SCHOELLER André Charles (FR)
André Charles Schoeller comptait parmi les marchands et experts les plus influents sur le marché de l’art à Paris. Il s’y était établi depuis les années 1920 à la fois comme marchand d’art, permanent d’un syndicat de la profession et expert à l’Hôtel Drouot. Durant l’Occupation, il utilisa son réseau existant pour réaliser d’importantes affaires avec des marchands d’art et des institutions nationales allemandes.
Formation et parcours professionnel
Né le 23 septembre 1879 à Liège (Belgique), Schoeller s’installa à Paris où il épousa Hélène Roche (1882-1945) en 19051. Après avoir été comédien, il se tourna vers le marché de l’art au début du XXe siècle2. Durant la Première Guerre mondiale, il servit la France comme soldat3. Pendant plus de trente ans, entre 1914 et 1946, il habita avec sa famille un appartement sis au 65, rue de Prony, dans le quartier bourgeois de la Plaine de Monceaux à Paris4.
Schoeller entretint d’autres liaisons et contracta d’autres mariages, dont on sait peu de choses. Il eut une liaison avec l’actrice Lucie Pacitti Schoeller (1887-1978)5. D’une autre liaison encore, naquit André Schoeller junior, marchand d’art et spécialiste de l’œuvre du peintre André Lanskoy6.
Il épousa à un âge très avancé la Suédoise Helene Dufwa, née Hellichius. De plus de 40 ans sa cadette, elle était née à Brunnby, le 23 juillet 1921, fille de l’épouse tardive d’Adolf Wüster, Nadine, et grandit dans la maison des Wüster. Par la suite, Helene vécut au Cannet, une banlieue de Cannes, où elle mourut le 16 août 20057.
André Schoeller mourut au début du mois de décembre 1955 à l’âge de 76 ans, dans sa propriété de campagne à Brie-Comte-Robert, près de Paris8.
André Schoeller, collectionneur, expert et marchand d’art de 1905 à 1939
Schoeller fut engagé dès 1905 dans la galerie parisienne Georges Petit et en assuma le poste de directeur après la mort de Georges Petit en 1920 (7 ou 8, rue de Sèze). Il dirigea la galerie jusqu’en 19301. Dès ces années-là, il intervint comme expert lors d’importantes ventes à l’Hôtel Drouot pour la galerie Georges Petit et, à partir de 1932, pour la galerie Jean Charpentier2. Ces activités lui permirent, en tant qu’expert, de devenir membre du Syndicat des marchands de tableaux à Paris3. À la même époque, il se mit également à travailler à son compte, créant un « cabinet d’expertises » d’abord sis au 15, rue Lamennais4. Au début des années 1930, il dirigea sa propre galerie au 13, rue de Téhéran, dans le VIIIe arrondissement. Il n’en continua pas moins à travailler comme expert pour l’Hôtel Drouot5. Il fit largement usage de ses fonctions pour faire des acquisitions dans le cadre de son activité de marchand d’art comme sans doute dans la constitution de sa propre collection d’art. Dans l'Annuaire de la curiosité et des beaux-arts, on note, pour les années 1912-1936, plus de 130 acquisitions faites surtout auprès de la galerie Georges Petit, lors de ventes aux enchères à l’Hôtel Drouot et, ponctuellement auprès de la galerie Jean Charpentier. Il s’agit – outre d’œuvres d’artistes des XVIIe et XVIIIe siècles – essentiellement d’impressionnistes français. Dès 1921, Schoeller fit don de certaines de ces œuvres au musée du Louvre, lequel lui acheta une collection relativement importante composée essentiellement de dessins de Delacroix en 19326.
Grâce à ses multiples activités professionnelles, Schoeller accéda à une certaine aisance matérielle dans les années qui précédent 1939. Il possédait deux automobiles, qu’il faisait conduire par un chauffeur, et était propriétaire d’au moins trois biens immobiliers7. Sa collection d’art comprenait entre autres des œuvres d’Eugène Delacroix, qu’il prêtait pour des expositions8. Il était donc déjà bien établi sur le marché de l’art parisien avant l’Occupation, et disposait d’un bon réseau international9. Ses différentes charges et fonctions l’attestent : il fut conseiller du commerce extérieur, membre du Comité français des expositions, président du Syndicat des éditeurs d’art et négociants en tableaux modernes ainsi que vice-président de la Chambre internationale des experts d’art10.
La galerie André Schoeller durant l’Occupation allemande de la France
C’est notamment en tant que président du Syndicat des négociants en tableaux que Schoeller se trouva en contact durant l’Occupation avec l’ambassade allemande, l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) et le Militärischer Kunstschutz [service de « protection du patrimoine » auprès de l’armée allemande]. Ainsi, lorsqu’il arrivait qu’on recherchât le propriétaire d’objets d’art trouvés dans le Paris occupé ou confisqués par erreur, c’est à lui que le Kunstschutz écrivait et faisait appel pour lui demander de l’aide1.
L’ambassade d’Allemagne, Adolf Wüster et son réseau de marchands d’art
À partir de 1940, il collabora avec l’ambassade d’Allemagne à Paris. Cette coopération débuta au plus tard le 6 septembre 1940 avec la vente à l’ambassade d’Allemagne d’une série de tableaux, par le truchement de Raphaël Gérard. Participèrent à cette transaction, outre la galerie Tédesco frères, les marchands d’art Mademoiselle Lalot et Charles Vaumousse (1890-1950). Tandis que Tédesco frères et Lalot détenaient chacun des parts dans certaines œuvres, Schoeller et Vaumousse, quant à eux, touchèrent des commissions pour leurs services1. Du côté allemand, le partenaire commercial n’était autre que le marchand d’art de Cologne Hermann Abels qui, comme chargé de mission du ministre des Affaires étrangères du Reich, Joachim von Ribbentrop, était censé faire des acquisitions d’œuvres d’art à Paris2. Schoeller et Abels s’étaient déjà rencontrés avant la Première Guerre mondiale, lorsqu’Abels fit une partie de sa formation de marchand d’art dans la galerie Georges Petit auprès d’André Schoeller3.
D’autres transactions furent engagées par le truchement d’Adolf Wüster, que Schoeller fréquentait également professionnellement depuis 1912 ou 1913 et avec lequel il entretenait une relation d’amitié4. Est-ce que Wüster, qui, à partir du mois de juin 1942 avait officiellement été promu au rang de consul, agissait dans ces cas-là au titre de membre de l’ambassade ou de marchand d’art ? C’est là une question qu’il n’est toujours pas possible de démêler de manière certaine.
Schoeller fut impliqué dans nombre de transactions concernant les œuvres que Wüster fournit à partir du mois de janvier 1941 au musée Folkwang à Essen, au musée Kaiser-Wilhelm à Krefeld, au musée Suermondt à Aix-la-Chapelle ainsi qu’à d’autres musées de Rhénanie5.
Ce fut par le truchement de Wüster que Schoeller fit la connaissance de Bruno Lohse6. Par ailleurs, il était étroitement lié à Raphaël Gérard, leurs galeries étant situées dans un voisinage immédiat. Schoeller fut impliqué en tant que commissionnaire ou à d’autres titres encore dans les ventes d’environ 30 œuvres réalisées pendant l’Occupation par Gérard et destinées au collectionneur d’art Myran Eknayan (1892-1985), ainsi qu’à d’autres marchands d’art. Mais surtout, entre 1941 et 1945, Schoeller vendit environ 380 œuvres à Gérard7.
Outre Wüster et Gérard, Hildebrand Gurlitt faisait aussi partie des partenaires commerciaux cruciaux pour Schoeller. En témoignent plus de 140 expertises qu'il réalisa dans le fonds de Gurlitt. La première est datée du 17 avril 19348. Après des vérifications approfondies, il apparaît que ces mêmes œuvres examinées par Schoeller n’eurent rien à voir ou du moins que seule une part une infime d’entre elles est concernée par les ventes aux enchères auxquelles il prit part lui-même en tant qu’expert. Par ailleurs, il acquit aussi des œuvres pour le compte de Gurlitt au cours de ventes aux enchères parisiennes. On en retrouve des traces pour l’importante vente aux enchères de la collection de Georges Viau à l’Hôtel Drouot, le 11 décembre 1942. Schoeller ne se contenta pas de présenter lui-même le tableau Mont Sainte-Victoire attribué à cette époque à Paul Cézanne comme le lot phare de cette vente, mais il s’assura également d’obtenir l’adjudication pour son commanditaire. Outre cette peinture, il acquit encore au cours de cette vente d’autres œuvres, dont cinq se trouvent toujours aujourd’hui dans le fonds Gurlitt9.
Le négoce d’œuvres d’art issues des collections confisquées
En tant qu’expert et marchand d’art, Schoeller fut impliqué dans des opérations de confiscation d’œuvres spoliées à des collectionneurs juifs persécutés, qu'il récupéra et tira sans doute profit. Il semble avoir entretenu une relation privilégiée avec le marchand d’art parisien Jean-François Lefranc1. C’est en administrateur que celui-ci gérait les collections Schloss2, Émile Weil ainsi que Simon Bauer3. C’est à la suite d’une commande de sa part que Schoeller s’empara de 88 tableaux du collectionneur juif Émile Weil et en expertisa la valeur. Du dépôt de Schoeller, Gérard acquit 85 peintures estimées à une très faible valeur4. Les tableaux issus de la collection confisquée à la famille Schloss durent, eux aussi, être entreposés dans le dépôt de Schoeller à la demande de Lefranc5. Pour finir, Schoeller fut sans doute impliqué dans l’ « aryanisation » des fonds de la galerie Bernheim-Jeune6.
Il semble que, au-delà de sa relation avec l’administrateur fiduciaire Lefranc, Schoeller ait été en contact avec le Commissariat général français aux questions juives et qu’il ait même activement travaillé pour ce dernier. En valent pour preuve notamment les paiements d’honoraires à cinq ou six chiffres versés à Schoeller par le Commissariat général, au cours des années 1943 et 19447.
Outre ces activités en relation avec le Commissariat général, il entretenait aussi des relations privées et commerciales, qui prenaient différentes formes, avec d’autres collectionneurs juifs persécutés. Deux jours avant sa déportation le 17 juillet 1942, Marc Wolfson, un Juif russe représentant en pharmacie et intermédiaire en négoce d’art, lui aurait confié son argent, ses titres de valeur, ses bijoux et ses tableaux pour qu’il les garde8. Dans les documents du procès dont Schoeller fit l’objet, figure une autre victime du national-socialisme, l’entrepreneur et collectionneur juif, Max Braunthal. Ainsi, entre le printemps et l’été 1941, Schoeller vendit-il au marchand munichois Ludwig Gutbier plusieurs peintures et dessins de Julius Braunthal (1891-1972), qui avait quitté le Reich allemand pour émigrer à Paris9.
Procédure contre André Schoeller pour affaires avec l’occupant allemand
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Schoeller se heurta au président de l’association privée des Collectionneurs français des œuvres d'art, Victor Simon. Il était son concurrent en matière d’établissement et d’estimation des prix sur le marché de l’art parisien. C’est dans ce contexte que Simon dénonça Schoeller. Après que la première procédure se fut conclue par un non-lieu en 1947, Simon réitéra un an plus tard son accusation contre Schoeller pour collaboration avec l’occupant allemand. Au cours de la procédure, il fut établi que Schoeller avait tiré de ses expertises environ 10% de ses revenus1. Au cours de la procédure cependant, on en vint à remettre en doute les informations et leur exhaustivité : ainsi nombre d’œuvres entreposées dans son dépôt ne se trouvaient ni répertoriées dans ses listes ni inventoriées dans ses livres2.
Une autre procédure, dans laquelle Schoeller se vit accusé d’avoir fait affaire avec l’occupant allemand, fut engagée en 1947. Elle concernait la restitution de biens spoliés : Schoeller dut donc répondre du fait qu’en tant qu’expert et acquéreur, il avait profité de l’aryanisation de la galerie Bernheim-Jeune. Le 6 mars 1947, il fut condamné à une amende de 2 millions de francs pour avoir mené des affaires illégales avec l’occupant. En outre, des bénéfices qu’il réalisa lui furent confisqués 2 483 774 F3.
Si le comportement d’André Schoeller durant l’Occupation n’a pas fait l’objet d’un examen plus approfondi et s’il ne fut pas plus sévèrement puni, c’est probablement parce qu’il avait réussi à rendre crédibles ses allégations selon lesquelles il lui serait arrivé de sauver des collections juives des réquisitions et qu'il aurait, en outre, travaillé comme informateur pour la Résistance4. C’est à ce titre, et notamment parce qu’il aurait transmis des secrets et des informations militaires venues des cercles diplomatiques de l’ambassade allemande, qu’il fut décoré par Charles de Gaulle de la croix de guerre ornée d’une étoile d’or argenté, au mois de janvier 1946. Simon protesta contre cette décision. Mais au cours de la procédure, il fut impossible d’apporter les preuves d’un commerce illicite avec les Allemands5.
Au début de l’année 1946, Schoeller abandonna sa galerie du 13, rue de Téhéran. Les locaux furent repris par Marguerite et Aimé Maeght, qui avaient dirigé une galerie à Cannes durant l’Occupation, la galerie Arte6. Par la suite, Schoeller continua d’être largement sollicité pour ses compétences d’expert. Ainsi s’occupa-t-il, par exemple, aidé par Étienne Bignou, de la dispersion de la collection du critique d’art Félix Fénéon, qui fut vendue aux enchères en trois tranches à l’Hôtel Drouot en 19477.
Après la mort d’André Schoeller en 1955, des pans entiers de sa collection furent mis en vente à l’Hôtel Drouot au cours de deux ventes aux enchères, une première du 14 au 16 mai, sous le titre Collection André Schoeller, tableaux et sculptures modernes, dessins-aquarelles, objets d’art et d’ameublement du XVIIIe […] ; une seconde le 10 décembre 1956 sous le titre Catalogue des dessins- aquarelles, gouaches […] sculptures […] Tableaux modernes […] dépendant de la succession de Monsieur André Schoeller.
Données structurées
Personne / personne