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En 1935, Pierre Colle, spécialisé dans la vente d’œuvres surréalistes, s’associe à Maurice Renou pour former la galerie Renou & Colle, sise 164 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la galerie poursuit ses activités sur le marché de l’art français et étranger. On compte parmi ses clients Hans Wendland, Hildebrand Gurlitt, Adolf Wüster, Otto Helmut Förster, Kurt Martin, ainsi que l’éditeur suisse Albert Skira. Elle vend ainsi des œuvres aux musées rhénans et se trouve impliquée dans la vente de tableaux spoliés, notamment de la collection Paul Rosenberg.

Historique

La galerie Pierre Colle fut ouverte rue Eugène-Carrière à Montmartre en 1930 par Pierre Colle, né à Douarnenez en 1909 d’un père peintre, Jean Colle (1875-1966), et de Marie Adordjan, tragédienne, et mort à Paris en 1948. Colle était un ami du poète et peintre Max Jacob (1876-1944), dont il devint le légataire universel, et connut les musiciens Francis Poulenc (1899-1963) et Henri Sauguet (1901-1989)1. Avant d’ouvrir sa propre galerie, Colle travailla avec la galerie Bonjean dirigée par Jacques-Paul Bonjean (1899-1990) et Christian Dior (1905-1957)2.

À partir de 1933, la galerie est située au 29 rue Cambacérès3. Elle se spécialisa dans la vente des œuvres surréalistes, notamment de Max Ernst, Salvador Dalí, Giorgio Di Chirico, Man Ray, Alexandre Calder et Alberto Giacometti4. Elle exposa ainsi à trois reprises Dalí, du 3 au 15 juin 1931, du 26 mai au 17 juin 1932, puis du 19 au 29 juin 19335. Elle présenta une exposition surréaliste du 7 au 18 juin 19336. En raison de la crise, la galerie dut fermer7.

En 1935, Colle s’associa à Maurice Renou pour fonder la galerie Renou & Colle au 164 rue du Faubourg-Saint-Honoré, qui ferma ses portes en 1948. Renou était proche de la famille Renoir et spécialiste de l’art du XIXe et du XXe siècle. La galerie Renou & Colle organisa une exposition Dalí du 6 au 30 juillet 1937, puis accueillit l’exposition sur le Mexique et Frida Kahlo du 10 au 25 mars 1939, à l’initiative d’André Breton (1896-1966)8.

Les ventes en Suisse et en Allemagne pendant l’Occupation

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la galerie Renou & Colle poursuivit ses activités sur le marché de l’art français et à l’étranger. Parmi ses clients, elle comptait les marchands d’art allemands Hans Wendland, Hildebrand Gurlitt, Adolf Wüster, Otto Helmut Förster, le directeur de musée Kurt Martin et l’éditeur suisse Albert Skira (1904-1973)1. Ce dernier acheta à la galerie Renou & Colle des œuvres d’artistes contemporains, tels Braque, Cézanne, Dalí, Chagall, Derain, Picasso, Renoir et Vlaminck. Parmi les 14 œuvres acquises par Skira auprès de la galerie Renou & Colle, toutes ont été achetées d’après lui directement aux artistes ou à leurs héritiers pendant la guerre, excepté La Guitare de Picasso acquise à l’hôtel Drouot en 19412. Dans la liste établie par Skira, un tableau dénommé Gabrielle est ainsi acheté en 1941 auprès de Claude Renoir (1901-1969), le fils du peintre. Il est à noter que, d’après Wendland, un tableau peint par Renoir en 1910, Gabrielle aux bijoux, est acheté à « M. François » (sic) et vendu par la galerie Renou & Colle à Wendland3. Il fait ensuite partie de la collection particulière de Skira4.

Les interrogatoires menés par la Roberts Commission et les archives de la société de transport Schenker apportent des précisions sur les œuvres vendues par la galerie Renou & Colle en Allemagne. Le 15 avril 1941, elle vendit pour 35 000 F le tableau La rue des Saules, peint par Utrillo en 1917-1919, à l’éditeur berlinois Wolfgang Krüger5. Une œuvre de Renoir, Tête de Femme, est acquise auprès de la galerie par le Wallraf-Richartz-Museum de Cologne via Förster pour 3 500 000 F en novembre 19416. Provenant de la collection Daudet, il s’agit d’un portrait de Madame Alphonse Daudet7. Un tableau de Gerbrand van den Eeckhout de l’école néerlandaise, Portrait de femme âgée assise, fut acheté le 6 novembre 1941 à Renou & Colle par le musée de Bonn pour 200 000 F8. Le 24 novembre 1941, Colle remporta aussi à l’hôtel Drouot une toile de Matisse titrée La Calanque pour 45 000 F, qui correspondrait au tableau Rochers à Belle-Île qui a transité ensuite dans une collection allemande non identifiée à ce jour9.

En 1942, la galerie vendit également un tableau de Corot, Vue d’Orléans, à Kurt Martin pour le musée des Beaux-Arts de Strasbourg. Wüster servit d’intermédiaire pour cette transaction, l’œuvre provenant de la galerie, comme l’atteste un reçu de la galerie Renou & Colle : « Reçu du docteur Martin la somme de huit cent mille francs en paiement d’un tableau de Corot : Vue d’Orléans10. » Le tableau avait été adjugé 575 000 F lors de la vente de la collection Maurice Delacre à l’hôtel Drouot, le 15 décembre 1941. Lors de cette même vente, le Portrait du graveur Desmarais d’Ingres atteignit l’un des prix record de l’année : 1 440 000 F11. Il est ensuite vendu par la galerie Renou & Colle à Hildebrand Gurlitt pour le musée de Linz12.

En 1943, la galerie remporta à l’hôtel Drouot un tableau de Monet, Coin d’atelier, peint en 1861. Le tableau appartenait à « Monsieur Seigneure » (demeurant au Havre, 2 rue du Président-Wilson) et fut présenté à la vente, Tableaux modernes, conduite par Me Alphonse Bellier à l’hôtel Drouot, à Paris, le 6 mai 1943, en salle 10, sous le numéro 84 (et reproduit sous le titre « Cabinet de travail »)13 ; il est adjugé 140 000 F à Renou & Colle. Le tableau fut ensuite acheté 1 500 000 F au marchand néerlandais installé à Paris Theo Hermsen par Gurlitt, puis acquis pour 75 000 RM par la Kunsthalle de Hambourg en 194314.

La vente de collections spoliées

Durant ces années noires, la galerie Renou & Colle accrocha aussi à ses cimaises des tableaux confisqués au galeriste Paul Rosenberg (1881-1959). Ils avaient été entreposés par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) au musée du Jeu de paume et avaient fait l’objet le 25 février 1941 d’un échange entre Hermann Göring et le marchand Gustav Rochlitz, ce dernier ayant ensuite cédé les œuvres à Wendland1. Plusieurs d’entre elles passèrent ensuite par la galerie Fischer de Lucerne qui les revendit2. Wendland était en contact à l’époque avec la galerie Renou & Colle auprès de laquelle il recherchait des tableaux de Renoir.

D’autres toiles spoliées furent vendues par Rochlitz à des marchands parisiens, dont Ignacy Izak Rosner et Martin Fabiani. Parmi les tableaux de la collection Rosenberg, Vase devant la fenêtre de Georges Braque et l’Ananas sur fond rose ainsi que la Dormeuse peints par Henri Matisse en 1940 furent ainsi vus dans la galerie Renou & Colle3. Le tableau de Braque fut acquis par l’intermédiaire de Fabiani d’après Renou et les deux Matisse auprès de Rosner4.

Dans une lettre de janvier 1945, Edmond, le frère de Paul Rosenberg, affirmait que le tableau La nature morte à la dormeuse se trouvait dans une collection privée à Paris suite à sa vente par la galerie Renou & Colle5. D’après Maurice Renou, le tableau Femme endormie fut vendu à un client de Paul Rosenberg, « Monsieur Bellanger », qui ignorait tout de sa provenance. Afin de conclure un « arrangement », Matisse fut sollicité en février 1949 par la galerie Renou & Colle pour confirmer une estimation d’un tableau de 600 000 F6. Paul Rosenberg régla en effet « ses affaires à l’amiable avec cette maison » qui avait été un intermédiaire et essaya « de la réhabiliter »7. Ces œuvres lui furent restituées après-guerre8.

Après-guerre

Lors de la séance du 6 janvier 1949, le Comité de confiscation des profits illicites prononça une confiscation s’élevant à moins de 500 000 F et, la preuve ne pouvant être apportée du caractère illicite du profit réalisé, la procédure à l’encontre de la galerie Renou & Colle fut abandonnée, n’étant plus justifiée en raison du faible montant1.

Après la Seconde Guerre mondiale, Colle partit en voyage au Mexique puis aux États-Unis. En février 1946, il se trouvait au Mexique, en mission officielle pour le ministère des Affaires étrangères et devait revenir à la fin de l’année, d’après Maurice Renou2. Il importa en mars depuis le Mexique aux États-Unis des œuvres de sa collection personnelle, comprenant des œuvres de Picasso, Matisse, Braque et Chirico, qu’il avait acquises directement auprès des artistes pendant la guerre ou, dans le cas de Chirico, auprès de « Mrs Jacques Doucel » (sic), c’est-à-dire Jacques Doucet (1853-1929), en 19423.

En 1948, suite au décès de Pierre Colle, la galerie Renou & Poyet fut fondée. Elle entretint après-guerre des liens avec le marché de l’art américain. En particulier, le marchand new-yorkais Stephen Hahn (1921-2011) acheta en 1975 à la galerie Renou & Poyet le tableau Femme en blanc, peint par Picasso en 1922. Acheté par Robert et Carlotta Landsberg (1899-1994) en 1926-1927, il avait été confié par Carlotta Landsberg au galeriste Justin Thannhauser (1892-1976) en 1938-1939 et fut confisqué par l’ERR à Paris en 1940, en même temps que la collection du galeriste allemand d’origine juive, qui avait laissé une partie du stock de sa galerie à Paris, avant d’émigrer en Suisse, puis aux États-Unis4. Le tableau de Picasso fut restitué en 2002 aux héritiers de la famille Landsberg. Selon le directeur de la galerie Renou & Poyet, Maurice Covo (1925-2019), la galerie avait acheté l’œuvre de Picasso à un collectionneur qui l’aurait lui-même acquise auprès d’un marchand impliqué dans le commerce d’œuvres d’art spoliées sous l’Occupation5.