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16/12/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Hermann Bunjes fut étroitement lié aux spoliations d’œuvres d’art perpétrées en France par les nationaux-socialistes1. De 1940 jusqu’en 1944, il œuvra comme collaborateur de l’administration militaire en France, dans le domaine de la protection des objets et œuvres d’art. De 1942 jusqu’en 1944, il dirigea le centre de recherche en histoire de l’art à Paris. Il travailla aussi pour Hermann Göring au titre de chargé de mission en matière d’art en France. En août 1942, il rédigea, à la demande de Göring, le rapport Betrifft französische Einsprüche gegen Sicherstellung herrenlosen jüdischen Kunstbesitzes in besetztem Frankreich [Concernant les objections françaises à la saisie des biens artistiques juifs tombés en déshérence dans la France occupée], dont l’énoncé principal consiste à dire que la propriété privée des Juifs n’est pas protégée par la Convention de La Haye (1907)2.

Parcours

De 1930 à 1935, Bunjes étudie l’histoire de l’art à Dusseldorf et Marbourg. En 1934, il est boursier à la Sorbonne à Paris1. En 1935, il obtient son doctorat à l’université de Marburg après avoir soutenu une thèse sous le titre Die steinernen Altaraufsätze der hohen Gotik und der Stand der gotischen Plastik in der Île-de France um 1300 [Les retables en pierre du gothique flamboyant et l’état de la sculpture gothique en Île-de-France vers 1300]. De 1936 jusqu’en 1940, il travaille au service des Monuments historiques de la province de Rhénanie2. En février 1939, il obtient son habilitation à enseigner à l’université de Bonn3 et est nommé privat-dozent à l’institut d’histoire de l’art de l’université de Bonn4 ; le 22 novembre 1944, il est nommé professeur hors classe5.

En mars 1932, Bunjes adhère au NS-Studentenbund [association des étudiants nationaux-socialistes] ; en 1933, il rejoint la SA [Sturmabteilung] et, à partir de 1938, il est membre du NSDAP [Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei] et de la SS [Schutzstaffel]6.

En 1939, Bunjes est appelé sous les drapeaux, mais il est réformé dès le mois de janvier 1940 pour cause de maladie. C’est au mois d’août 1940, qu’advient son enrôlement dans l’administration militaire en France7. Au rang de conseiller de l’administration de guerre au sein du haut commandement de l’armée [Oberkommando des Heeres (OKH)] agissant dans le domaine de la protection des objets et œuvres d’art, Bunjes assume la responsabilité de la mise en sécurité des musées, des châteaux, des monuments historiques et des œuvres d’art mobiles dans le district du grand Paris. C’est à ce titre qu’il prend en charge le rapatriement à Paris des biens culturels délocalisés en raison de la guerre8.

Implication dans la spoliation d’œuvres d’art

Bunjes est impliqué dans la saisie de collections d’art et de bibliothèques juives qui furent orchestrées par l’Unité d’intervention du gouverneur du Reich Rosenberg [Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR)]1. Aux côtés de Robert Scholz, le directeur de l’Unité spéciale « Art » de l’ERR ; il est responsable des transports en Allemagne des œuvres saisies2.

La personne de Bunjes permet de faire apparaître au grand jour les relations qui se nouent entre l’Office militaire de protection des objets et œuvres d’art, les organisations de spoliation d’œuvres et le négoce de l’art. Bunjes disposait d’informations sur l’emplacement des œuvres d’art mobiles et avait accès aux lieux de stockage des œuvres déplacées ; en outre, il intervenait comme contact pour les scientifiques, les marchands d’art et les employés des musées venus d’Allemagne. Bunjes réalisait également des études de l’état du marché de l’art pour des musées et des personnes privées3.

En outre, Bunjes faisait la jonction entre la spoliation d’œuvres organisée et les objectifs scientifiques qui accompagnaient l’Occupation de la France. Les structures de travail de la protection militaire des objets et œuvres d’art furent conçues en France pour durer. Elles étaient accompagnées de programmes scientifiques consistant à documenter des monuments historiques, à combler des lacunes dans les fonds des bibliothèques ou des archives iconographiques, ainsi que d’un plan de recherche en histoire de l’art et de l’architecture.  À partir du mois de janvier 1942, ces programmes de recherche furent institutionnalisés sous la direction de Bunjes par la fondation d’un institut scientifique en France, en plus celle de l’Institut de recherche en histoire de l’art. L’Institut exista de 1942 jusqu’en 1944 au numéro 18 de la rue Bonaparte à Paris.

Chargé de mission d’Hermann Göring

C’est dans le contexte des réquisitions de collections d’art juives que Bunjes eut son premier contact avec Göring. Bunjes faisait office, aux côtés de Bruno Lohse, de chargé de mission de Göring en matière d’art doté des pleins pouvoirs spéciaux en France. Alors que la mission de Lohse consistait à donner accès à Göring aux œuvre spoliées de l’ERR et à l’aider à prospecter sur le marché de l’art, l’une des tâches de Bunjes consistait à permettre à Göring et au Reich allemand l’accès aux œuvres qui étaient propriété d’État1. Pour la collection de Göring, Bunjes faisait en outre réaliser des moulages de sculptures de bronze par la fonderie Rudier. Pour pouvoir honorer ces missions, Bunjes fut démis de ses fonctions à la « protection des œuvres d’art » de l’armée le 30 avril 1942 et muté à l’état-major général de l’armée de l’air. Le 1er septembre 1943, Bunjes fut récompensé pour ses bons et loyaux services et promu au rang de sergent, il reçut, en outre, la croix du mérite de 2nde classe avec épées. Dans le même temps, il fut promu SS-Obersturmführer dans la perspective de sceller une collaboration avec le commandement de la police de sûreté [Sicherheitspolizei (Sipo)] et des services de sécurité [Sicherheitsdienst (SD)] à Paris dans toutes les questions concernant la vie culturelle française2.

À l’instigation de Göring, Bunjes rédigea en août 1942 le rapport Betrifft französische Einsprüche gegen Sicherstellung herrenlosen jüdischen Kunstbesitzes in besetztem Frankreich, qui justifiait la violation de la protection de la propriété privée telle que définie dans la Convention de La Haye (1907)3. Bunjes y rejetait les protestations du gouvernement français contre les réquisitions des collections privées juives en arguant que l’armistice de 1940 était un accord de l’État allemand avec l’État français, c’est-à-dire avec les citoyens français. La protection de la propriété privée garantie par l’article 46 des accords de La Haye de 1907 ne concernerait par conséquent ni les Juifs ni les francs-maçons. Bunjes considérait, par ailleurs, que cette protestation était une duperie visant à encourager la résistance contre l’occupant allemand4. Ce rapport de Bunjes était en quelque sorte une preuve de la connotation raciste de la spoliation des œuvres tout comme de l’intériorisation de la pensée génocidaire. L’argumentation de Bunjes suit les principes de la politique de discrimination et de persécution raciale nationale-socialiste qui fut imposée en France à la suite de l’Occupation5.

Après la fin de l’Occupation

En février 1945, Bunjes fut interrogé par des soldats de l’armée américaine à Fell sur la Moselle. Il remet des documents essentiels sur Göring ainsi que des documents concernant la protection des objets et œuvres d’art et la spoliation des œuvres en France1. Après la reddition officielle de la région au pouvoir d’occupation de la France en juillet 1945, Bunjes est arrêté en juin 1945. Le 25 juillet 1945, il se suicide dans sa prison.