HERMSEN Theo (FR)
Depuis 1939, Theo Hermsen est actif sur le marché de l’art parisien. Il devient l’un des principaux partenaires commerciaux de Hildebrand Gurlitt et lui sert de prête-nom pour de nombreuses transactions. Après la fin de la guerre, Hermsen est condamné, post mortem, pour avoir réalisé des profits illicites.
Un début de carrière aux Pays-Bas
Theodorus Antonius Bernardus Maria (dit Theo) Hermsen est né à Bois-le-Duc, le 12 juin 1905, aux Pays-Bas. Il est le quatrième enfant de l’artiste, marchand d’art et collectionneur, Theodorus Antonius Bonifacius (dit Dorus) Hermsen (1871-1931)1. Il débute sa carrière en travaillant au sein de la galerie d’art de son père, installée à l’intérieur du bâtiment officiel Johan de Witthuis, à La Haye. Le cœur de l’activité de la galerie concerne les œuvres relevant du domaine des maîtres anciens flamands et hollandais. Après la mort de son père, en 1931, Theo devient le gérant du « Kunsthandel Dorus Hermsen N.V. » [Galerie Dorus Hermsen N. V.], auquel son frère aîné, Kees (1897-1966), collabore également. Ils ne parviennent cependant pas à éviter de sombrer dans l’insolvabilité à la suite de la crise économique de la fin des années 1920. En 1936, la galerie est contrainte de fermer ses portes2. Après quoi, Theo prend la direction d’une nouvelle galerie, sans son frère ; il conserve le même nom, mais l’installe à une nouvelle adresse, Amaliastraat 16, à La Haye.
L’arrivée à Paris
Au printemps 1939, Theo Hermsen déménage officiellement à Paris, où il mène ses affaires de marchands d’art depuis l’adresse de son hôtel, Hôtel de Jersey, au 3, rue de la Grange-Batelière, dans le IXe arrondissement à Paris, situé dans le voisinage direct de l’hôtel des ventes Drouot1. C’est vraisemblablement au plus tard en 1942 qu’il s’installe à l’adresse de sa compagne française, Marcelle Wittenberg, née Poisson (1907-1944), qui résidait alors dans l’immeuble mitoyen, au 1, rue de la Grange-Batelière2. Ce ne sont plus les « tableaux anciens » qui constituent alors son domaine d’activité, il se définit désormais comme « Critique d’art ». Sa mort précoce et inattendue à la fin de l’année 1944 laisse derrière elle un vide dans la documentation de son activité effrénée dans un Paris occupé, un vide qui, jusqu’à aujourd’hui, n’a pu encore être comblé3.
Le réseau commercial pendant l’Occupation
Peu après l’occupation de la France par l’Allemagne, Theo Hermsen part à la recherche d’éventuels partenaires prêts à coopérer sur le marché de l’art français ; ainsi, dès octobre 1940, il écrit entre autres au marchand d’art Karl Haberstock avec lequel il avait déjà fait des affaires auparavant1. Au fil du temps, il se constitue un réseau de relations, en font partie Hugo Engel, Ward Holzapfel, Arturo Reiss, Maurice Lagrand, le Belge Joseph Oscar Leegenhoek et son compatriote Raphaël Gérard ainsi qu’André Schoeller2. Hildebrand Gurlitt, dont il fait la connaissance par l’intermédiaire de Hugo Engel, à la fin de l’été 1941, lors du premier voyage de ce dernier à Paris, devient son partenaire le plus important3. Le transfert au musée Wallraf Richartz de Cologne, à l’automne 1941, des œuvres impressionnistes, représentant une valeur d’un million de Reichmarks marque probablement le début de leur intense collaboration4. Selon le registre des comptes de Gurlitt, Hermsen lui vend par la suite plus de 200 objets, sans que les rares sources disponibles nous permettent d’en déduire la provenance originelle5. Hermsen ne se contente pas de transférer des œuvres, en se faisant payer à la commission, il joue également le rôle d’intermédiaire. Il est possible de prouver qu’il se trouve aux côtés de Gurlitt et l’épaule dans des transactions plus compliquées. Il est aussi apparemment en mesure de débloquer des sommes élevées sans grande difficulté et dans des délais courts. De surcroît, il soumet au jugement de Gurlitt des œuvres d’art que ce dernier peut ensuite soit revendre avec succès à des clients allemands soit, quand la vente n’aboutit pas, retourner à Hermsen. Cette profonde confiance se reflète aussi dans les modalités de paiement que pratiquent entre eux ces deux marchands d’art, et qui se font sur la base de provisions, à des échéances relativement longues. Souvent, les œuvres d’art elles-mêmes sont comptabilisées comme provision6.
Leur collaboration atteint son sommet au printemps 1943, lorsque Gurlitt devient le principal agent de Hermann Voss dans le cadre du « Sonderauftrag Linz » [Mission spéciale Linz]. Dans une lettre datée du 18 juin 1943, Hermsen apportait confirmation de sa collaboration7. Comme Gurlitt, Hermsen voit alors ses affaires prendre sensiblement de l’ampleur. En vaut pour preuve le grand nombre de demandes d’autorisation d’exportation pour la Mission spéciale Linz. Jusqu’à l’été 1944, travaillant à ce projet, il collabore intensivement avec Voss, Gurlitt ainsi qu’avec Hans Herbst, actif pour la salle de vente Dorotheum à Vienne8. Le 3 août 1944, Hermsen ouvre encore un compte à la banque Worms & Cie et retire quatre jours plus tard, le 7 août, les 433 000 F déposés. Le 7 septembre 1944, le compte est fermé9.
Poursuites et condamnation post mortem
Le 2 décembre 1944, Theo Hermsen meurt à l’âge de 39 ans dans une clinique du XIVe arrondissement à Paris. En 1948, il fait l’objet d’une citation devant le comité de confiscation des profits illicites1. L'enquête conclut qu’aucun héritier n’a été identifié en France et que le notaire de la succession demeure inconnu. Pour « affaires traitées avec l’Allemagne », Hermsen est condamné post mortem à une confiscation d’environ 1,7 million de F, soit 10 % des 17 122 260 F se trouvant à son crédit à l’office des changes pour la seule année 1944 et à une amende de 3 millions de F. Le rapport de la citation 2757 précise qu’il a opéré des opérations très importantes, qu’elles aient été effectuées pour le compte des musées allemands ou en s’adressant directement à des particuliers. D’ après la concierge, il lui arrivait également de remettre en état des tableaux pour les vendre aux Allemands2. Le comité décide qu’il vaut mieux procéder à une confiscation compte-tenu de la mort soudaine de Hermsen et du décès de Marcelle Wittenberg en déportation le 15 août 19443. La créance de 4 712 226 F est finalement considérée comme irrécupérable par le Comité de confiscation des profits illicites en 19554.
Les livres de comptes de Gurlitt, tout comme le nombre élevé de demandes d’autorisation d’exportation montrent que, dans l’ensemble, Theo Hermsen ne fut pas un marchand d’art insignifiant sur le marché de l’art français. Toutefois des questions fondamentales concernant son activité demeurent sans réponse aujourd’hui encore. On ne peut ni retrouver l’origine des œuvres que Hermsen a pu transférer ni expliquer d’où proviennent les sommes d’argent qu’il réussit à débloquer dans des délais si courts, de même on n’a pu décrypter quels étaient ses contacts avec les administrations française et allemande qui lui permirent d’obtenir ses autorisations d’exportation.