée, qui prend le nom de « Trotti & Cie », d’abord installée au 24 de la rue Royale4, déménage au 8 place Vendôme à partir de 1906. Sa clientèle est essentiellement étrangère, et réside principalement en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Outre-Atlantique, le galeriste participe à la création de grandes collections telles celles réunies par les collectionneurs Henry Clay Frick (1849-1919) ou Henry E. Huntington (1850-1927). En avril 1932, en raison de la crise économique, les deux associés décident de liquider leur société5.

Après cette date, le comte Avogli-Trotti, qui mène un train de vie dispendieux, vit sur sa fortune personnelle. En raison de ses activités commerciales en France, il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 19246. Le marchand participe en outre à la diffusion de la langue et de la culture italiennes sur sa terre d’adoption, puisqu’il préside à partir de 1913 le comité parisien de la société Dante Alighieri7. Il est également membre de l’Union intellectuelle franco-italienne8.

Les liens avec Adolf Wüster

René Avogli-Trotti est un ami intime d’Adolf Wüster, qu’il avait rencontré en 1929, alors que ce dernier était installé artiste peintre à Paris1. Si les deux hommes se perdent de vue en 1939 puis se retrouvent en 19412, c’est à partir de 1942 que s’intensifient leurs relations. Au début de l’année 1944, Adolf Wüster, qui avait été nommé consul en juin 1942, s’installe avec sa femme Nadine au plus près de son ami italien. Le couple loge en effet jusqu’à la fin de l’Occupation dans l’hôtel particulier où est installé son partenaire depuis 1923, au 88 de la rue de Grenelle dans le VIIe arrondissement de Paris.

Les deux hommes travaillent de concert à la recherche d’œuvres d’art pour les musées allemands et l’ambassade d’Allemagne. Avogli-Trotti sert ainsi de « rabatteur » à son ami allemand, en lui signalant les objets intéressants sur le marché de l’art. En avril 1942, Adolf Wüster, qui s’absente pour plusieurs semaines, charge Avogli-Trotti du paiement d’achats réalisés par lui à Paris. Ces transactions se font alors par le biais de l’Office des changes, pour un montant de 11 millions de francs3.

Sous l’Occupation, René Avogli-Trotti se sépare personnellement d’une dizaine d’œuvres issues de sa collection particulière. Si l’intéressé déclare avoir réalisé onze ventes avec les occupants, les investigations effectuées par le Comité de confiscation des profits illicites prouvent qu’il aurait en réalité réalisé seize ventes avec ceux-ci4. Pour s’assurer des revenus, il vend ainsi par exemple deux esquisses de Tiepolo, le Joueur de musette de Philippe Mercier pour la somme de 150 000 F5, ou encore Les Petits Dénicheurs d’oiseaux du Maître des cortèges6.

Ces ventes sont réalisées à différents musées allemands. Par l’intermédiaire de Wüster, le comte Avogli-Trotti avait en effet été amené à rencontrer Friedrich Muthmann, directeur du musée de Krefeld, Hans Wilhelm Hupp, directeur du musée de Düsseldorf, Kurt Martin, directeur du musée de Karlsruhe, ainsi que le directeur du musée d’Essen7. À ces mêmes hommes, il fait parvenir des informations sur les ventes ayant cours dans la capitale occupée. Les services de résistance des PTT françaises auraient ainsi intercepté une série de télégrammes expédiés de divers bureaux de Paris à différents correspondants en Allemagne et signés Trotti8. Ces télégrammes avaient attiré l’attention du service à cause des termes d’art et des noms d’artistes qu’ils comportaient. Le comte italien était considéré par les directeurs allemands comme représentant de différents marchands d’art et collectionneurs privés9.

Le 15 juin 1941, le marchand à la retraite joue un rôle essentiel dans l’achat à Drouot, par le musée de Bonn, d’une œuvre intitulée Solitude, ruines près d’une mare de Jacob van Ruysdael10. Il aurait participé aux enchères pour le compte du directeur du musée de Bonn. Une lettre anonyme d’un résistant, datée du 22 janvier 1945, atteste ces faits11. Le comte Avogli-Trotti est également en contact avec la vendeuse munichoise Maria Almas-Dietrich puisqu’il sert d’intermédiaire dans la vente d’un tableau à cette marchande par Eugénie Broglio, née Capella, le 6 janvier 1943. Il est suspecté d’avoir touché une commission de 20 000 F sur les 130 000 F que coûtait le tableau12.

La proximité avec les milieux fascistes

Le rapport établi au sujet de René Avogli-Trotti par le service des Renseignements généraux de la Préfecture de police mentionne également sa proximité avec un concitoyen italien réputé être « d’une moralité douteuse et peu scrupuleuse1 ». Il s’agit de Carlo Di Vieto, né le 22 février 1898 à Naples, administrateur de biens séquestrés, conseiller juridique auprès de l’ambassade d’Italie et proche des milieux fascistes. Ce dernier est en outre un collaborateur zélé de la Gestapo et de la Propagandastaffel.

Avogli-Trotti est lui-même particulièrement proche de l’ambassade d’Italie. Son dossier spécifie ainsi qu’il « y était très favorablement connu2 », élément qui pourrait indiquer des sympathies dans les milieux fascistes de la capitale. Les rapports de la Commission Vaucher affirment à son sujet : « Bien qu’il résidât en France depuis de nombreuses années, il conservait des positions très anti-françaises et exprimait son aversion vis-à-vis de l’Italie au moment de la chute de Mussolini3. »

Au cours de sa comparution devant la Cour de justice du département de la Seine pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État le 9 octobre 1945, l’intéressé se défend cependant en déclarant qu’il a liquidé tous ses capitaux en Italie au moment de l’arrivée du fascisme au pouvoir4. De même, il ne semble plus entretenir aucun lien avec l’association qu’il présidait depuis 1913, la société Dante Alighieri, au moment où celle-ci se rapproche des courants fascistes5.

Les poursuites à la Libération

Le 17 février 1945, une fiche de renseignements émise par le 5e bureau d’État-major signale René Avogli-Trotti comme étant « en fuite » et se cachant à Paris1. Il est alors soupçonné de cacher chez lui des œuvres d’art volées pour le compte des Allemands. Sur ordonnance du 23 août 1945, ses biens sont placés sous séquestre2.

Après la guerre, le comte Avogli-Trotti est inquiété par le Comité de confiscation des profits illicites. Sa culpabilité ne fait aucun doute aux yeux des autorités et « sa collaboration volontaire apparaît évidente3 ». Le 12 décembre 1946, une confiscation d’un montant de 1 901 207 F est prononcée à l’unanimité à son encontre. Cette confiscation est assortie d’une amende de 5 774 100 F4, revue à la baisse en janvier 1950. Le comte Avogli-Trotti s’éteint le 7 février 19465. Sa sœur Elisa Nagliati, qui est son unique héritière, instruit une demande de révision de la confiscation en 19506, mais sa requête est rejetée le 29 mai 1952.

Le décès du comte Avogli-Trotti, au moment où s’ouvrent les grands procès d’après-guerre, entraîne l’abandon des poursuites entamées par la Cour de justice du département de la Seine7 et la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration à son encontre8.