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Portrait peint d'un homme barbu, de trois-quarts gauche, borgne de l'œil droit, tenant une flûte appuyée sur son épaule gauche, portant collerette et chapeau.

Marc Duval, un peintre au cœur des guerres de religion ?

01/06/2023 Recensement de la peinture produite en France au XVIe siècle

Introduction

La table ronde proposée au Festival d’histoire de l’art le 4 juin 2023 est l’occasion pour l’équipe du Recensement de la peinture française au XVIe siècle de présenter un artiste méconnu et pourtant important du XVIe siècle français : Marc Duval. Né au Mans vers 1530, et mort à Paris en 1581, il était à la fois peintre, dessinateur, graveur et sans doute miniaturiste. Il est actif dans l’ombre du portraitiste-en-maître François Clouet mais surtout ancré dans les événements politico-religieux qui secouent l’histoire de France à cette période, et que les différentes expositions du château de Chantilly, du musée de l’Armée et le musée national de la Renaissance, ont mis en valeur ce printemps. La réévaluation de la carrière et de l’œuvre de Marc Duval rend ainsi possible la réattribution d’un groupe d’œuvres ici étudié.

À la redécouverte d’un peintre obscur

Aucune œuvre peinte ou dessinée signée n’est connue de sa main de manière sûre. Il semble n’avoir signé que quelques estampes représentant à la fois des portraits et des copies de grands maîtres. En ce qui concerne les portraits, trois sont conservés : un portrait de Jeanne d’Albret, reine de Navarre ; un de Catherine de Médicis, reine de France (cf. illustration 1) et enfin un portrait collectif des frères Coligny.

La composition de ces estampes permet de suggérer qu’elles étaient alors des copies de peintures. En outre, ce portrait des frères Coligny a été copié en peinture par la suite. Deux toiles qui confirment la pérennité de cette iconographie sont actuellement conservées au Mauritshuis de La Haye et à Knole House de Sevenoaks. Toutes ces estampes sont datées de l’année 1579, soit deux ans avant sa mort. Aurait-il diversifié ses activités au moment où le peintre ne semble plus être employé nulle part ? Cette question reste en suspens. 
C’est donc à partir de ce maigre corpus que nous proposons de développer un groupe d’œuvres picturales autour de cette personnalité artistique.

Un peintre entre cour de France et cour de Navarre

Peu est connu des premières années de sa vie, et sa formation entre l’atelier de son père, de François Clouet et un voyage en Italie auprès du miniaturiste Giulio Clovio ou Palazzo Sacchetti dans les années 1550, reste hypothétique. La première mention attestée de l’artiste date de 1561 où il est cité comme peintre de la ville du Mans. Quelques années plus tard, il se serait installé à Saint-Germain-des-Prés, aux portes de Paris, si on suppose qu’il est bien le « Marcus » miniaturiste de Catherine de Médicis, cité par Karel van Mander (Miedema 1994). À partir de 1567, il devient le peintre de Jeanne d’Albret, reine de Navarre, puis à sa mort en 1572, de Henri IV, alors seulement roi de Navarre (Raymond 1873).

À la lumière des documents conservés, cette carrière à la cour de Navarre reste discrète. À aucun moment il n’est cité comme protestant, ou allié de la cour de Navarre, et il ne semble pas avoir été inquiété par les autorités. Plus encore, en 1576 et 1577, il est nommé « peintre du Roi », ici sans doute Henri III, roi de France. Malheureusement, les listes d’officiers de cette période ne sont pas conservées. Aurait-il été engagé au moment où les relations entre Catholiques et Huguenots se réchauffent autour de cette courte Paix dite de Beaulieu, ou du frère du roi ? Actif à la cour de France tout comme à celle de Navarre, il aurait donc peint des membres des deux factions. Du côté huguenot, on peut donc inclure le portrait collectif des frères Coligny, cité plus haut, mais également un Portrait de Jeanne d’Albret conservé au musée des Beaux-Arts de Berne (cf. illustration 2).

Reine de Navarre, mère du futur Henri IV, elle est l’une des actrices les plus importantes de la cause protestante et mécène du peintre entre 1567 et sa mort en 1572. Il s’agit du portrait le plus tardif de la reine, et qui aurait été peint d’après un dessin qui est actuellement attribué à l’Anonyme Lécurieux, grand peintre anonyme parfois identifié à tort à Jean de Court, peintre actif à la cour entre les années 1550 et 1584.  La très grande fidélité entre dessin, peinture et gravure permet de s’interroger sur les relations entre ces deux peintres, voire à suggérer de rendre cette feuille à Duval.

Du côté catholique, il est également possible d’attribuer à Marc Duval plusieurs tableaux représentant de grands acteurs des Guerres de religion : un portrait d’homme traditionnellement dit de Charles de Gondi ; François de Kernevenoy ou Carnavalet ; Jacques de Savoie, et surtout Sébastien du Luxembourg, vicomte de Martigues, puis duc de Penthièvre. 
Ce groupe est homogène en taille, en format, en composition. Ainsi se dessine une formule du portrait selon Marc Duval.

La Formule Duval

À la cour des derniers Valois, la compétition entre portraitistes semble avoir été assez rude puisqu’une moyenne de quatre à cinq artistes étaient actifs en même temps au service de la famille royale. François Clouet étant le portraitiste du Roi jusqu’en 1572, son art est le modèle à copier. Marc Duval semble avoir été influencé par ce dernier, comme en témoignent les portraits dessinés ou crayons relatifs au peintures citées ci-dessus, attribués majoritairement à l’atelier de François Clouet. 
La qualité d’exécution, et notamment le réalisme exacerbé des portraits permet d’apprécier les qualités du maître, aussi héritée de l’art de François Clouet, tout en employant une palette plus chaude que ce dernier. Toutefois il pousse encore plus loin l’idée de retranscrire fidèlement le portrait de ses commanditaires, quitte à représenter leurs rides, leurs cernes, chaque poil de barbe, chaque mèche de cheveux, mais également les costumes avec une précision digne des plus grands peintres. Cette minutie dans le traitement des détails est également caractéristique de son œuvre gravée, et se dessine également dans son œuvre en tant que miniaturiste. On peut ainsi lui attribuer au moins un des deux portraits de Sébastien du Luxembourg, vicomte de Martigues puis duc de Penthièvre, qu’il a également représenté en peinture (cf illustration 3).

A ce réalisme est associée une composition canonique : le modèle est représenté en buste élargi jusqu’à presque mi-corps, mais ne laissant pas apparaître les mains. L’arrière-plan est invariablement brun-gris, avec l’ombre portée donnant une impression de profondeur. Les visages sont fortement éclairés et mis en valeur. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans un chef d’œuvre du portrait du XVIe siècle : Le Flûtiste Borgne.

Le Flûtiste borgne : son chef d’œuvre ?

Faisant écho au Pierre Quthe que François Clouet peint en 1562, un panneau de chêne légèrement moins ambitieux en taille, mais tout autant en qualité picturale est exposée dans les salles des Peintures françaises de la Renaissance au musée du Louvre. Surgissant d’un fond brun uni, un Flûtiste borgne regarde franchement vers le spectateur (cf. illustration 4).

La maîtrise des rendus des modelés, des articulations des doigts, du tissu moiré de son pourpoint, a laissé suggérer qu’il s’agissait bien d’une énième création du célèbre Janet, surnom du portraitiste de Clouet. Hélène Adhémar reste cependant peu convaincue par cette attribution puisque dans une note conservée dans son dossier d’œuvre et datée de 1951, elle propose de donner ce portrait à Marc Duval, une attribution qui reste alors sans preuve. Ainsi l’œuvre est laissée anonyme par Charles Sterling et Hélène Adhémar dans le catalogue des collections du Louvre en 1965, un anonymat qui perdure jusqu’à aujourd’hui.
Ce tableau n’était pas connu de Louis Dimier lors de la rédaction de son catalogue des portraits de la Renaissance en 1924. La comparaison avec le groupe d’œuvres précédemment cité, donné alors par l’historien au « Peintre de Luxembourg-Martigues », depuis identifié par Jean Adhémar en 1970 à Marc Duval, permet d’insérer cette œuvre au sein de ce corpus. Le réalisme et le rendu de la flûte dans les moindres détails des nervures du bois, et des articulations des mains permet également de rapprocher cette œuvre avec les gravures de Marc Duval. 
Tout comme François Clouet avait peint son ami et apothicaire Pierre Quthe dans une composition ambitieuse (le panneau mesurant 91 par 70 cm), Marc Duval aurait peint un ami musicien (peut-être compositeur ?) mais également tout aussi infirme que lui, puisque le peintre était également connu pour être sourd. Bien que ses dimensions et la composition soient plus monumentales, la chaleur de la palette, le réalisme des traits du visage et le cadrage, jusqu’à l’arrière-plan, permettent d’intégrer aisément ce tableau dans ce groupe de panneaux donnés ici à Marc Duval. Le peintre aurait ici pris un soin pour cette commande particulière. 

Conclusion

Peintre mystérieux, souvent oublié par l’historiographie, Marc Duval était l’équivalent de François Clouet à la cour de Navarre dès le milieu de la décennie 1560. La redécouverte de ce groupe permet d’espérer que d’autres œuvres pourront un jour lui être justement rendues.