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La galerie Alice Manteau est tenue par le mari d’Alice Manteau, Joseph Cloots, qui exporte pendant l’Occupation une cinquantaine de tableaux vers l’Allemagne.

Avant-guerre

La galerie Alice Manteau est créée successivement en janvier 1927 au 2 rue Jacques-Callot à Paris (VIe arrondissement)1 par Alice Marie Manteau (née le 25 juin 1890 à Saint-Josse-ten-Noode), puis par Joseph Marie Guillaume Cloots (né le 13 mai 1890 à Louvain) au 14 rue de l’Abbaye en mars 1935 (Paris, VIe arrondissement)2. De nationalité belge tous les deux, ils se sont mariés le 15 octobre 1910 à Bruxelles3. Dès la création de la galerie en 1927, Alice Manteau expose principalement de jeunes artistes étrangers, tels que Dora Bianka4, Victor Barthe, Abraham Mintchine5, Frits van den Berghe6, Zina Gauthier7, Rik Wouters8, Paule Vézelay9, Moshe Mokady10, Gustave de Smet11, et ponctuellement français comme André Hambourg12.

Le témoignage de René Gimpel (1881-1945) au sujet de la relation entre Abraham Mintchine (1898-1931), sa veuve et Alice Manteau entre 1928 et 1931 indique que cette dernière est bien directement en lien avec les artistes mais que son mari également participe à la gestion de la galerie. Gimpel laisse entendre que la galerie connaît en 1931 des difficultés financières mais que Cloots serait plus dur en affaires que Manteau13. À partir de 1931 au moins, la galerie expose et vend également de la peinture ancienne14. La galerie déménage en 1933 au 14 rue de l’Abbaye15, dans le VIe arrondissement de Paris, et semble tenir sa dernière exposition d’art contemporain en mai 1935, Peintures naïves16.

Le 12 mars 1935, Manteau met officiellement fin à son activité et son mari, Cloots, reprend la galerie en lui conservant le même nom17. À l’occasion de l’enquête de la commission d’épuration, le 25 mars 1946, Manteau déclare ainsi qu’elle n’a « aucune activité dans la galerie qui porte [son] nom », « toutes les affaires [étant] traitées par [son] mari », et dément par ailleurs tout lien avec la galerie de son frère, Louis Manteau, à Bruxelles18. À partir de 1935, la galerie se consacre donc exclusivement à la vente d’art ancien, principalement de peinture, avec une spécialité, la peinture flamande et hollandaise.

Sous l'Occupation

De 1940 à 1944, la galerie vend un nombre relativement important d’œuvres aux musées allemands, directement ou par des intermédiaires : sept peintures au Rheinisches Landesmuseum de Bonn1, dix aux Kunstsammlungen der Stadt de Düsseldorf (et un émail au Kunstgewerbemuseum de Düsseldorf)2, une nature morte de Vallayer-Coster au Folkwang Museum d’Essen3, six œuvres à la Städtische Galerie et au Städelsches Kunstinstitut de Francfort4, onze peintures au Kaiser-Wilhelm Museum de Krefeld5, deux natures mortes de Liotard au musée de Linz6, un portrait de « petite fille au chien » aux Städtische Kunstsammlungen de Nuremberg7 et un paysage de David II Teniers le Jeune au musée de Wuppertal8. La galerie vend également un paysage attribué à Adrien van de Velde au musée de Strasbourg9. Parmi les acheteurs allemands et intermédiaires auxquels la galerie Alice Manteau vend des œuvres entre 1940 et 1944, on compte Claude Anet10 (pour le Rheinisches Landesmuseum de Bonn), Hans Lange (vente par Cornelius Postma via la galerie)11, Josef Mühlmann12, Walter Bornheim13, Eduard Plietzsch (pour Göring)14, Hans Herbst15 et Adolf Wüster16 (pour le Rheinisches Landesmuseum de Bonn et les Kunstsammlungen der Stadt de Düsseldorf). Le couple a aussi proposé des œuvres à Hans Posse en octobre 194017 et aurait également été en lien avec Walter Andreas Hofer18.

Au total, on recense sur ces cinq années au moins 54 œuvres exportées vers l’Allemagne depuis la galerie Alice Manteau, dont un émail et trois sculptures, la majorité des ventes concernant des peintures datées des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Seules treize de ces œuvres ont fait l’objet d’une demande de licence d’exportation. D’après Michel Martin, elles furent sollicitées par Theo Hermsen19. Le bulletin de renseignement daté du 15 mai 1945 adressé par la direction générale des études et recherches à la présidence du gouvernement provisoire précise en effet que « [c]eux des antiquaires qui ont le plus trafiqué avec l’ennemi, Fabiani, Bignon [sic], Alice Manteau, Raphaël Gérard, n’ont même, à peu près, jamais fait de demande de licence tout au long de l’occupation20 ».

Par ailleurs, aujourd’hui, près de vingt œuvres de la récupération artistique (MNR et OAR) encore conservées dans les musées de France ont été ou auraient été vendues par la galerie Alice Manteau21. Pour ces œuvres, aucune provenance n’a pu être retracée entre 1933 et la vente par la galerie Manteau, à l’exception du portrait de petite fille au chien de Johan Cornelisz van Loenen, qui, s’il s’agit bien du même tableau, serait passé en vente publique à Vienne en 1936 avant d’être cédé par la galerie en 1941 aux Städtische Kunstsammlungen de Nuremberg22. Les méthodes d’acquisition de la galerie restent donc à éclaircir. Précisons qu’occasionnellement elle a pu servir d’intermédiaire entre un vendeur et un acheteur comme le montre la vente en 1944 de deux natures mortes de Liotard confiées à la galerie par Cornelius Postma23.

Les enquêtes d'après-guerre

En 1946 et 1947, la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration enquête sur la galerie Alice Manteau. Une note de la Commission de récupération artistique datée du 27 mars 1945 relève en effet que « la galerie Alice Manteau […] a trafiqué pendant toute l’occupation avec les Allemands. Il serait bon d’ouvrir une enquête à ce sujet et de prendre les mesures nécessaires1 ». Le rapport d’interrogatoire de Göring qualifie en revanche le couple de « petits marchands2 ». Le 7 février 1947, Michel Martin, chargé de mission des musées nationaux, va dans le même sens en indiquant au président de la commission que « ce marchand exploite une affaire de petite importance et n’a pas les moyens financiers suffisants pour traiter des opérations de grande envergure. En conséquence ses ventes aux Allemands n’ont porté que sur peu de tableaux de qualité courante et il ne semble pas que la galerie ait pris une extension quelconque du fait de la guerre. D’autre part M. Cloots a pu faire la preuve qu’il était en relations commerciales avec des maisons allemandes avant la guerre, ce qui explique que les Allemands se soient adressés à lui sans qu’on puisse relever à l’encontre de M. Cloots la faute d’avoir sollicité la clientèle allemande ». Joseph Cloots cite en effet dans un courrier à Michel Martin les marchands qui fréquentaient sa galerie avant la guerre, dont « Van Diemen et Ce, Bénédict, F. Rothmann, Cassirer, Perls, Henrichssen, Vitale Bloch, etc. », mais on constate qu’à cette liste s’ajoutent entre 1940 et 1944 de nouveaux noms, que Joseph Cloots ne cite pas. Par ailleurs, celui-ci ne déclare à la commission d’enquête que moins de la moitié (24) des œuvres vendues à des acheteurs allemands, pour un total de 1 290 700 F. En réalité, si l’on additionne les prix de vente connus pour 47 seulement de ces transactions avec des acheteurs allemands, on obtient un chiffre de 2 178 600 F. La Commission nationale interprofessionnelle d’épuration classe toutefois « l’affaire Cloots » le 5 mars 19473.

Des traces ténues indiquent que la galerie est encore en activité en 19534 et vraisemblablement en 19575, sans que nous ayons pu dater précisément sa fermeture.