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13/12/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Sous la direction d’Hermann Voss, nommé à partir de 1943 par Hitler Sonderbeauftragter [chargé de mission spécial], entre autres pour le projet de musée de Linz, le volume des acquisitions d’œuvres d’art et les sommes dépensées à cet effet ne cessent d’augmenter. Son principal agent, surtout sur le marché de l’art français, est Hildebrand Gurlitt.

Chargé de la « Mission spéciale Linz »

Hermann Voss, directeur de la galerie de peinture du Nassauisches Landesmuseum à Wiesbaden (aujourd’hui Museum Wiesbaden), est nommé en mars 1943 directeur de la Gemäldegalerie de Dresde où il succède à Hans Posse, décédé, et ainsi également chargé de mission spécial de Hitler1. Il assure ainsi les deux fonctions de son prédécesseur, à savoir la « poursuite de l’édification du nouveau musée d’art de Linz (Danube) », c’est-à-dire le projet de musée personnel d’Hitler, et la « préparation des décisions [de Hitler] quant à l’utilisation des collections et des œuvres d’art », c’est-à-dire l’application du Führervorbehalt, les « droits réservés du Führer » sur toutes les collections d’art confisquées par les nazis2.

Voss était un éminent connaisseur de la peinture italienne de la Renaissance et de l’âge baroque, également de ce que l’on appelait l’École du Danube, à savoir la peinture de la région du Danube vers 1500, ainsi que de la peinture allemande du XIXe siècle. De 1922 à 1933, il avait été conservateur et directeur adjoint du Kaiser-Friedrich-Museum à Berlin ; l’arrivée au pouvoir des nazis mit un coup d’arrêt à sa carrière dans la capitale de sorte qu’en 1935, il prit la direction de la collection insignifiante de la galerie de peinture du Nassauisches Landesmuseum à Wiesbaden, une tâche qui n’était pas à la hauteur de son niveau. Ainsi vit-il dans l’offre de Hitler sa dernière chance d’occuper un poste de direction dans l’une des meilleures galeries de peinture d’Allemagne3

Sa nomination ayant eu lieu après le tournant de la Seconde Guerre mondiale, au cours de l’hiver 1942-1943, Heinrich Voss, contrairement à Posse, prit toujours en compte dans ses activités pour le Sonderauftrag Linz, la Mission spéciale Linz, la fin envisageable du « Troisième Reich ». Il céda les agendas de l’art spolié à son assistant Gottfried Reimer et se donna lui-même le titre volontairement non spécifique de Sonderbeauftragter für Linz, chargé de la « Mission spéciale Linz » – il évitait ainsi le terme de Führer et suggérait d’autre part qu’il n’était pas responsable de toutes les œuvres d’art spoliées par l’État nazi et de la mise en application concrète du Führervorbehalt.

Procédure arbitraire/d’office

Lorsque le Louvre obtint d’être le premier à pouvoir accéder à la collection Adolphe Schloss, saisie en 1943 dans la France non occupée, les relations entre Voss et Hitler s’en trouvèrent rapidement perturbées1. Cela allait à l’encontre du droit de premier accès que garantissait à Hitler la clause du Führervorbehalt. Posse avait toujours insisté de manière très stricte et conséquente sur le respect de ces « droits réservés du Führer »2. Hitler se trouva déçu de ne pas avoir trouvé en Voss un « nouveau Posse », et de plus il se retira pratiquement complètement dans son quartier général à la fin de la guerre, ces deux facteurs contribuant à éloigner de plus en plus Hitler et Hermann Voss. Les contacts directs se firent rares avant d’être, vers la fin, quasiment rompus.

En conséquence, Voss agit de manière de plus en plus indépendante, quasiment autocratique. Au moment de sa nomination le 16 février 1943, Hitler lui avait expliqué en détail ses intentions quant à la galerie de peintures de Linz et la poursuite de la collection, à savoir que l’accent devait être mis sur la peinture allemande du XIXe siècle3. S’il s’y était conformé, Voss aurait pu se retirer du marché de l’art parisien. Contrairement à Posse, il ne se rendit pas en France dans l’exercice de sa fonction, mais il fit passer à son nom le compte spécial qu’avait Posse à Paris et désigna le marchand d’art Hildebrand Gurlitt comme son principal agent pour opérer des acquisitions, ce dernier devant se charger du règlement financier des transactions en partie directement via le compte spécial. Jusqu’en octobre 1944, ce sont au moins 300 œuvres d’art provenant de France que Gurlitt procura à la Mission spéciale Linz4

Dans sa politique d’acquisitions, Voss s’intéressait d’abord aux œuvres graphiques, notamment parce que l’offre de peintures susceptibles d’entrer dans un musée était alors en grande partie épuisée5. La collection réunie pour le « musée du Führer » comprenant un excellent fonds de peintures baroques françaises provenant de biens confisqués aux Rothschild à Vienne et à Paris, le choix de Gurlitt pour Voss se porta sur de nombreux dessins français des XVIIe et XVIIIe siècles6.

Frénésie d’acquisition

Même si Voss opérait un retrait progressif – en 1944, il passa douze semaines en cure –, ses dépenses ne cessèrent de croître. Après le débarquement des Alliés en Normandie en juin 1944, l’offre sur le marché de l’art parisien explosa littéralement1. Le 28 juin 1944, Gurlitt achetait encore à Paris , pour le compte du chargé de mission spécial, des œuvres d’art à hauteur de plus de trois millions de RM2. Cette frénésie, à première vue absurde, avait pour but de prouver à quel point les nombreux collaborateurs de la Mission spéciale Linz étaient indispensables et ainsi leur épargner – ou tout au moins retarder – leur engagement dans la guerre3

Les collections du cabinet graphique du « musée du Führer » qui se trouvaient à Dresde avaient été évacuées à partir de juillet 1942 au château de Weesenstein4. C’est là que Voss, maintenu à son poste de directeur à Dresde par l’occupant soviétique, les remit à l’armée soviétique le 19 juin 19455.

La fin de la guerre et après

En juillet 1945, Voss se réfugia à l’ouest, à Wiesbaden, où il était encore officiellement directeur du musée. C’est là qu’il fut arrêté par l’administration militaire américaine et interrogé du 15 août au 15 septembre 1945 par les officiers de la Art Looting Investigation Unit (ALIU)1. Dans cet interrogatoire, il déclara ne pas avoir admis dans la collection destinée au Führermuseum des œuvres d’art volées. Lors de sa procédure de dénazification, il réussit également à se tirer d’affaire en camouflant sa fonction de chef de la Mission spéciale Linz2. Se trouvant au seuil de la retraite après la guerre, Voss n’occupa certes plus de poste dans le service public, mais il put poursuivre sans être inquiété une vie de chercheur qui lui valut succès et estime3.