Devismes, Eugène
(source : AD de l'Oise, 1MI/ECA612R38, acte n° 198)
Date du décès reportée sur l'acte de naissance (source : AD de l'Oise, 1MI/ECA612R38, acte n° 198).
Père : Devismes, Jules Alexandre, ouvrier peintre en bâtiments décédé à Cormeilles (Oise) le 13/01/1888.
Mère : Lesaint, Constance Virginie, couturière, décédée à Cormeilles (Oise) le 11/10/1888.
Épouse : Georges, Amanda Augustine Virginie, née à Caen, sans profession. Mariage célébré le 31 mai 1902 au Havre (source : AD de Seine-Maritime, 4E19910, acte n° 517).
Enfant : Devismes, Jeanne Eugénie née hors mariage (Paris, 11/02/1891 - Bois-Colombes, 09/08/1975), reconnue à sa naissance par le couple (source : AP, V4E6184, acte n° 257), la mère est blanchisseuse et le père déjà photographe.
15, rue de la Tour des Dames
Devismes est inscrit sur les listes électorales du 9e arrondissement à cette adresse en 1910 mais n'y figure plus en 1920 (source : AP, 2MI 19 209). Il s'agit aussi de l'adresse professionnelle de son épouse, blanchisseuse, telle qu'elle apparaît dans différents bottins jusqu'au début des années 20.
16-18, rue Spontini
Adresse de la bibliothèque où l'atelier se situait dans un entre-sol avant de déménager dans des espaces plus vastes et sans doute plus sûrs pour les collections dans un bâtiment neuf de la rue de Noisiel.
2, rue de Noisiel
À partir de 1913, adresse de l'atelier photographique de la Bibliothèque d'art et d'archéologie, distinct des bâtiments de la bibliothèque où il se trouvait précédemment (16 et 18 rue Spontini). La rue de Noisiel part en diagonale de la rue Spontini et borde le jardin à l'arrière de la parcelle où s'élève l'hôtel particulier de Jacques Doucet (19 rue Spontini). Le bâtiment construit par l'architecte Ruault est modeste comparé aux hôtels particuliers élevés dans la même rue. Il compte une dizaine d'occupants seulement (source : AP, 3589W 1664, casier sanitaire). Sa vocation est d'abord utilitaire. En plus du laboratoire photographique, il comporte des garages et le logement du chauffeur. Cette adresse sera ensuite la première de la Bibliothèque littéraire de Jacques Doucet.
Première mention de son métier dans la déclaration de naissance de sa fille, en 1891. Il a 26 ans et deviendra bien plus tard « l'opérateur » attitré de Jacques Doucet et de la Bibliothèque d'art et d'archéologie entre 1909 et 1917. Sa fin de carrière après le démantèlement du studio photographique de la Bibliothèque d'art et d'archéologie est mal connue. Dans les années trente, le fichier des électeurs du département de la Seine (1932) et les registres de recensement de Colombes (1926, 1931 1936) le mentionnent comme employé de banque.
Devismes travaille depuis 1909 au service de Jacques Doucet et de la Bibliothèque d’art et d’archéologie à alimenter un cabinet photographique qui fait une des originalités de l’institution. La première commande photographique documentée date du 23 novembre 1909, enregistrée au département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale (source : BnF, Archives modernes 682). Clotilde Misme, à l’occasion d’un article sur la photothèque, décrira dans un témoignage tardif mais précis qu’elles furent ses missions :
« [Doucet] résolut d’avoir un atelier [photographique] à lui. Il l’installa dans un des entresols loués, rue Spontini, pour la Bibliothèque. Un opérateur, qui se promenait à travers la France, et jusqu’en Suède, y envoyait les clichés pris selon des listes savamment établies. Les plaques y étaient développées, classées, les épreuves tirées, non seulement pour la Bibliothèque, mais pour les érudits qui en sollicitaient. Jusqu’à des musées infimes, de Bernay à Draguignan, furent visités ; mais bornons-nous à signaler certains apports marquants : cent cinquante peintures de primitifs niçois, réunies un moment à l’exposition de Nice en 1912, et retournées ensuite à leurs villages : les dessins d’Hubert Robert au musée de Valence, presque ignorés jusque-là […] ; quatre cents tableaux et dessins français, dont beaucoup sont hors ligne, conservés au musée de Stockholm ; cinq cents œuvres choisies par M. André Joubin dans la ville de Montpellier, où il occupait alors, à l’Université, la chaire d’histoire de l’art. Elles appartenaient au musée Fabre, dont il était le conservateur, et pour la plus grande part […] à la Faculté de Médecine […]. L’atelier de la rue Spontini exécutait en même temps les clichés nécessaires aux publications entreprises par Doucet (livrets de Salon illustrés par Saint-Aubin, portefeuilles de la Société de reproduction des dessins de maîtres, de la Société française de reproductions des manuscrits à peintures, etc.) et aux ouvrages qu’il patronnait (Bronzes grecs d’Egypte de la collection Fouquet, par Perdrizet ; Recherches sur l’iconographie de l’Évangile, par Gabriel Millet, etc.). Si une partie de ces plaques fut détruite par la gravure typographique, la perte en fut compensée par les clichés que divers savants apportèrent comme tribut […]. En 1913, le magasin de clichés était devenu si encombrant qu’il fallut le transférer rue de Noisiel, au-dessus d’un garage récemment construit par Doucet. » (Bulletin de la SABAA, n° 3, 1930, p. 4).
Privilégiant la mission plus que l’exécutant, Clotilde Misme tait le nom de Devismes. Parce qu’il travaille au service d’un patron mécène, sa production ne lui est généralement pas créditée même dans les publications pour lesquelles les reproductions lui ont été commandées tout exprès et réunies en album. Il n’en a logiquement pas les droits et se trouve anonymisé au profit de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, de la Société pour l’étude de la gravure française, de la SFRMP ou encore des photograveurs (Marty et Barry). Lui-même ne laisse aucune marque sur ses clichés et ne signe pas ses épreuves. Il faut la bonne volonté de quelques auteurs (cf. infra Tafrali, Bourin, Aubert), soulignant la disponibilité et les qualités professionnelles du technicien, pour le voir nommément cité, car à l’ordinaire les remerciements adressés à son employeur sont jugés suffisants. La connaissance de sa personnalité et de son activité exacte a pâti de cet état de fait. On ignorait jusqu’au prénom de « l’opérateur de Monsieur Doucet ». Les recherches archivistiques pourtant recoupent le témoignage de Clotilde Misme : unicité de l’emploi, missions et voyages.
Voyages de Devismes
Louis Berthomieu à Narbonne, Henri Moris à Nice, Louis Chartraire à Sens, tous conservateurs et bien informés, demandent chacun à leur tour à René-Jean, le bibliothécaire, ou à Eugène Lefèvre, responsable du fonds photographique, des tirages des clichés faits par « M. Devismes » dans leurs musées locaux (source : BINHA, Autographes 143,1,59-61 ; ARCHBIB/22/1/2 ; ARCHBIB/22/1/39). Par exemple, lettre de Berthomieu du 24 octobre 1911 : « M. Devismes, votre photographe, a-t-il fini de développer les clichés pris à Narbonne pendant son voyage d’avril ? » (cf. infra Berthomieu). À Nice, Devismes, en plus des tableaux présentés dans l’exposition rétrospective des primitifs niçois, fait quelques photographies supplémentaires dans les villes voisines d’Antibes et de Lucéram listées ensemble dans un même cahier (source : BINHA, ARCHBIB/21/1/28, cahier Nice - Antibes - Lucéram). Le catalogue de l’Exposition rétrospective d'art régional des XVe et XVIe siècles de Nice (mai-avril 1912), maigre et sans photographie, appelait la venue de Devismes. La publication, en dépit de ses insuffisances, lui servit de guide puisqu’elle signalait parmi les œuvres non exposées celles d’Antibes et de Lucéram restées in situ. À Sens, deux voyages seront organisés, dont un permettant de pousser une pointe à Auxerre afin d’ajouter à la couverture intégrale du trésor de la cathédrale de Sens quelques clichés du suaire de saint Germain. La lettre d’Eugène Lefèvre expédiée de Paris à la hâte, suggérant de photographier les pièces les plus remarquables du musée auxerrois, parviendra trop tard. Elle n’était de toute façon accompagnée d’aucune liste (cf. infra Chartraire). La mission est donc décidée sur un objectif précis qui, selon les opportunités et les plaques restantes, peut s’élargir. Des demandes d’autorisation pour les prises de vues sont préalablement envoyées aux institutions concernées. La presse locale s’en fait l’écho pour le musée de Draguignan : « M. Devismes, photographe de la Société d’art et d’archéologie de Paris [sic], a photographié 15 tableaux du Musée. (Autorisation du 16 août 1912) » (journal Le Var, 26 janvier 1913). Pour chacun de ces exemples – et pour bien d’autres – des cahiers d’écolier, dédiés aux villes ciblées et visitées, conservent la liste des œuvres photographiées (source : BINHA, ARCHBIB/21/1/1-ARCHBIB/21/1/44). Ainsi, l’« infime » musée de Bernay eut droit à sa couverture photographique ; faveur consentie à Étienne Deville, employé de la première heure de la Bibliothèque, originaire et historien de la petite ville normande proche de Paris (cf. infra Deville).
Le rayon d’action du photographe peut aussi être examiné au prisme du troisième et dernier numéro de la Société d’iconographie parisienne auquel il participe pour la première fois en 1910. Il s’y trouve crédité pour 40 reproductions accompagnant plusieurs articles, au point d’y détrôner Moreau qui était pourtant dit « photographe de la Société » dans le premier numéro (1908). Les provenances des œuvres sont éclairantes. Les lieux où il est missionné se disposent en cercles concentriques dont le cœur serait la rue Spontini. Certains dessins et gravures reproduits appartiennent en effet à la Bibliothèque d’art et d’archéologie ou à son directeur, Vuaflart. D’autres se situent sur un cercle à peine plus large dans les musées du Louvre, du Carnavalet et de Chantilly ou à la Bibliothèque nationale. Un cliché a été pris en province, à Valence (une sanguine d’Hubert Robert), un dernier à Stockholm (un dessin de Saint-Aubain) ; deux destinations citées par Clotilde Misme comme riches en dessins du XVIIIe siècle français. Le tropisme de Doucet pour cet art qu’il collectionna jusqu’en 1912 a déterminé plusieurs de ces missions, peut-être même au-delà de cette date. Pour les œuvres d’accès facile (tableaux connus et monuments) la Bibliothèque peut puiser dans les catalogues de reproductions des grands musées, recourir aux agences photographiques, compter sur les photographes locaux et même sur les archéologues amateurs pour les vues architecturales et les décors sculptés ; les flux grands et petits s’additionnant. Mais les gravures, les dessins, les pastels, les miniatures, les tissus mêmes (fragments antiques, broderies médiévales ou soieries orientales) supposent un accès privilégié aux œuvres et une habileté que Doucet sait pouvoir trouver chez Devismes. Pour les érudits gourmands qui visent des manuscrits dispersés fort éloignés, comme Gabriel Millet qui a l'oreille de Doucet, les commandes sont passées auprès des photographes locaux de Parme, Bologne, Saint-Pétersbourg, Moscou, etc. Le photographe parisien traite alors seulement les miniatures de la Bibliothèque nationale mais est aussi sollicité, dans ce cadre là, pour développer des clichés qu’il n’a pas fait lui-même (source : BINHA, Autographes 144/1/435-481 ; cf. infra Millet).
Le Louvre
Pour les musées parisiens, l’exemple du Louvre est le mieux documenté. Les échanges entre René-Jean, bibliothécaire, et Edmond Pottier, conservateur du département des Antiquités, renseignent sur le rôle du photographe mandaté par Doucet (source : BINHA, Autographes 145/1020-1068 ; cf. infra Pottier). Dès 1909, la Bibliothèque propose au département des Antiquités les services du photographe maison. Il est accrédité avec certitude en 1910 et vient faire des photographies pour satisfaire les demandes des érudits, qu’elles soient adressées directement au Louvre ou passent par la Bibliothèque d’art et d’archéologie. Sans compter celles sollicitées par les conservateurs eux-mêmes pour leurs propres besoins : matériau d’étude, publications, cours à l’École du Louvre. Pottier ne manque pas de louer son métier et la qualité des épreuves : les vases grecs, en volume et à figures, présentant des difficultés que l’opérateur sait surmonter. Bien que dans les premières années (1909-1912), le photographe ne soit pas désigné, il s’agit très vraisemblablement à cette date précoce de Devismes occupant seul cet emploi pour Doucet. D’ailleurs, en février 1914, Pottier rappelle à quelles conditions « M. Devismes » pourra revenir faire des prises de vue, en réaction aux réserves soulevées par Braun, éditeur exclusif du Louvre. Devismes hantait donc le musée depuis plus longtemps. En 1913, il est cependant question en deux occasions de Thibault, un autre photographe : un renfort (remplaçant occasionnel, doublure ou jeune assistant ?). Le dernier profil est le plus probable s’il devait s’agir du Thibaut, fils du concierge de la Bibliothèque nationale, mort à la guerre qui, selon les propos rapportés de Devismes, « travaillait avec lui » (source : Société historique de Lisieux, fonds Deville, C 7/7, lettre de Deville du 29 septembre 1916).
Le partage de leur production est donc incertain mais son volume se juge à l’inventaire conservé qui décrit 293 clichés répartis en 23 boîtes d’œuvres localisées dans plusieurs salles (H, G et L), dans les magasins et dans « le cabinet de M. Michon », autre conservateur (source : BINHA, ARCHBIB/21/1/30 ; cahier Louvre - Antiquités). L’on comprend mieux le dépit de Pottier regrettant en 1919 la fin de cette collaboration : « Je connaissais très bien M. Devismes qui est un excellent opérateur et qui a fait pas mal de clichés pour nous au musée. » (source : BINHA, ARCHBIB/26/1/2/3, lettre à Joubin). Un autre cahier au nom de Pottier correspond aux plaques que le conservateur mit en dépôt à la Bibliothèque : 42 boîtes pour 484 items non décrits, présents dans les salles C, E, F, G, et K (source : BINHA, ARCHBIB/21/1/31, cahier Louvre - Pottier).
Publications et collections
Plusieurs collections et sociétés à caractère éditoriale, patronnées par Doucet, profitent des talents de Devismes. Il photographie ainsi toutes les miniatures d’une Bible historiale pour la Société française de reproductions de manuscrits à peintures (de Laborde, 1911), l’intégralité des gravures d’Odilon Redon publiée par la Société pour l’étude de la gravure française (Mellerio, 1912), ou encore les œuvres exposées en 1912 au musée Cernuschi, composant le premier volume de la collection Ars Asiatica (1914), pour n’évoquer – encore une fois – que des contributions avérées par les archives ou autrement documentées (cf. infra Laborde, Mellerio, Petrucci). D’autres volumes, des mêmes collections, lui sont probablement aussi imputables. La chose est certaine pour la Société française de reproductions de manuscrits à peintures, au moins pour les manuscrits conservés à Paris. En 1912, Devismes est recommandé par Laborde et autorisé par Omont pour photographier une sélection de miniatures orientales au profit de Edgar Blochet (source : BnF, Archives modernes 690), bien que l’ouvrage paraisse après-guerre (Les peintures des manuscrits orientaux de la Bibliothèque nationale, Paris, 1920). En 1913, Henri Martin dresse une liste des « photographies à prendre à la bibliothèque de l’Arsenal sur plaques orthochromatiques 13 x 18 ou 18 x 24 » (source : BINHA, ARCHBIB/21/1/34), dont le nombre et le détail des cadrages correspondent exactement à son édition (Principaux manuscrits à peintures de la Bibliothèque de l’Arsenal de Paris, Paris, 1927). La parution annoncée en 1913 par la SFRMP fut elle aussi retardée du fait de la guerre, mais les photographies furent faites et cochées sur la liste aussitôt la publication décidée, dans le strict respect des consignes (folios et cadrages) lorsque Devismes était encore actif au service de Doucet et avait déjà fait ses preuves. Sur ces projets sa contribution annuelle bien qu’essentielle est masquée ; les planches de ces publications sont seulement signées par le photograveur Barry. Les mêmes observations pourraient être étendues à d’autres publications, comme celles sur les dessins de maîtres, pour l’essentiel consacrés aux ouvrages illustrés par Saint-Aubain dont Doucet possédait deux des huit publiés par la Société de reproduction des dessins de maîtres. Clotilde Misme, dont on a pu vérifier l’exactitude de chacune de ses affirmations, en crédite le photographe.
Un autre projet, lié à Doucet, l’aura aussi accaparé. Les 271 photographies qui illustrent les trois parties du catalogue de vente de la collection Doucet sont de style soigné et sobre, d'une grande unité formelle (Collection Jacques Doucet, 3 vol., Paris, 1912). Elles ne sont pas créditées, mais en toute logique, Doucet n’aurait pas engagé Devismes, ni acquis du matériel photographique entreposé en vis-à-vis de son hôtel particulier (avant de le transporter rue de Noisiel), pour réserver à un autre opérateur cette tâche supposant dans sa réalisation pratique des venues répétées, une proximité, des commodités d'accès aux appartements et un crédit de confiance. Techniquement, Devismes, missionné pour photographier en province et à l’étranger les importantes collections de dessins français ou les vases antiques du Louvre était la personne idoine. Doucet n'aurait d’ailleurs pas pris le risque de laisser à un tiers des négatifs (et la possibilité de tirages ultérieurs) des objets de sa collection proposée à la vente. Les reproductions de sa collection, même dispersée, ne devaient être visibles que dans le catalogue édité à grands frais témoignant de celle-ci. De fait, les clichés sont enregistrés dans l'inventaire des négatifs de la Bibliothèque d'art et d'archéologie mais en plusieurs lots séparés, correspondant peut-être aux disponibilités du photographe à l'agenda chargé. Ce registre inclut aussi des vues des intérieurs de l’hôtel, parfois reproduites mais jamais attribuées (source : MPP, Inventaire des négatifs de la Bibliothèque Doucet ; cf. infra Doucet).
Lorsque les clichés seront plus tard déposés aux Beaux-Arts, Ratouis de Limay, chef du service des archives photographiques au Ministère des Beaux-Arts n’autorisera en 1927 le tirage de certains de ces clichés qu’avec les plus extrêmes précautions : « M. Wildenstein nous demande de tirer des épreuves d’un certain nombre d’œuvres qui faisaient partie de la collection de M. Doucet. Ces œuvres sont maintenant dans d’autres collections particulières et, pour éviter toues réclamations, je me refuse à en laisser vendre des photographies. Si toutefois vous estimez que cette interdiction de principe puisse être levée, je donnerais satisfaction à la demande de M. Wildenstein. » Annotation de Joubin pour autorisation avec « accord de M. Doucet ». La qualité du demandeur, mécène et amateur d’art lui-même, aura certainement été prise en compte (source : BINHA, ARCHBIB/25/1/4).
Devismes portraitiste
Devismes s'acquitte aussi de travaux photographiques pour plusieurs de ses collègues dans un rapport de sujétion ou de connivence (cf. infra Vuaflart, René-Jean, Lefèvre, Deville). On peut arguer de cette proximité avec les employés de la Bibliothèque Doucet pour le supposer auteur d’une photographie montrant trois d'entre eux (Société historique de Lisieux, fonds Étienne Deville ; supra 4eme vignette). La prise de vue faite rue Spontini est de facture professionnelle. Les trois hommes, distribués autour d’une fenêtre, occupent plusieurs plans et différentes hauteurs pour former un demi-cercle qui, s’il était prolongé, inclurait le preneur de vue. Le caractère très composé de l’image ne suffit pas à chasser l’air de bonne entente et de confiance qui se lit sur les visages proposés à l’opérateur qu’on imagine, pour cette raison supplémentaire, membre de cette communauté. À droite Étienne Deville avec lequel le photographe collabora à plusieurs projets, au centre Gaston Capon, et sur la gauche un personnage de même génération encore non identifié. (À titre d’hypothèses : Aliénau, trésorier de la Bibliothèque, responsable des paiements ? ou le photographe lui-même qui aurait délégué à un tiers – Thibaut… – le déclanchement de l’obturateur ? Voire Jean Sineux, majordome de Doucet, puis factotum de la Bibliothèque ? Ici, rien de sûr).
Fin de carrière
La fermeture de la Bibliothèque à la fin de l’année 1914 et la liquidation de l’atelier photographique après 1917 lorsque la Bibliothèque est donnée à la Sorbonne, obligent Devismes à rechercher d’autres commanditaires. Ainsi, le 27 mai 1916, Devismes communique à la Commission du vieux Paris ses tarifs et reçoit commande de photographies des architectures situées dans le 1er arrondissement : immeubles d’habitation anciens ou édifices prestigieux (Saint-Germain l’Auxerrois, Oratoire du Louvre, Saint-Roch, fontaine du Palmier place du Châtelet, fontaine des Innocents, fontaine Molière, Chancellerie d’Orléans, etc.). La destruction programmée de ce dernier édifice pour l’agrandissement de la Banque de France a possiblement déterminé la commande. En octobre, Devismes livre 58 clichés, 64 positifs et 24 épreuves pour 534 francs (source : CVP, Registre des fournisseurs, commande n° 198 ; Registre des bons de commande, n° 16 ; Inventaires des clichés, CA 6e-149, les n° 240 à 300). Le 24 octobre de la même année Devismes exécute une prise de vue pour la Gazette des Beaux-Arts publiée dans le numéro millésimé 1914, p. 457 (source : BnF, Archives modernes 683).
Devismes est perçu par tous, dans les institutions parisiennes et le milieu savant, comme le « photographe de la Bibliothèque d’art et d’archéologie ». Il est connu à la Nationale des conservateurs et du concierge, et conserve même après la fermeture de la Bibliothèque d'art et d'archéologie ses facilités d'accès au département des Manuscrits. Il obtient donc de nouvelles commandes y compris d’étrangers. Henri Omont, son conservateur, reçoit par exemple la demande de l’abbé Vloeberg ainsi formulée : « Daignez aussi m’autoriser, Monsieur, à confier ce travail à un professionnel que je connais, M. Devismes, photographe de la bibliothèque de M. Doucet et qui habite 2, rue de Noisiel [adresse professionnelle]. Je vous serais très reconnaissant de me faire savoir quel jour il pourra se rendre au département des manuscrits ». Et la réponse, favorable, ne manque pas de venir : « À la suite de la conversation que vous avez eue aujourd'hui avec mon collègue M. Couderc, vous pourrez à titre exceptionnel, l'atelier de photographie étant présentement fermé, faire exécuter les reproductions, dont vous avez remis la liste, par M. Devismes, dans la salle de travail du département des Manuscrits. Vous voudrez bien prévenir M. Devismes de s'entendre directement avec M. Couderc sur les conditions dans lesquelles ce travail pourra s'effectuer. » (source : BnF, Archives modernes 691, respectivement lettres du 27 février et du 6 mars 1916).
Quel corpus ?
En résumé, Eugène Devismes est l’auteur d’une part considérable des clichés de la Bibliothèque d’art et d’archéologie produits avant-guerre, listés dans différents documents, en particulier dans un inventaire de référence de 6379 items (source : MPP, Inventaire des négatifs de la Bibliothèque Doucet : un volume d'enregistrement accompagné d'un volume alphabétique). Il faut soustraire de cet inventaire les clichés signalés d'une autre provenance (Oger, pour Bruxelles) et, par précaution, les lots ayant servis des projets éditoriaux distincts : ceux liés au nom d’André Marty, photograveur de la Société de reproduction des dessins de maîtres (les clichés Pisanello du Cabinet des dessins du Louvre), ou encore ceux de quelques bibliothèques étrangères trop lointaines, commandés pour la Société française de reproductions de manuscrits à peintures. Pour citer des exemples évidents. Cet inventaire général serait à confronter avec les inventaires topographiques où les clichés sont distribués en autant de cahiers que de lieux et d'institutions (source : BINHA, ARCHBIB/21/1-4). L’exercice pourrait être mené aux mêmes conditions, avec une approximation raisonnable, sur la « Liste des séries de clichés photographiques » dressée tôt, en juin 1913 par le service des échanges. On y retrouve logiquement, mais dans un ordre alphabétique, parmi d’autres villes, ceux d’Antibes, Auxerre, Bernay, Draguignan, Lucéram, Montpellier, Nice et Sens (absence de Valence). Et pour Paris, les manuscrits de la Bibliothèque nationale, la collection Doucet, les musées Cernuschi et du Carnavalet (source : BINHA, ARCHBIB/21/6). Il faudrait retrancher de cette source les fonds considérables portant sur l'art oriental, en dépôt ou donnés (Espérandieu, Goloubew, Pottier, Pelliot), absents des inventaires évoqués plus haut. Les estimations, croisées et affinées, livreraient un corpus dont le contour ne serait pas en tous ses endroits parfaitement sûr, mais comportant tout de même plusieurs milliers de clichés à mettre au crédit de Devismes. L'œuvre, commencée en 1909, fut menée bon train pendant six années.
La production de clichés doit être distinguée de la masse des épreuves. La part de Devismes au fonds de la Bibliothèque d'art et d'archéologie est proportionnellement moindre pour celles-ci, plus nombreuses, de provenances multiples, disponibles dans le commerce, commandées auprès de musées ou sollicitées auprès des savants. Le périmètre de Devismes n’en est pas moins étendu et son emploi exceptionnel à une époque où les institutions patrimoniales ne disposaient pas de photographes salariés. À l’image des quelques employés piliers de la Bibliothèque, Devismes servit à la fois les curiosités et les intérêts de Doucet, les besoins de la communauté savante et ceux de la Bibliothèque.
Eugène Devismes est l’employé de Doucet qui l’utilise pour ses besoins de collectionneur, ceux de la Bibliothèque et pour des projets éditoriaux financés par des sociétés savantes ou de bibliophilie, dont le couturier est membre fondateur et bienfaiteur. Un photographe à sa solde, doté d’un laboratoire équipé, pouvait avec souplesse opérer sur des projets relevant de ces trois registres, à certains égards indifférenciés, sans complication financière ou administrative. Cette solution offrait aussi l’assurance de disposer des clichés autorisant des retirages à volonté pour les projets croisés. Plusieurs des missions prioritaires de Devismes, en province ou à l’étranger, ciblent les institutions patrimoniales (bibliothèques et musées) conservant des œuvres et des dessins du XVIIIe siècle, en rapport avec les goûts exprimés dans sa propre collection. Les clichés produits à ces occasions venaient enrichir la Bibliothèque et servaient à des publications. Les collections de Doucet eurent droit au même traitement. Parmi elles, les œuvres du XVIIIe siècle français furent vendues en juin 1912 et présentées dans trois volumes d’un catalogue de luxe, ornés d’héliogravures pleine page : Collection Jacques Doucet - Première partie : Catalogue des dessins et pastels du XVIIIe siècle ; - Deuxième partie : Catalogue des sculptures et tableaux du XVIIIe siècle ; - Troisième partie : Catalogue des meubles et objets d'art du XVIIIe siècle. (Sur cette vente et son exceptionnel catalogue, François Chapon, C’était Jacques Doucet , Paris, 2006, p. 200-222). Sa rédaction fut laissée aux experts, savants et conservateurs, mais l’entreprise dans sa dimension pratique impliqua le personnel de la Bibliothèque : Albert Vuaflart, son directeur, coordonnât l’entreprise ; Étienne Deville, bibliothécaire, fit l’index, et l’on eut pas besoin de rechercher de photographe expert dans son art puisqu’on en disposait déjà.
L’inventaire des négatifs, qui les présente selon leur ordre numérique (n° 1-6379), apporte des éléments de compréhension supplémentaires à la production de Devismes (source : MPP, Inventaire des négatifs de la Bibliothèque Doucet). Cet inventaire général commence avec les clichés que Devismes fit à Sens et Auxerre en 1910 (n° 1-87bis) et s’achève, ou peu s’en faut, avec les clichés des manuscrits orientaux que Devismes fit au département des Manuscrits à la veille de la guerre (n° 6317-6372). Sa participation à ces deux entreprises est prouvée (cf. infra Chartraire et de Laborde). Il est aussi l’auteur de la plupart des autres clichés, puisqu’on y retrouve ceux de ses missions documentées. Il faut cependant exclure du corpus de Devismes les négatifs de Bruxelles, explicitement attribués à « Oger » (n° 4680-4787) et par précaution, faute de preuve, les clichés regroupés les uns à la suite des autres provenant des bibliothèques de Saint-Pétersbourg, Kiev, Vienne, Berlin, Athènes et Londres (n° 5249-5614). De surcroît, ces destinations étaient tout de même un peu lointaines et les clichés qui leur correspondent s’écartent des plaques standard qu’utilise Devismes pour les manuscrits (18 x 24). Elles présentent, en effet, des formats plus variés et plus petits laissant supposer d’autres producteurs (9 x 12 ; 13 x 18). La collection de Doucet n’étant pas à Saint-Pétersbourg, ni son hôtel particulier à Kiev, la couverture photographique de ses dessins et tableaux, des pièces et de leur décor, revint à Devismes dont le studio se situait dans un entresol de la Bibliothèque en vis-à-vis de l’hôtel.
La campagne photographique des œuvres en possession de Doucet ne semble pas avoir été conduite tout d’une traite. On y distingue en effet plusieurs ensembles, une numérotation parfois discontinue et des sous-divisions correspondant sans doute à des moments différents. L’illustration du catalogue de vente a pu exploiter des photographies pour partie déjà faites, sans intention éditoriale, plus tard utilisées et complétées par d’autres : n° 1414-1469 ([peintures]) ; 1470-1544 (« Dessins, aquarelles, gouaches ») ; 1545-1564 (« Pastels ») ; 1565-1608 (« Sculptures ») ; n° 4357-4396ter (« Meubles ») ; 4397-4456 (« Objets d’art ») ; 4457-4476 (« Dessins avec cadres ») ; n° 6116-6149 ([essentiellement objets d’art]). On peut y ajouter les intérieurs de l’hôtel Doucet, vues générales ou détails : n° 4484-4520 (« Intérieurs ») ; 5919-5951 (« Intérieurs de l’hôtel Doucet, état des lieux »). L’inventaire fut complété d’une seconde main établissant après coup la correspondance avec les lots du catalogue de vente, ajoutant les dimensions des œuvres d’après la même source. L’enregistrement des clichés fut donc antérieur à l’établissement du catalogue, et la production d’une partie d’entre eux, peut-être antérieure à la décision même de la vente.
Doucet se sépare à une date incertaine de Devismes. Son atelier transporté rue de Noisiel en 1913, avec son entrée propre, a pu avoir encore quelques activités ponctuelles après la fermeture de la Bibliothèque et le renvoi du personnel à l’été 1914. Le 6 mars 1917, Doucet exprime cependant à René-Jean son agacement à devoir continuer de payer « […] gaz, électricité, appareils de Devismes », comprenons l’inutilité du studio photo et la location du local (source : François Chapon, C’était Jacques Doucet, Paris, p. 231-232). Pour sa part, Devismes confie un mois plus tard à Étienne Deville son irritation contre Vuaflart et Doucet, fait part de ses « ennuis » et cherche à se constituer une clientèle (cf. infra Deville). La donation officielle de la Bibliothèque à la Sorbonne, le 15 décembre 1917, entérine l’abandon d’une production photographique propre. La Bibliothèque devenue universitaire privilégiera dons, achats et échanges.
Devimes travaille pour Alfred Vuaflart et Henri Bourin qui rassemblent une documentation photographique nécessaire à leur étude sur les portraits de Marie-Antoinette. Leur méthode « d’iconographie critique », considérant les portraits d'une même personne pour leur valeur documentaire suppose « la réunion du plus grand nombre d’originaux » et, conséquemment, leur photographie pour comparaison. Seuls les deux premiers volumes parurent à Paris en 1909 et 1910. Devismes participa pour 4 planches au second. (Les portraits de Marie Antoinette. Étude d’iconographie critique, t. II La Dauphine 1770-1774, pl. I, III, XV, XXIX). Dans une lettre de Bourin à Vuaflart non datée, mais faisant allusion à ce second tome qui semble en cours ou à peine publié (« Je suis très contant de notre Dauphine [titre du tome 2] »), le recours à Devismes semble aller de soi : « Complétement oublié d’écrire à Gyldenstolpe. Je vais lui écrire que sa miniature est très probablement de Sicardi [Louis-Marie Sicard] est peut être datée de 1786 et aussi que je la lui rapporterai à mon retour à Paris, ainsi que sa miniature signée Boquet [Louis-René]. Faites donc photographier les 2 pièces par Devismes pour que nous puissions les rendre » (source : BINHA, Ms. 380). Pour les deux mêmes auteurs, Devismes se rend aussi au cabinet des Médailles et au Musée de la Monnaie pour illustrer l'article qu'ils cosignent sur « Les médailles du mariage de Marie-Antoinette frappées à Paris », Gazette numismatique française, 1910. Les photographies faites dans ces institutions lui sont en effet créditées (pl. II et IV).
L’entrée de Devismes au service de Doucet en 1909 aura compté dans ces commandes. La leçon vaut pour le dernier volume de la Société d’iconographie parisienne (1910), dont Vuaflart est le secrétaire, Bourin un contributeur et Devismes le principal photographe. Parmi les nombreuses planches qui lui sont créditées, figure une gouache de Demachy appartenant à Vuaflart (La fonderie de l'Hôtel-Dieu, pl. XI). Le cliché, ainsi que tous ceux utilisés pour ce numéro, rejoint le fonds de la Bibliothèque (source : MPP, Inventaire des négatifs de la Bibliothèque Doucet, le n° 943). L'index par artiste de cet inventaire (un second volume) précise que le cliché fut« fait pour Mr Vuaflard [sic]» ou encore qu'il fut plus tard « donné à Mr Vuaflard [sic] le 8/2/13 ». D'autres clichés du même inventaire, en rapport avec des œuvres de Saint-Aubin, publiés dans la même revue et crédités à Devismes, indiquent également Vuaflart comme donneur d'ordre (n° 966, 1664, 1660). Enfin, un dernier inventaire de clichés, en apparence moins ordonné, mais aux items mieux détaillés, présente cinq négatifs d’œuvres provenant de la collection personnelle de Vuaflart (source : BINHA, ARCHBIB/21/4, Inventaire des clichés de la Bibliothèque Doucet ; les n° 547, 905, 943, 955, 1897). Au vu des informations déjà collectées et de la personnalité de Vuaflart, prompt à compter sur les uns et les autres, on peut considérer Devismes comme leur auteur.
Vuaflart est aussi le secrétaire de la Société pour l'étude de la gravure française pour laquelle Devismes fit « divers travaux » (« Rapport de M. Henri Bourin, Secrétaire », Annuaire de la gravure française, 1912, p. 29, 30 et 35). L'emploi de Devismes à la Bibliothèque d'art et d'archéologie supposait sa participation aux projets éditoriaux de Doucet, dans lesquels Vuaflart avait une part active.
René-Jean est l’interlocuteur privilégié des savants et conservateurs désireux d’obtenir des photographies dont l’exécution est confiée à Eugène Devismes. Cela peut être dans un cadre régulier, collaboratif et institutionnel ou pour répondre à des demandes individuelles, parfois à vocation éditoriale. Devismes est nommément cité par certains de ses correspondants : Edmond Pottier, Ardenne de Tizac, Oreste Tafrali, Louis Berthomieu, Raymond Koechlin. Les demandes remontent jusqu’à Doucet pour validation, c’est pourquoi le nom du photographe apparaît au moins à trois reprises dans la correspondance entre le mécène et son bibliothécaire pour des affaires courantes. On l'y voit à disposition pour les prises de vues et les tirages (source : BnF, Mss, Naf. 13124, n° 33, 100 et 116).
De toute évidence, René-Jean eut aussi pour lui-même recours à Devismes. Dans son ouvrage sur Les Arts de la terre (Paris, 1911), le bibliothécaire reproduit deux œuvres en possession de Doucet et remercie dans l’introduction le collectionneur pour l’avoir autorisé à les faire photographier. Elles sont créditées à la Bibliothèque d'art et d'archéologie (p. 179 et 183). L’ouvrage comporte aussi plusieurs illustrations présentées comme extraites de certains ouvrages publiés. On ne les imagine pas, ni les unes ni les autres, produites par un photographe extérieur à la Bibliothèque d’art et d’archéologie. Hormis les photographies fournies par Alinari, peu d'autres sont créditées.