MARTIN Michel (FR)
Michel Martin est un historien d’art ayant joué un rôle d’importance pendant la Seconde Guerre mondiale, au département des peintures du musée du Louvre et lors de l’épuration du marché de l’art en France au moment de la Libération.
Michel Martin et les licences d’exportation
Michel Marie Joseph Martin est né à Paris le 4 janvier 1905 au 10, rue Mignet dans le XVIe arrondissement. Dernier d’une fratrie de trois garçons, il est le fils de Léonie née Claudon (1874-1947) et de Paul Martin (1868-1957), professeur d’anglais et de français. Michel Martin passe sa jeunesse à Dresde, où son père est précepteur à la cour de Saxe, au moins depuis 1906. Il bénéficie de l’éducation dispensée par son père aux princes de la cour1 et se familiarise ainsi très tôt avec la culture et la langue allemandes. Paul Martin est un conférencier réputé dans la Dresde des années 1910, où ses présentations sont appréciées de l’élite intellectuelle et artistique.
Tout d’abord licencié d’histoire et de géographie, Michel Martin suit les cours de l’École du Louvre à une date inconnue et obtient un diplôme d’art et d’archéologie, bientôt suivi par une licence de droit. Durant plusieurs années, il étudie à la Sorbonne, où il reçoit l’enseignement d’Henri Focillon (1881-1943). L’auteur de la Vie des formes note ses « rapides et brillants succès aux examens et aux concours » et le tient pour l’« un des élèves les plus distingués qui aient suivi [son] enseignement2 ». L’agrégation d'histoire et de géographie vient couronner en 1931 un parcours déjà brillamment commencé. La même année, le jeune historien est affecté à l’infanterie coloniale comme lieutenant de réserve3 ; en 1935 il obtient la croix des services militaires volontaires pour ses activités en tant que réserviste.
Au cours de ses études, Michel Martin se marie le 22 septembre 1929 à Tréboul (Finistère) avec Jeanne Lelgoualch (1904-1995). Le couple a un fils, Yves Martin (1930-1985). Jusqu’à la fin de sa vie, Michel Martin partage son temps et ses activités entre Paris et la Bretagne.
Pendant la guerre, Martin figure parmi le personnel des Musées nationaux dont la mission consiste à endiguer autant que possible la fuite vers l’Allemagne d’œuvres achetées sur le marché de l’art français. À partir de 1942, il est chargé de mission au département des peintures du musée du Louvre, où il s’attache, autant que possible et avec la complicité de Jacques Jaujard (1895-1967), alors directeur des Musées nationaux, à retarder la délivrance des permis d’exportation exigés depuis la loi du 23 juin 1941. Rose Valland rapporte ces tentatives d’obstruction dans ses Mémoires :
un attaché au département des Peintures, M. Michel Martin, resta en contact permanent avec l’administration des Douanes pour exercer ce contrôle. Sans beaucoup d’illusions cependant, car la plupart du temps, lorsque le passage était refusé, un autre chemin assurait le transfert en Allemagne4.
Parmi de nombreux autres exemples, le marchand Raphaël Gérard fit expédier plusieurs œuvres à la maison Kruger de Berlin, œuvres pour lesquelles il avait préalablement sollicité des permis d’exportation, dont un lui fut refusé. Dans ce cas précis, Raphaël Gérard est pourtant parvenu à faire passer la frontière à cette œuvre de manière irrégulière. Dans une lettre adressée au marchand en mai 1943, Martin écrit en effet : « nous avons bloqué le tableau de Detaille et […] nous déplorons que ce tableau puisse sortir, contre notre gré et irrégulièrement du territoire français5 ». Les demandes d’exportation que Martin instruit émanent bien souvent d’individus aujourd’hui connus pour leurs nombreuses transactions effectuées en France durant l’Occupation, tels que le marchand néerlandais Theo Hermsen (1905-1944), le peintre Cornelius Postma (1903-1977), ou les Dr Hildebrand Gurlitt (1895-1956) et Hans Herbst (1915-1942), tous deux acheteurs pour le musée de Linz6.
Parallèlement à cette activité, il semble que Michel Martin assure également la bonne marche du département des peintures en l’absence des conservateurs, tout à la surveillance des dépôts provinciaux où les œuvres du Louvre ont trouvé refuge.
Un expert au service de la Récupération artistique
En avril 1944, alors que se profile la fin de la guerre, Jacques Jaujard le remercie pour son dévouement et exprime son vœu de le voir prochainement « attaché plus directement un jour à notre maison où votre entrée dans les cadres serait particulièrement bien accueillie1 ». Par arrêté du 29 septembre 1944, il est d’ailleurs nommé expert auprès de la Commission de récupération artistique (CRA), nouvellement créée pour procéder à la recherche et au rapatriement des biens culturels spoliés.
Le jour suivant cette nomination, Michel Martin s’étonne, dans une lettre à Jaujard, que les autorités militaires et de police procèdent à des « enquêtes et à des poursuites contre les marchands de tableaux, experts et intermédiaires2 » sans que les Musées nationaux y soient associés. Il pointe, d’une part, le manque d’informations ou de qualification de ces officiers et, d’autre part, le fait que :
« ces poursuites semblent s’exercer presque exclusivement à l’encontre des personnes qui ont travaillé ouvertement avec les Allemands alors que nous savons que les principaux acheteurs, revendeurs ou rabatteurs […] ont travaillé à couvert et non sous leur nom. Nous serions en mesure de fournir des preuves de leur collaboration. Il convient donc d’éviter que ces gros bénéficiaires restent à l’abri tandis que des comparses seuls sont inquiétés3. »
Michel Martin souligne également l’utilité de ces intermédiaires comme indicateurs, qui pourraient « révéler où sont partis et entre quelles mains se trouvent les œuvres recherchées4 ». Il y aurait donc intérêt, selon lui, « à ne pas tenir le personnel des Musées Nationaux en dehors des poursuites actuelles ; au contraire, la nécessité d’une liaison à établir dès maintenant au profit des Musées Nationaux paraît évidente5 ». En tant qu’officier de réserve du 2e bureau de l’état-major, il conclut en rappelant sa disponibilité pour être « mobilisé immédiatement dans un service de contrôle et de recherche au profit des Musées Nationaux6 », en vue de participer à la recherche des œuvres d’art emportées en Allemagne, qui « serait plus efficace si elle s’exerçait dès maintenant, à Paris7 ».
Une personnalité influente de l’épuration du marché de l’art
À la Libération succède par ailleurs l’épuration du marché de l’art, dont la mise en œuvre est confiée à la Commission nationale interprofessionnelle d'épuration (CNIE). De 1946 à 1949, Martin y est nommé comme représentant du ministre de l’Éducation nationale pour les affaires concernant le commerce des antiquités et des objets d’art. La date exacte à laquelle il cesse cette activité est inconnue. Cependant, en mars 1949 encore, le conseiller à la Cour de cassation et commissaire du gouvernement près la CNIE émet un ordre de mission permanent le nommant rapporteur de la Commission « pour les affaires d’antiquaires1 ». Il est précisé que, pour les besoins de cette mission, il est « habilité, aux termes de l’Article 16 de l’Ordonnance [du 29 mars 1945] à se faire communiquer par les Administrations Publiques et les Entreprises privées, tous les documents nécessaires à la manifestation de la vérité. Il peut, en cas de besoin, se faire assister par un officier de Police Judiciaire2 ».
Martin examine ainsi les dossiers ouverts par la CNIE entre 1944 et 1949 au nom de marchands d’art et enquête sur l’activité commerciale des concernés pendant l’Occupation. Sa qualité d’historien d’art, sa parfaite maîtrise de l’allemand et son statut de délégué de l’administration des Beaux-Arts lui confèrent les compétences et l’autorité nécessaires à l’appréciation de la gravité des faits. Les archives de la CNIE concernant le marché de l’art se distinguent par la présence récurrente de notes que Martin rédige à l’intention du président de la Commission. De son écriture anguleuse, le chargé de mission rapporte, en un ou deux feuillets, les conclusions auxquelles il est parvenu. Son avis, presque systématiquement suivi par les membres de la Commission, conditionne nettement l’issue du dossier3.
Souvent, Martin propose un classement sans suite, dont les raisons peuvent être diverses : « très bonne réputation », « n’a pas favorisé les entreprises de l’ennemi », « a manifesté à notre connaissance des sentiments très louables » (dossier Étienne Bignou4) ; « a toujours manifesté des sentiments nettement pro-français », « a gardé les relations les plus favorables avec l’administration française pendant l’Occupation » (dossier Alvaro Barreiro5) ; « a pu faire la preuve qu’il avait dissimulé aux recherches allemandes les principales pièces du stock du magasin en 1940 » (dossier Jansen6) ; « réputation incontestable », « l’enquête de justice n’a pu trouver aucune preuve de la collusion […] avec les Allemands » (dossier André Schoeller7) ; « n’a effectué que des ventes de faible importance dans des conditions qui ne sauraient être regardées comme délictueuses » (dossier Vandermeersch8).
Dans certains autres cas, en particulier si la culpabilité est reconnue par le commissaire du gouvernement de la cour de justice de la Seine, Martin requiert la comparution de l’accusé devant la CNIE à des fins de sanctions. C’est, entre autres, la demande qu’il formule dans le cadre de l’enquête ouverte au nom du marchand parisien Henri Aumaître, dont les tractations « sont nettement répréhensibles » et dont « rien dans son attitude ne permet de relever la moindre intention de ne pas nuire à la conservation du patrimoine artistique national9 ». Les nombreuses notes fournies par Martin au sujet des transactions ayant eu lieu sur le marché de l’art pendant le conflit apportent ainsi un éclairage sur le pragmatisme avec lequel la CNIE traitait les affaires. En dépit de cette mission d’importance pour l’administration des Beaux-Arts, il semble que le chargé de mission n’ait pas souhaité intégrer les cadres, comme l’y invitait Jacques Jaujard.
La carrière d’enseignant après-guerre
À l’issue de sa mission à la CNIE et jusqu’à la fin de sa vie, Michel Martin se consacre pleinement à sa carrière d’enseignant. Aux chaires de l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP, 1943-1967) et de l’École nationale de radiotechnique et d’électricité appliquée de Clichy (ENREA, 1943-1961), qu’il occupe depuis le milieu de la guerre, s’ajoutent bientôt les fonctions de maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP, 1945-1971) et de professeur au lycée Condorcet (1945-1968). Ses occupations extra-professorales sont par ailleurs nombreuses : il est à la fois conférencier à l’École du Louvre (1942-?), à l’École supérieure de guerre, à l’École d’état-major et au Centre d’études étrangères (1945-1965), tout en étant membre du jury aux examens de l’IEP, de l’ESCP (1945-1968) et pour la Journée européenne des écoles, dont le Comité international est créé en 1954. Examinateur au concours national de la France d’outre-mer de 1945 à 1950, il est également membre du conseil d’administration des cours professionnels du commerce extérieur et membre du jury du brevet professionnel du commerce extérieur.
Les nombreuses décorations civiles et militaires de Martin attestent de ses activités pluridisciplinaires : croix de guerre 1939-19401 (1940), chevalier de l’Étoile noire2 (1952), commandeur du Mérite militaire3 (1954), officier de la Légion d’honneur4 (1963), chevalier des Arts et des Lettres5 (1965), officier du Mérite agricole6 (1967), commandeur des Palmes académiques7 (1972).
Au début des années 2000, Michel Martin est à nouveau sollicité par les Musées nationaux pour témoigner de ses souvenirs de guerre, alors que le scandale des œuvres classées MNR (Musées Nationaux Récupération) incitait la direction des Musées à faire toute la lumière sur les œuvres spoliées conservées précairement dans les musées français8.
Michel Martin décède le 8 mai 2003 dans sa résidence parisienne, à l’âge de 98 ans. Dans son entourage, il laisse le souvenir d’une personnalité exigeante et autoritaire, dotée d’une grande culture artistique, administrative et juridique.
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