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20/10/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Hermann Abels était l’un des plus importants marchands d’art de Cologne dans la première moitié du XXe siècle. De par sa formation professionnelle, il avait de bonnes relations en France. Pendant l’Occupation, il est rapidement devenu l’un des agents artistiques du ministre des affaires étrangères du Reich allemand, Joachim von Ribbentrop, à Paris.

Le parcours d’un galeriste de Cologne

Né le 22 octobre 1892 à Bedburg-sur-l’Erft, Hermann Abels est l’aîné des enfants du marchand d’art de Cologne Wilhelm Abels (1867-1948)1. Après l’obtention de son certificat d’études à l’Apostelgymnasium à Cologne, il suivit entre 1911 et 1914 une formation dans le commerce de l’art orientée vers l’international. Celle-ci le mena à Francfort-sur-le-Main dans la galerie H. Trittler, puis à Paris dans la galerie Georges Petit, où il travailla « sous la direction de feu [1955] André Schoeller2 », ainsi qu’à Vienne dans la galerie Halm & Goldmann3.

En 1915, il fut appelé à faire son service militaire et mobilisé comme soldat jusqu’en 19184. En septembre 1919, Abels inaugura à Cologne une galerie spécialisée dans un premier temps en arts graphiques, le « salon d’art de Hermann Abels »5. Ainsi, sur le plan professionnel, mit-il ses pas dans ceux de son père qui, entre-temps, s’était retiré de son activité de marchand d’art pour prendre sa retraite.

Au cours des années 1920, Abels élargit progressivement le programme de sa galerie. En plus de travaux sur papier, il se mit à proposer de plus en plus de peintures et de sculptures. Du point de vue du contenu, il se concentrait sur la peinture des XVIe et XVIIe siècles flamande et hollandaise ainsi que sur l’art allemand du XIXe et du début du XXe siècle6. Il lui arrivait occasionnellement d’avoir des offres d’œuvres françaises. Ainsi organisa-t-il aux mois de  janvier et juin deux expositions pour la vente d’œuvres graphiques d’Henri Matisse7 et d’André Derain8. Sont en outre documentés ses contacts avec les galeries parisiennes Sagot-Le Garrec9 et Paul Rosenberg10 dans les années 1920.

À partir de la moitié des années 1920, Abels entretint une relation particulière avec l’artiste Werner Peiner, qui faisait carrière dans le national-socialisme en tant que protégé de Hermann Göring11.

Un agent artistique du ministre nazi des Affaires étrangères

La large palette d’offres de la galerie correspondait à de vastes cercles d’intérêts. Mais c’est surtout dans la région Rhin-Ruhr que Abels avait tissé un solide réseau. Il avait noué d’étroites relations d’affaires avec de nombreux musées ainsi qu’avec des collectionneurs privés. Il entra en outre en relation avec le peintre Franz Lenk par le truchement d’Annelies von Ribbentrop, l’épouse de Joachim von Ribbentrop qui occupa à partir de 1938 la fonction de ministre des Affaires étrangères du Reich1. Il est vraisemblable que la relation d’Abels avec la collectionneuse de Wuppertal et cadette d’Annelies von Ribbentrop ait joué un rôle dans cette affaire2.

Abels dut travailler pour le couple Ribbentrop comme agent en matière d’art dans la France occupée par l’Allemagne. Ainsi, dès le mois d’août 1940, il se rendait à Paris missionné par le ministère des Affaires étrangères et y passe plusieurs semaines pour acquérir des tableaux et des tapis destinés à l’aménagement du logement de fonction à Berlin du ministre des Affaires étrangères3. Von Ribbentrop avait élu résidence dans l’ancien palais de la présidence du Reich, 73 Wilhelmstraße, à la suite de sa prise de fonction et l’avait entièrement fait rénover et réaménager à grand frais entre 1938-1939 et 1941-19424. À Paris, Abels prit contact avec l’ambassade allemande et fit des démarches auprès de marchands d’art ou d’intermédiaires bien établis dans la capitale française, comme Raphaël Stora, Pierre M. Blanc, Alexandre Popoff, Alice Manteau, Paul A. Jurschewitz et Simon Meller5.

Il finit par faire affaire notamment avec la galerie Raphaël Gérard6 et soumit à Annelies von Ribbentrop une offre détaillée7. Ses propositions se heurtèrent cependant à un refus dans un premier temps8. Ce n’est que des mois plus tard, en novembre 1940, que, parmi l’ensemble des propositions soumises, deux tableaux du peintre français Gustave Courbet furent retenus et acquis pour la collection privée du ministre des Affaires étrangères du Reich : Baigneuses et Paysage rocheux aux environs de Flagey (Doubs)9. Il semble qu’Abels n’ait cependant pas touché de provision sur la transmission des deux tableaux, comme il l’a dit lors de sa déposition faite dans le cadre de son interrogatoire mené par les alliés après la guerre10. Il n’y a pas de trace d’une autre activité pour le ministère des affaires étrangères en France11.

Clients et contacts pendant les années de guerre

Abels a néanmoins tenté de tirer profit de son séjour de plusieurs semaines à Paris et de sa connaissance intime du marché de l’art français. Au musée de Bonn, il proposa par exemple à l’automne 1940 une série d’œuvres d’art contre le paiement d’un pourcentage sur la commission1. De la même manière, en janvier 1941, après avoir acquis un tableau d’Anthonis van Dyck issu de la collection Josef Škvor, il reçut de la galeriste munichoise Maria Almas-Dietrich une provision pour ses services2. Des dossiers se trouvant dans les Archives politiques du bureau des affaires étrangères documentent en outre les dispositions d’Abels à communiquer sa connaissance de l’existence de collections d’art juives cachées aux administrations allemandes3.

Abels continua même par la suite à rester en relation avec Raphaël Gérard4. Ainsi acquit-il au début de l’année 1941 auprès du galeriste parisien un pastel de Jean François Millet qu’il fit sortir un an plus tard pour le remettre à Hermann Voss du musée de Wiesbaden5. Voss faisait partie du cercle des clients d’Abels. Il conclut avec lui quelques « affaires lucratives6 », même après que Voss fut nommé « chargé de mission pour Linz », au début de l’année 19437.

Abels était en outre à cette époque en contact avec certains des marchands d’art allemands actifs à Paris, on peut par exemple prouver qu’il entretenait des relations avec Walter Andreas Hofer, qui conseillait Hermann Göring en matière d’art8. Abels travaillait également comme conseiller sur les questions du marché de l’art pour la Chambre des beaux-arts du Reich [Reichskammer der bildenden Künste], section Aix-la-Chapelle-Cologne, selon ses propres déclarations9.

Les conséquences de la guerre et la poursuite des activités après 1945

La galerie Abels fut sinistrée lors des bombardements massifs sur la ville de Cologne, en 1943. La même année, Abels eut encore le temps d’ouvrir une nouvelle galerie à Dresde, qui fut cependant également détruite par les bombes en février 1945. Abels retourna à Cologne après cela où, en 1946, il fonda avec son fils Günther (1921-2015) la galerie de peinture Abels1. Sa sœur Aenne Abels (1900-1975), qui avait collaboré avec lui jusqu’à la fin de la guerre, se mit, par la suite, à son compte à Cologne en ouvrant sa propre galerie2.

Le type de galerie que le père et le fils avaient créé les rattachait à la tradition d’avant-guerre. Abels mourut 19563. Son fils continua à diriger seul l’entreprise et enrichit son catalogue varié en y ajoutant entre autres des œuvres postimpressionnistes françaises. La galerie parisienne Durand-Ruel devint l’un des collaborateurs parmi d’autres importants de l’entreprise de Cologne4.

En outre, dans les années 1970 et 1980, Günther Abels s’engagea de plus en plus dans une entreprise de regroupement associatif des galeries aux échelles nationale et internationale. En 1982, il fut nommé président du Bundesverband des Deutschen Kunst- und Antiquitätenhandels [Fédération du négoce d’art et d’antiquités]. Deux ans plus tard, il reprit la présidence de la Confédération internationale des négociants en œuvres d’Art (CINOA), de la Confédération mondiale des associations des marchands d’art et d’antiquités dont le siège se trouvait à Bruxelles5. En 1986, Günther Abels liquida sa galerie en raison de son âge6. Il meurt en 2015 à Cologne7.