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10/11/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

En sa qualité de chef du département des peintures du Rheinisches Landesmuseum de Bonn, Franz Rademacher a réalisé un nombre considérable d’acquisitions dans la France occupée, en collaboration avec Hans-Joachim Apffelstaedt, responsable des affaires culturelles pour la Rhénanie, qu’il a en outre soutenu dans son projet de repérer dans les territoires occidentaux occupés tout objet appartenant au patrimoine culturel rhénan et de le « ramener » outre-Rhin.

Carrière professionnelle

Fils d’un instituteur, Franz Jacob Rademacher est né le 15 janvier 1899 à Krefeld1. Après avoir obtenu son baccalauréat en 1917, il a travaillé pendant quelques mois pour le service d’aide à l’agriculture, avant d’étudier à partir de 1918 l’histoire de l’art, l’archéologie classique et l’histoire de la littérature à Munich et à Bonn. En 1922, il obtenait à Bonn son titre de docteur en histoire de l’art sous la direction de Paul Clemen. Entre 1922 et 1935, il a travaillé comme assistant scientifique dans différents musées de Krefeld et de Cologne. Il a également été employé durant cette période par le Deutscher Verein für Kunstwissenschaft [Association allemande pour l’étude de l’art] et par la Notgemeinschaft der Deutschen Wissenschaft [Société d’aide à la science allemande, rebaptisée en 1929 Fondation allemande pour la recherche, Deutsche Forschungsgemeinschaft, DFG] à Berlin. En mai 1933, il est probablement devenu membre de la NSDAP2. À l’instigation de Hans-Joachim Apffelstaedt, responsable des affaires culturelles pour la province du Rhin, Rademacher est entré en avril 1935 à titre d’attaché scientifique au service du Rheinisches Landesmuseum de Bonn, après que l’assistant à la direction du musée eut été arrêté pour de supposées fréquentations communistes. Un an plus tard, Rademacher allait reprendre ce poste devenu vacant3. Il s’y occupera principalement du département des peintures.

Patrimoine culturel rhénan

Dès le début de son engagement au Landesmuseum de Bonn, Rademacher a travaillé en étroite collaboration avec Apffelstaedt. Au commencement de la guerre, celui-ci avait fait établir un mémoire répertoriant tous les objets qui avaient été « déplacés » de Rhénanie depuis Napoléon, essentiellement vers la France, et qui devaient être réclamés lors des futures négociations de paix1. Étant donné les « possibilités exceptionnellement avantageuses » sur le marché de l’art français2, Apffelstaedt entreprit en outre d’enrichir les collections du Landesmuseum en y achetant surtout des objets du patrimoine culturel rhénan (qui avaient quitté la région par les voies légales du commerce et n’avaient donc pas été « expatriés ») et de la peinture des Pays-Bas. En tant qu’« expert de l’artisanat d’art de Rhénanie3 », Rademacher a été le bras droit et le représentant permanent d’Apffelstaedt dans ces deux entreprises qui se laissaient aisément combiner. À cette fin, il s’est rendu de nombreuses fois pendant la guerre dans les territoires occidentaux occupés, en particulier en France, tantôt en compagnie d’Apffelstaedt, tantôt seul4.

Contacts et coopération lors des achats en France

Le marchand d’art düsseldorfois Hans Bammann, fin connaisseur des collections privées françaises et qui était depuis assez longtemps en relations d’affaires avec le musée rhénan, a souvent accompagné Rademacher et surtout Apffelstaedt lors de leurs voyages à l’étranger. Désignés sous le terme de « Rhineland Gang » dans les Schenker-Papers, les trois hommes se sont montrés particulièrement habiles à tirer profit des taux de change avantageux pour réaliser des achats en France1. Afin de réaliser leur projet de « ramener le patrimoine culturel spolié » et leur ambition d’acquérir des objets d’art, ils ont noué des échanges intensifs avec Hermann Bunjes, qui travaillait pour le Kunstschutz [service allemand de « protection du patrimoine » dans le territoire occupé de la France] et avait, en tant que conseiller spécial de Goering pour les questions artistiques, le contrôle des œuvres d’art confisquées aux Juifs par l’ERR. Leurs espoirs de pouvoir mettre la main sur ces objets allaient rester toutefois insatisfaits2.

Rademacher tira également profit de ses contacts avec d’autres directeurs de musée rhénans. Il devait essentiellement ces relations à Apffelstaedt, qui, en sa qualité de responsable des affaires culturelles pour la province du Rhin, a soutenu les musées d’Essen, de Düsseldorf, de Krefeld et de Wuppertal dans leur volonté d’acquérir des œuvres en France. Ainsi a-t-on organisé des transports collectifs3 et l’on se signalait les uns aux autres les objets potentiellement intéressants4. Lors de leur premier voyage à Paris, du 15 au 23 novembre 1940, Apffelstaedt et Rademacher étaient déjà accompagnés par Hans Wilhelm Hupp, le directeur du musée de Düsseldorf, et par Heinz Köhn, qui était à la tête du Museum Folkwang d’Essen5.

À Paris, Apffelstaedt et Rademacher ont eu pour principal interlocuteur le marchand allemand Adolf Wüster, qui s’y était établi. En plus d’avoir pu se fournir directement auprès de lui, les deux hommes ont également bénéficié dès 1940 de « l’hospitalité multiple » de Wüster et de son épouse6. Wüster leur a servi d’intermédiaire avec ses collègues français, il a géré les transferts d’argent et les a aidés à régler les formalités administratives7, tout en vendant aussi pour son propre compte des objets au Landesmuseum de Bonn. Apffelstaedt et Rademacher ont eu pour autre contact à Paris le marchand d’art Gustav Rochlitz, également allemand et ami de Wüster. Rademacher lui a acheté plusieurs peintures. Comme Wüster, Rochlitz a fait acheminer en Allemagne, avec les convois pour le Landesmuseum et sans les enregistrer, des objets qui lui appartenaient en propre.

Il convient de mentionner aussi Hermann Abels, un marchand de Cologne, qui comptait également parmi les connaissances de Wüster. Abels était déjà en relation avec la plupart des musées rhénans avant la guerre. Dès le mois d’octobre 1940, il avait envoyé au Rheinisches Landesmuseum des offres qu’il avait glanées lors d’un voyage en France auprès de ses collègues parisiens et chez des collectionneurs privés8. On ne connaît pas d’autre tentative de médiation de sa part, sans doute parce qu’Apffelstaedt et Rademacher ont décidé de se rendre eux-mêmes à Paris pour leurs affaires à partir de novembre 1940.

Patrimoine culturel rhénan ?

Apffelstaedt et Rademacher étaient certes soucieux d’acquérir principalement pour Bonn des « œuvres rhénanes », susceptibles d’appartenir au « domaine de collection le plus spécifique du Rheinisches Landesmuseum, c’est-à-dire de l’art rhénan depuis les origines jusque vers 1500, ainsi que des peintures rhénano-néerlandaises du XVe au XVIIe siècle1 ». Or, on trouve également répertoriés sur une liste d’achats établie après la guerre plusieurs objets non « rhénans », qui y sont d’ailleurs qualifiés d’« italiens » ou de « français », par exemple des pièces de porcelaine émaillée de Limoges. Dans le cas des 23 peintures acquises à Paris, il s’agit exclusivement d’œuvres néerlando-flamandes, qu’Apffelstaedt considérait comme « apparentées de souche » à l’art rhénan2.

Après la guerre

Aussitôt arrivées en Allemagne, les œuvres d’art achetées à Paris ont été mises en sûreté dans un abri anti-aérien, d’où elles furent pour la plupart rapatriées en France après la guerre1. Il semble que Rademacher n’ait éprouvé aucun remords de conscience d’avoir exporté, sans frais de douane ni taxes d’aucune sorte, de grandes quantités d’objets d’art depuis un pays voisin que sa propre nation avait attaqué et occupé2.

En 1957, Rademacher était promu à la tête du Rheinisches Landesmuseum de Bonn, sous la direction générale de Kurt Böhner. Deux ans plus tard, des problèmes de santé le forcèrent cependant à prendre sa retraite anticipée. Rademacher allait encore publier plusieurs ouvrages d’histoire de l’art avant de mourir à Bonn le 6 décembre 19873.