Camondo, Isaac de
61, rue de Monceau
4, rue Gluck
82, avenue des Champs-Élysées
Issu d’une lignée de financiers juifs sépharades ayant bâti leur fortune en Turquie, le comte Isaac de Camondo est né à Constantinople en 1851. Sa famille s’installe à Paris alors qu’il a 18 ans. Très vite associé aux affaires familiales, il seconde son père et son oncle, puis leur succède dans la gestion et l’administration de leur maison de banque et de nombreuses sociétés. De 1891 à 1895, il prolonge les liens étroits entre le pouvoir ottoman et sa famille en assumant les fonctions de consul général de Turquie.
Le musicien-compositeur
Puis, il se détourne peu à peu de ses obligations et activités financières, pour donner libre cours à son tempérament d’artiste. Musicien dès son plus jeune âge et fervent wagnérien, il a écrit plusieurs mélodies, et, en 1906, un opéra Le Clown qui a été joué en public, notamment grâce à son ami de toujours, Gabriel Astruc (1864-1938). Ce dernier, éditeur, organisateur de concerts et agent artistique, est un personnage-clé du monde musical parisien. Isaac de Camondo le soutient financièrement de nombreuses fois et l’aide à concrétiser son plus beau projet : la création du théâtre des Champs-Élysées, avenue Montaigne.
Le collectionneur
Mais c’est surtout au titre de collectionneur qu’il devient célèbre. Éclectique dans ses goûts, il est séduit tour à tour par l’art de l’Extrême-Orient, les arts décoratifs du XVIIIe siècle français, puis l’impressionnisme. Conseillé par ses amis conservateurs de musées, il rassemble également des sculptures du Moyen-Âge et de la Renaissance ainsi que des céramiques des XVIIe et XVIIIe siècles. C’est en 1881, lors de la vente de la collection du baron Double, amateur du XVIIIe siècle, qu’Isaac de Camondo devient un collectionneur reconnu et admiré. Lors de ces enchères, il acquiert non seulement la pendule dite Aux Trois Grâces — objet vedette de cette vente —, mais aussi du mobilier et des objets et tapisseries du XVIIIe siècle français. Son intérêt pour l’art semble s’être manifesté dès son installation à Paris. Résidant dans une aile de l’hôtel particulier familial au 61 rue de Monceau, il accompagne son père et son oncle qui fréquentent les galeries, les antiquaires et les salles des ventes pour meubler leurs demeures. Il devient japoniste, comme eux, et se lance dans l’achat d’objets d’art d’Extrême-Orient, sa première passion. Isaac de Camondo a déménagé plusieurs fois. Dans son dernier appartement situé au 82 avenue des Champs-Élysées, deux galeries sont consacrées à l’exposition des objets d’art d’Extrême-Orient. Souvent conseillé par l’éditeur, imprimeur et marchand d’art Michel Manzi (1849-1915), il enrichit sa collection tout au long de sa vie. D’une qualité exceptionnelle, elle est principalement composée de rondes bosses thaïes, d’œuvres d’art chinois dont un monumental vase rituel en bronze en forme d’éléphant, dit Zun Camondo, et d’œuvres d’art japonais — sculptures, masques, céramiques, bronzes et laques — ainsi que de plus de quatre cents estampes. Cet ensemble d’une grande cohérence réunit des épreuves de qualité de nombreux maîtres, tels Hiroshige (1797-1858), Utamaro (1753-1806), Toshinobu, Sharaku, Hokusai (1760-1849).
L’impressionnisme
Au cours de la dernière décennie du XIXe siècle, Isaac de Camondo découvre l’impressionnisme. Il suit son instinct tout en écoutant souvent les conseils du marchand Paul Durand-Ruel (1831-1922), inlassable défenseur de ces artistes tant décriés. Les peintres Johann-Bartold Jongkind (1819-1891) et Eugène Boudin (1824-1898) retiennent d’abord ses faveurs. Puis, il s’enthousiasme pour le talent d’Edgar Degas (1834-1917) avec lequel il n’a eu paradoxalement que peu de rapports, mais dont il acquiert vingt-cinq œuvres, parmi lesquelles : La Classe de danse, L’Absinthe, Chevaux de courses devant les tribunes ou encore Le Tub. Exposés dans le salon où se trouvait son piano, ces chefs-d’œuvre l’inspirent, car il ambitionne de créer un équivalent musical à la peinture impressionniste. Parallèlement à ses activités musicales, il poursuit ses acquisitions. Parmi les chefs-d’œuvre qu’il sélectionne, on peut citer Le Fifre et Lola de Valence d’Édouard Manet (1832-1883), L’inondation à Port-Marly, La Barque pendant l’inondation et La Neige à Louveciennes d’Alfred Sisley (1839-1899). Lors d’une de ses visites à Giverny, chez Claude Monet (1840-1926), avec lequel il se noue d’amitié, il achète quatre toiles de la série des Cathédrales. Il choisit aussi Le Parlement de Londres ou encore Le Bassin d’Argenteuil. Simultanément, il s’intéresse à Paul Cézanne (1839-1906) dont il acquiert plusieurs aquarelles dès 1895 à la galerie Vollard. Au tournant du siècle, il achète La Maison du pendu, puis, peu avant sa mort, Les Joueurs de cartes. Plus tardivement, il est séduit par le talent de Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), de Vincent Van Gogh (1853-1890) ou encore d’Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901).
Le donateur
Isaac de Camondo, qui ne s’est pas marié, n’a jamais caché son désir de léguer ses collections au musée du Louvre. Il est en effet très lié avec plusieurs conservateurs qui influencent ses goûts et ses achats. Il compte aussi parmi les fondateurs de la Société des Amis du Louvre dont il assure la vice-présidence. À sa mort en 1911, il lègue ses collections au musée du Louvre, à condition que l’ensemble soit exposé réuni pendant cinquante ans dans une suite de salles portant son nom. La collection ainsi présentée est inaugurée en 1920. Une centaine de peintures, pastels et dessins impressionnistes font ainsi leur entrée fracassante et contestée au Louvre. En effet, le règlement interdit d’y présenter des œuvres d’artistes vivants ou morts depuis peu. Seul Guillaume Apollinaire (1880-1918), à l’époque critique d’art, s’est réjoui de constater que cette vénérable institution était devenue le véritable musée moderne de Paris. Après la Seconde Guerre mondiale, les cinquante ans étant presque écoulés, les œuvres léguées par Isaac de Camondo ont été réparties entre différents départements du musée du Louvre. Au département des Objets d’Art, une salle porte d’ailleurs toujours son nom. Les collections asiatiques ont rejoint le musée Guimet et les Impressionnistes, le musée du Jeu de Paume, puis le musée d’Orsay. Le château de Versailles et le musée de la Marine ont aussi bénéficié d’œuvres du legs d’Isaac de Camondo, qui, par ses choix exigeants, a capté le meilleur de la vie culturelle de son époque pour l’offrir généreusement à la postérité.
Article rédigé par Sophie d’Aigneaux Le Tarnec et Juliette Trey
Coming from a line of Sephardic Jewish financiers who built their fortune in Turkey, Count Isaac de Camondo was born in Constantinople in 1851. His family moved to Paris when he was 18 years old. Quickly associated with the family business, he assisted his father and his uncle, then succeeded them in the management and administration of their banking house and numerous companies. From 1891 to 1895, he built upon the close ties between the Ottoman power and his family by assuming the functions of Consul General of Turkey.
The Musician-Composer
Subsequently, he gradually turned away from his official obligations and financial activities to give free rein to his artistic temperament. A musician from an early age and a fervent Wagnerian, he wrote several melodies, and, in 1906, an opera Le Clown which was performed in public, thanks particularly to his lifelong friend Gabriel Astruc (1864-1938). This publisher, concert organiser, and artistic agent was a key figure in the Parisian musical world. Isaac de Camondo supported him financially on many occasions and helped him to realise his finest project: the creation of the Théâtre des Champs-Élysées, on avenue Montaigne in Paris.
The Collector
It was above all as a collector that he became famous. Eclectic in his tastes, he was seduced in turn by the art of the Far East, the decorative arts of the French 18th century, and then Impressionism. Advised by his museum curator friends, he also assembled sculptures from the Middle Ages and the Renaissance as well as ceramics from the 17th and 18th centuries. It was in 1881, during the sale of the collection of Baron Double, an 18th century art lover, that Isaac de Camondo became a recognized and admired collector. At these auctions, he acquired not only the clock known as Aux Trois Grâces – the star object of its sale – but also furniture and objects and tapestries from the French 18th century. His interest in art seems to have manifested itself as soon as he moved to Paris. Residing in a wing of the family mansion at 61 rue de Monceau, he accompanied his father and uncle to galleries, antique dealers, and auction houses as they furnished their homes. Like them, he became a Japoniste and started to purchase of works of art from the Far East, his first passion. Isaac de Camondo moved several times. In his last apartment, located at 82 avenue des Champs-Élysées, two galleries were devoted to the exhibition of works of art from the Far East. Often advised by the publisher, printer, and art dealer Michel Manzi (1849-1915), he enriched his collection throughout his life. Of exceptional quality, it was composed primarily of Thai sculptural pieces, Chinese art works including a monumental bronze ritual vase in the shape of an elephant, known as Zun Camondo, and Japanese art works - sculptures, masks, ceramics, bronzes, and lacquers — as well as more than four hundred prints. This highly coherent set brought together quality proofs by many masters, such as Hiroshige (1797-1858), Utamaro (1753-1806), Toshinobu, Sharaku, and Hokusai (1760-1849).
Impressionism
During the last decade of the 19th century, Isaac de Camondo discovered Impressionism. He followed his instincts, in addition heeding the advice of the dealer Paul Durand-Ruel (1831-1922), a tireless defender of these much-maligned artists. The painters Johann-Bartold Jongkind (1819-1891) and Eugène Boudin (1824-1898) first gained his favour. He then became enthusiastic about the talent of Edgar Degas (1834-1917), with whom he paradoxically had little contact, but from whom he acquired twenty-five works, including: La Classe de danse, L'Absinthe, Chevaux de courses devant les tribunes, and Le Tub. Exhibited in the living room where he kept his piano, these masterpieces inspired him, as he aspired to create a musical equivalent to Impressionist painting. Alongside his musical activities, he continued to make acquisitions. Among the masterpieces he chose were Le Fifre et Lola de Valence by Édouard Manet (1832-1883), L’inondation à Port-Marly, La Barque pendant l’inondation, and La Neige à Louveciennes by Alfred Sisley (1839-1899). During one of his visits to Giverny to see Claude Monet (1840-1926), with whom he became friends, he bought four canvases from the Cathedrals series. He also chose Le Parlement de Londres and Le Bassin d’Argenteuil. At the same time, he became interested in Paul Cézanne (1839-1906), from whom he acquired several watercolours in 1895 at the Vollard gallery. At the turn of the century, he bought La Maison du pendu, then, shortly before his death, Les Joueurs de cartes. Later, he became seduced by the talent of Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), Vincent Van Gogh (1853-1890), and Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901).
The Donor
Isaac de Camondo, who never married, never concealed his wish to bequeath his collections to the Musée du Louvre. Indeed, several curators had close relationships with him and influenced his tastes and his purchases. He was also one of the founders of the Société des Amis du Louvre, of which he served as vice-president. Upon his death in 1911, he bequeathed his collections to the Louvre, on condition that the whole be exhibited together for fifty years in a series of rooms bearing his name. The collection thus presented was inaugurated in 1920. Around a hundred Impressionist paintings, pastels and drawings thus made their sensational and contested entry into the Louvre. Indeed, the regulations prohibited the presentation of works by artists living or recently dead. Guillaume Apollinaire (1880-1918), then an art critic, noted with delight that this venerable institution had become the true modern museum of Paris. After the Second World War, the designated fifty years having almost passed, the works bequeathed by Isaac de Camondo were distributed among various departments of the museum. One room in the département des Objets d’art still bears his name today. The Asian collections joined the Musée Guimet and the Impressionists went to the Musée du Jeu de Paume, then to the Musée d'Orsay. The Palace of Versailles and the Musée Maritime have also benefited from works from the legacy of Isaac de Camondo, whose exacting choices captured the best of his time’s cultural life and generously offered it to posterity.
Article by Sophie d’Aigneaux Le Tarnec and Juliette Trey (translated by Jennifer Donnelly)
[objets collectionnés] Époque de Suiko.
[objets collectionnés] Époque de Shomou. Masque de danse.
[objets collectionnés] Époque Fujiwara.
Isaac de Camondo fréquente le magasin Sichel. (Source: Notice Agorha "Sichel" rédigée par Lucie Chopard).
Alphonse Hirsch et la famille Camondo se fréquentent. En 1875, Hirsch peint le tableau Les enfants Camondo dans le jardin d’hiver de leur hôtel particulier. (Source : notice Agorha "Alphonse Hirsch" par Angélique Saadoun)
Deux pièces métalliques achetées par le comte Isaac de Camondo en 1874 et 1875 chez les Sichel sont entrées au Louvre par le biais du legs du collectionneur en 1911 et ont intégré la collection extrême-orientale du musée : il s’agit d’un casque chinois en fer à incrustations d’argent (inv. EO 1591) en 1874 et d’une boîte en fer chinoise (inv. EO 1593). (Source : notice Agorha « Philippe Sichel » rédigée par Lucie )