Portrait d'un flutiste borgne
Portrait d'un musicien au costume noir tenant une flûte traversière aussi appelée « flûte d'alleman » ou Zwerchpfeiff (pipeau transversal, Adhémar 1950; Mirimonde 1965). La longueur de l'instrument suggère qu'il s'agit d'une flûte basse. Mirimonde ajoute que ce type de flûte s'est généralisé au cours du XVIe siècle. Barbier (2013) précise qu'elle est composée d'un seul corps et que la virole métallique médiane est certainement décorative. Elle cite pour comparaison un instrument conservé au Musée des Instruments de musique de Bruxelles ( Inv. 1065), en buis teinté (Longueur 66 cm , diamètre 22mm). Adhémar (1950) et Mirimonde (1965) ont vu dans cette flûte d'Allemagne l'indice que le flûtiste pouvait être un Allemand attiré par Charles IX, sachant que le tableau est daté de 1566 et que l'année suivante, en 1567, fut créée l'Académie de Musique et de Poésie de Jean-Antoine de Baïf et Thibault de Courville . Rien dans le costume ne permet cependant de suggérer qu'il s'agit d'un étranger.
Plusieurs pistes ont été avancées pour l'identification du modèle:
- Pierre Brunet, joueur de flûte, père de Pierre Brunet baptisé en 1579
- Philippe Brule, maître cellier borgne, époux de la marraine de cet enfant (Fichier Laborde, NAF 12059, n°8780)
- un membre de la famille Dugué (rejeté par C. Scailliérez, 1994)
- Nicolas Delinet (Delynet), joueur de flûte de Charles IX et Henri III entre 1569 et 1586 (Jeanice Brooks, communication écrite , 18 mars 2014.
-Isabelle Handy, Musiciens au temps des derniers Valois (1547-1589), Paris, Paris, Honoré Champion, 2008, cite (p. 123-124) trois flûtistes de la Chambre à la cour d'Henri II : Jehan David, Oudin Régnault et Thomas Devenecourt, qui sont actifs encore dans les décennies suivantes , avec d'autres, Grégoire et Jacques le Vacher, Nicolas Lasnier, Nicolas Delinet .
Muriel Barbier ajoute également que « rien ne prouve pourtant que ce flûtiste soit un musicien professionnel et encore moins un officiel de la cour royale » et qu'il pourrait également s'agir d' «une image de l'ouïe portant secours à la vue altérée ». Cette dimension allégorique pourrait aller dans le sens d'une identification avec Marc Duval, peintre sourd, parfois avancée sans véritable preuve. Le tableau prendrait alors une valeur de miroir inversé entre le peintre et le musicien.
Arnaldo Morelli (2007) a par ailleurs défendu l'idée que les portraits de flûtistes sont souvent plus symboliques que réalistes car la flûte n'est pas un instrument qui se joue seul mais à plusieurs. La flûte étant également le symbole d'Euterpe, muse de la Musique et inspiratrice des compositions musicales, le portrait pourrait aussi être celui d'un compositeur.
Il est en tout cas intéressant de noter que les représentations de musiciens se multiplient sous le règne de Charles IX: plusieurs suites gravées sur bois avec les membres du concert voient le jour vers 1570 ( 5 pièces conservées à la Bnf , le Joueur de cornet à bouquin, la Joueuse de douçaine, la Joueuse de guiterne, la Joueuse de luth, la Joueuse d'orgue positif; deux autres au Metropolitan Museum de New York, dont une Joueuse de flûte). Le Louvre conserve aussi un vitrail en rondel figurant le sculpteur troyen Juliot jouant d'une petite viole ( Département des Objets d'art, OA 1205).
Il reste que le réalisme de ce portrait très naturel invite à chercher son identité et que son infirmité, peut-être flattée par un sens symbolique, ne semble pas pouvoir être un artifice. Peu d'autres portraits de borgnes sont connus, le plus célèbre étant celui, autrefois attribué à Daniel Dumonstier, de Jean d'Harambure dit Le Borgne , compagnon militaire d'Henri IV, conservé à Versailles (MV 3329).
indexation Mirimonde : portraits et personnages isolés
Une note datant de 1951, citant le catalogue d'Hélène Adhémar indique une probable attribution à Marc Duval, non référencée dans l'édition de 1950. Plusieurs auteurs (Scailliérez, 1996; Barbier, 2013) ont considéré que ce nom a été avancé « sans preuve ».
Réétudiée récemment, la comparaison avec les portraits qui lui sont aujourd'hui attribués permet de soutenir l'hypothèse de cette attribution. En effet, l'oeuvre s'intègre dans un groupe de portraits au style similaire incluant des membres importants de la cour des Valois et de Navarre, ce qui semble être également la position du peintre : Jeanne d'Albret au Kunstmuseum de Berne, Sébastien du Luxembourg à la Fondation Bemberg de Toulouse, François de Kernevenoy à Versailles (MV3249), François III de la Rochefoucauld (MV 3223), un portrait 'homme traditionnellement dit de Charles de Gondi, également à Versailles (MV 3311) et Jacques de Savoie, duc de Nemours (Musée Condé, Chantilly, PE 257). Tous ces portraits présentent un cadrage à mi-corps sur un fond marron gris laissant visible leur ombre en arrière-plan et un réalisme saisissant des traits des visages, comparable à celui reconnaissable dans la seule œuvre sure de Marc Duval, une estampe représentant les frères Coligny. Dans ce sens ces portraits s'apparentent à l'œuvre de François Clouet, et en particulier au portrait de Gaspard de Coligny, conservé au Saint Louis Art Museum, présentant les mêmes caractéristiques. Si ce groupe s'avère avoir été peint par le même artiste, le Flutiste Borgne s'intègrerait comme le chef d'œuvre de sa production artistique. Le soin apporté dans ce portrait, sans doute d'un ami musicien et infime tout comme l'artiste, puisque le musicien est borgne et l'artiste sourd, est comparable au soin pris par François Clouet pour son portrait de Pierre Quthe au musée du Louvre (RF 1719 ; texte de C. Cachaud, juin 2022).
attribution donnée lors de son entrée au musée du Louvre
Sterling et Adhémar (1965) qualifient le portrait de « puissant » et le donnent à un artiste de premier plan mais non identifié. Ils indiquent une parenté avec l'art flamand, notamment de Pierre Pourbus, associée à « une stylisation linéaire proches de celles de François Clouet, ce qui incite à le ranger dans l'école française ».
Hodgkins (vente Hodgkins, 1913/06/27) ; Murray; Don Percy Moore - Turner, 1948.
Collection de Sir John Edward Arthur Murray-Scott et Lady Murray-Scott, sa vente Christie's Londres, 27 juin 1913 ; acquisition Hodgkins; Collection de Percy Moore Turner (1877-1950) ; donation, 1948.
n° 20 (Marc Duval ?)
p. 210-211
n° 141