FÖRSTER Otto H. (FR)
En sa qualité de directeur du Wallraf-Richartz-Museum de Cologne, l’historien de l’art Otto H. Förster fut l’un des acteurs du marché de l’art parisien qui, avec l’aide de Hildebrand Gurlitt et d’autres marchands d’art allemands et français, ont acquis un nombre considérable d’œuvres et de biens culturels pendant l’occupation allemande1.
Formation et carrière professionnelle
Förster est né le 13 novembre 1894 à Nuremberg. Il a étudié l’économie, l’histoire et l’histoire de l’art à partir de 1913 à Munich, puis l’histoire de l’art à Bonn en 1920-1921.
Après avoir obtenu son doctorat en 1921 avec une thèse sur l’école de peinture de Cologne au XIVe siècle sous la direction de Heinrich Wölfflin (1864-1945) à Munich, Förster s’est installé en Rhénanie où il enseignait déjà depuis 1920 l’histoire et la pédagogie de l’art à l’institut de formation des professeurs de dessin de Düsseldorf. Dans la métropole de Cologne, après avoir entamé en avril 1921 un stage au Wallraf-Richartz-Museum, il est engagé l’année suivante à titre d’assistant scientifique. En 1924, Förster a obtenu son habilitation à l’université de Cologne avec la thèse Die Kölner Malerei von Meister Wilhelm bis Stefan Lochner [La peinture de Cologne de Maître Guillaume à Stefan Lochner]. Il y sera nommé ensuite professeur extraordinaire en janvier 1937, puis professeur auxiliaire en 1939. Le 1er avril 1925, il prenait le poste de conservateur de l’Alte Gemäldegalerie, le département de peinture ancienne du Wallraf-Richartz-Museum, puis responsable du département culturel du musée en 19271.
Otto H. Förster, directeur du Wallraf-Richartz-Museum
C’est pour succéder à Ernst Buchner, appelé comme prévu à la direction des Bayerische Staatsgemäldesammlungen [Collections de peintures de l’État de Bavière] de Munich en mars 1933, qu’Otto H. Förster se vit confier la direction intérimaire de la pinacothèque du Wallraf-Richartz-Museum, dont il est officiellement nommé directeur du musée le 1er septembre de la même année1. Sa candidature a reçu le soutien du conseiller adjoint nazi et commissaire en chef de l’Office municipal pour l’art et l’éducation Wilhelm Ebel, qui encouragea l’exclusion des employés juifs du musée, tout comme il entrava les activités des marchands d’art et collectionneurs juifs de la ville. C’est pendant cette période, le 1er mai 1933, que Förster est devenu membre de la NSDAP2.
Dans les temps qui ont suivi, Otto H. Förster et les autorités municipales ont cherché de façon générale à enrichir la collection de peinture du Wallraf-Richartz-Museum pour asseoir l’hégémonie culturelle de Cologne dans la partie occidentale du Reich. En février 1936, Förster réussit à acquérir la collection d’Adolf von Carstanjen (1825-1900), qui comptait d’importantes œuvres de Rembrandt van Rijn, Franz Hals et d’autres maîtres bas-rhénans du XVIIe siècle. Après d’amples travaux de rénovation et de modernisation du bâtiment, ces œuvres furent intégrées au département de peinture européenne du XIVe au XIXe siècle et présentées en 1936 dans les salles réaménagées du musée3. De 1933 à 1939, Förster ne disposa cependant que de moyens financiers relativement limités pour l’achat de nouvelles œuvres de peinture.
Acquisitions sur le marché de l’art parisien pendant l’occupation allemande
Lorsque la guerre éclata et que l’Allemagne envahit les Pays-Bas et la France, Förster put compter pour la première fois sur de substantiels fonds municipaux. Le maire de Cologne Peter Winkelnkemper (1902-1944) estimait le temps venu de faire de sa ville une métropole artistique de renommée nationale. Comme il était difficile d’investir en temps de guerre, une partie du budget municipal allait être utilisée pour les musées. C’est dans ces circonstances qu’à la fin mars 1941, Winkelnkemper allouait à Otto H. Förster une première somme de deux millions de Reichmarks (RM) pour acheter des œuvres d’art.
Muni de cette enveloppe, Förster fit le 1er juillet 1941 l’acquisition de cinq tableaux auprès de la maison berlinoise de ventes aux enchères Hans W. Lange, pour la somme de 298 000 RM. Un mois plus tard, il partait aux Pays-Bas pour y acheter d’autres œuvres. Lors de la vente aux enchères très remarquée chez Lange, avec une âpre bataille autour de la Dame de Francfort de Gustave Courbet, Förster s'acquit la réputation d'un acheteur qui disposait de solides moyens, de sorte que ce sont les marchands d’art du Reich allemand et des territoires occupés qui cherchèrent ensuite à prendre contact avec lui1.
À partir de l’automne 1941, Förster et son plus proche collaborateur Helmut May, directeur du Cabinet des estampes, se mirent à opérer sur le marché de l’art parisien. Ils se rendaient eux-mêmes sur place pour acheter des objets d'art chez différents marchands d’art ou par leur intermédiaire. On peut mentionner parmi eux Étienne Bignou, Hugo Engel, Martin Fabiani, Raphaël Gérard, J.O. Leegenhoek, la Galerie Renou & Colle, Gustav Rochlitz, André Schoeller et Adolf Wüster.
Mais c’est le marchand d’art dresdois Hildebrand Gurlitt qui allait devenir le principal partenaire de Förster à Paris. Par son entremise, le Wallraf-Richartz-Museum a pu acquérir au total 27 objets, soit 54 % de l’ensemble de ses acquisitions réalisées en France2. En juin et en juillet 1941, Gurlitt séjournait pour la première fois pendant plusieurs semaines aux Pays-Bas, en Belgique et en France. Il proposa à cette occasion ses services au Wallraf-Richartz-Museum et à d’autres musées du Reich. Le Wallraf-Richartz-Museum effectua son premier achat sur le marché parisien le 19 septembre 1941, un tableau de paysage dans le style de Meindert Hobbema. L’œuvre, qui appartenait à l’homme d’affaires et collectionneur juif italien Federico Gentili Di Giuseppe, avait été vendue aux enchères à l’hôtel Drouot le 24 avril 19413.
Par la suite, Förster et Gurlitt ont entretenu d’intenses et fréquents contacts. Lorsqu’il se rend ou revient de Paris, le marchand d’art a fait une vingtaine de fois étape à Cologne, pour s’entretenir avec Förster d’éventuels achats. En octobre 1941, il servit d’intermédiaire au Wallraf-Richartz-Museum lors de l’acquisition de trois œuvres de Gustave Courbet, François Boucher et Eugène Delacroix pour la somme de 255 000 RM4. Un mois plus tard seulement, un important achat est réalisé pour une somme totale d’un million de RM : Förster cherchait alors des toiles de peintres impressionnistes français qui pussent lui servir de monnaie d’échange pour l’acquisition d’une Crucifixion de Matthias Grünewald appartenant à la collection néerlandaise de Franz Koenig. Hildebrand Gurlitt a négocié l’achat de huit chefs-d’œuvre d’artistes français du XIXe siècle5, il procura à Förster les devises nécessaires et lui obtint, avec l’aide du marchand d’art néerlandais Theodor Hermsen, les licences d’exportation. C’est également lui qui entra en contact avec le négociant de tabac hambourgeois Hermann F. Reemtsma (1892-1961), qui était prêt à se porter acquéreur des tableaux si la transaction avait échoué. Finalement, l’échange de ces peintures contre le Grünewald ne se fera pas. Förster, qui avait pris conscience de la haute valeur artistique de ces œuvres et de leur importance pour l’histoire de l’art, réussit à convaincre les autorités municipales nazies et Josef Grohé (1902-1987), gauleiter de Cologne-Aix-la-Chapelle, de les acheter pour créer un département de peinture française des XVIIIe et XIXe siècles au sein du musée. Quatre Courbet furent présentés à cette occasion comme des pendants à l’œuvre de jeunesse de Wilhelm Leibl, né à Cologne, tandis qu’on fit valoir que quatre Renoir répondaient à son œuvre tardif6.
Menée à bien à l’automne 1941, cette « affaire à un million » fut le prélude à une intense collaboration entre Förster et Gurlitt. Par son intermédiaire et par l’entremise d’autres marchands d’art, le directeur du Wallraf-Richartz-Museum allait acquérir au total 34 œuvres en France de 1940 à 1944, ainsi que 21 œuvres aux Pays-Bas. Dans son entreprise, Förster put bénéficier du soutien de Helmut May, son plus proche collaborateur et son homme de confiance, qui participa au choix des œuvres, suivit les transactions et les procédures d’achat, se chargea de trouver les devises et d’obtenir les licences d’exportation. En tant que chercheur assistant au Wallraf-Richartz-Museum, Werner Bornheim, dénommé Schilling (1915-1992), menait parallèlement des recherches sur les œuvres d'art proposées et leur provenance. Par ailleurs, l’avocat et collectionneur expérimenté Josef Haubrich (1889-1961) joua un rôle de premier ordre lors des procédures d’acquisition, dont il sut résoudre les complexités juridiques. Karl vom Rath (1915-1986), le beau-fils de Förster, qui travaillait depuis août 1942 à la Kunsthistorische Forschungsstätte [Institut de recherche en histoire de l’art] à Paris, était en outre bien placé pour y observer le marché de l’art et nouer des contacts avec des marchands français et allemands. En dernier lieu, Förster obtint également l’appui de l’Oberkriegsverwaltungsrat [conseiller supérieur d’administration militaire] Felix Kuetgens, qui se montra particulièrement bienveillant pour l’octroi des licences d’importation sur le territoire du Reich7.
Pour financer ces achats en France et aux Pays-Bas, Förster disposa au total de trois millions de RM en espèces qui provenaient du trésor municipal. À quoi vinrent s’ajouter, à partir de décembre 1941, les recettes de la vente de 612 tableaux appartenant aux réserves du musée, ainsi que les indemnisations versées par l’Office municipal des dommages de guerre à la suite des raids aériens. Grâce à la collaboration avec Gurlitt, aux avances concédées par la ville de Cologne sur la vente des tableaux des réserves et aux liens étroits qu’il entretenait avec certains mécènes et collectionneurs fortunés, Förster a pu libérer ces fonds à très court terme sur le marché parisien de l’art, qui évoluait rapidement. Par sa première femme, Antonia Johanna (dite Tony), née Schnitzler, qu’il avait épousée le 14 février 1925, il était en effet apparenté ou en très bons termes avec les Camphausen, Deichmann, Herstatt, von Mallinckrodt, vom Rath, von Stein et d’autres familles influentes de Cologne8.
Otto H. Förster après 1945
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés ont examiné les acquisitions réalisées par Förster et les peintures ont été rapatriées vers la France. Après 1945, il dut répondre de sa politique artistique et de la vente d’œuvres provenant des réserves du musée. Suspendu de ses fonctions de directeur du Wallraf-Richartz-Museum, il prit officiellement sa retraite le 1er octobre 19461. En novembre 1957, il fut renommé directeur du Wallraf-Richartz-Museum et directeur général des musées de Cologne, un double poste qu’il devait conserver jusqu’en décembre 1960. Après le décès de sa femme Tony en 1968, Förster épousa le 9 juin 1970 une ancienne stagiaire du Wallraf-Richartz-Museum, Lotte Brand Philip, qui avait émigré en 1941 à New York à cause de ses origines juives. Förster est mort à Cologne le 27 avril 1975.
Données structurées
Personne / personne