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Marchand d’art spécialisé essentiellement dans la porcelaine, Alexandre Popoff effectue en 1941 plusieurs ventes à des musées allemands, par l’intermédiaire de Karl Haberstock, d’Adolf Wüster, de Friedrich Muthmann ou de Josef Mühlmann.

« Au Vieux Pétersbourg »

Alexandre Popoff est un marchand d’art d’origine russe, né à Tver en Russie en 1885. Arrivé en France en 1919, après une carrière d’officier en Russie, il ouvre son commerce, « Au Vieux Pétersbourg », dès 1920. Il est naturalisé français, ainsi que Berthe Bykovsky, épousée en 1918 à Kiev, par décret du 9 novembre 19301.

Spécialisé dans la porcelaine et l’art russe, même s’il propose également à la vente des objets d’art, textiles, peintures et dessins, Popoff tient boutique avec sa femme dans deux lieux successifs, toujours dans le VIIIe arrondissement de Paris : d’abord au 48 rue Cambon, jusqu’en 1937 ou 1938, puis au 86 rue du Faubourg-Saint-Honoré, jusqu’à sa mort en 1964. Entre août 1940 et au moins novembre 1944, à la suite de désaccords avec sa femme, Popoff s’installe toutefois seul au 63 rue de Ponthieu, également dans le VIIIe arrondissement2.

En 1935, Alexandre Popoff et Cie sont classés « premiers décorateurs au grand concours d’étalage » de la ville de Paris et reçoivent le « grand prix d’honneur »3. Alexandre Serebriakoff (1907-1994) exécute en 1945 des vues d’intérieur de l’appartement d’Alexandre Popoff : on y découvre des pièces relativement petites, meublées de mobilier ancien et décorées de quelques céramiques, avec des gouaches ou aquarelles au mur4. Le couple Popoff dispose aussi d’une maison de campagne à Bougival5.

Popoff travaille ponctuellement en tant qu’expert en porcelaine lors de ventes aux enchères : en 1924 (vente du 10 mai, Paris, hôtel Drouot) ; en 1936, pour Henri Baudoin (vente du 25 novembre, Paris, hôtel Drouot) ou encore en 1938, pour Jean-Joseph Terris (vente des 9-11 mars, Nice, Hall du Savoy). Il publie également sur son domaine de prédilection, la porcelaine. Il est ainsi éditeur et co-auteur avec Charles Eugène de Grollier du Compagnon de l’amateur de porcelaine en 1927 et auteur du chapitre sur la porcelaine dans Russian Art, publié en 19356. En 1930, il indique gagner environ 50 000 F par an7.

Il est également un membre actif de la Société des Amis de la bibliothèque d’art et d’archéologie de l’université de Paris dès 1928 et prête occasionnellement des œuvres pour des expositions ou anime des conférences8.

Enfin, il est très proche du peintre russe Alexandre Benois (1870-1960), ainsi que de sa nièce Zinaida Serebriakova (1884-1967) et de son petit-fils Alexandre Serebriakoff (1907-1994), également peintres. En 1946, il publie Grigori Orlov, poème historique, illustré par Alexandre Benois et Alexandre Serebriakoff et tiré à 200 exemplaires9. L’illustrateur Sergei Vasil’evich Chekhonin (1878-1936) dessine les affiches de sa galerie en 1931, 1932 et 1933.

Dans la seconde moitié des années 1930, Popoff est en relation avec le musée du Louvre pour des acquisitions ou projets d’acquisition : en mars 1936, il vend une « porcelaine rose dite Du Barry, 1771 », acquise 3 000 F pour le département des objets d’art10. En 1938, il est en contact avec le département des peintures pour la présentation d’un tableau et il envoie deux photographies, un tableau de Stefani (Srefani) et deux volets français11.

Un mois après le début de la Seconde Guerre mondiale, le 2 octobre 1939, Alexandre Popoff confie à la direction des Musées nationaux en dépôt temporaire trois caisses d’œuvres d’art « pour être comprises dans les mesures de protection prévues pour les collections nationales », puis à nouveau deux autres caisses en 1940 : les cinq caisses sont stockées au musée de la Céramique, à Sèvres12. Il les récupère en deux fois, en juin et octobre 194613.

Les ventes et dons de 1941

Karl Haberstock lui achète le 28 mars 1941 La Halte de Philips Wouwerman pour 4 000 RM1. Il recommande à Popoff le 21 mars 1942 un certain docteur Heise qui souhaite acheter un grand tapis2. Werner Grote Hasenbalg aurait acheté à Popoff des tapis ou des tapisseries3 ; Adolf Weinmüller lui achète deux dessins4 ; Rolf Grosse, trois tableaux, un cadre, un dessin, des meubles et des céramiques, en juin 1941, expédiées par Schenker de Paris vers Berlin5. Les céramiques, repérées sur les listes d’envois de la maison Schenker et recherchées en Allemagne, sans succès, par la Commission de récupération artistique après la guerre, ne semblent pas avoir été réclamées directement par Popoff, qui les aurait donc vendues sans contrainte6.

Popoff, qui écrit l’allemand et le parle donc aussi sans doute, a également vendu plusieurs œuvres aux musées allemands, directement ou indirectement7. En mars 1941, il vend des céramiques asiatiques ainsi que quelques figurines de Meissen au Kaiser Wilhelm Museum de Krefeld, d’abord directement au directeur du musée, Friedrich Muthmann, puis par l’intermédiaire d’Adolf Wüster8.

Le 25 juin 1941, Haberstock cède au musée de Linz pour 8 500 RM un portrait de femme par Nicolas Maes que Popoff lui avait signalé dès le mois de décembre 1940 et qu’il lui a cédé pour la somme de 25 000 F9. Popoff vend également au musée de Linz, cette fois par l’intermédiaire de Josef Mühlmann, le 28 juillet 1941, pour un total de 9 500 RM, deux panneaux attribués à Dirk Bouts, une Déposition de Croix et un Christ chez Pilate, qu’il avait achetés plus de dix ans plus tôt, en 1930, à la vente après décès de la collection Pelletier10.

En 1941, Popoff vend aussi pour 2 800 RM aux Kunstsammlungen der Stadt de Düsseldorf six dessins qu’il avait acquis entre mai et novembre 1937 à la vente de la succession Deglatigny, un dessin par Johan Wierix et cinq dessins français du XVIIIe siècle11.

La même année, Popoff vend aux Städtische Kunstsammlungen de Nuremberg une huile sur bois représentant Saint Jean, alors attribuée au « maître du retable des Augustins », pour la somme de 2 000 RM, un dessin de Wille ainsi que quatre pièces de porcelaine de Meissen12.

Parallèlement, et toujours en 1941, Popoff fait don au musée de la Céramique de Sèvres d’une « très rare petite soucoupe en Chantilly à décor polychrome. Malheureusement cette pièce est en très mauvais état », comme le note le conservateur du musée, Georges Haumont, dans un courrier au directeur des Musées nationaux, daté du 7 juillet13. Le couple Popoff fait à nouveau un don au Musée national de la Céramique à Sèvres en septembre 1951 : un plat en porcelaine russe de la Manufacture impériale de Saint-Pétersbourg, daté vers 178514.

Même si, à ce jour, Popoff ne semble pas directement impliqué dans des ventes spoliatrices, il faut noter qu’il n’a pas toujours été très regardant sur la provenance des œuvres vendues dans sa galerie. Le 4 février 1941, il est ainsi condamné à dix mois de prison avec sursis et 500 F d’amende pour avoir acheté à un autre marchand et à l’un des voleurs des éléments d’un retable du XIIe siècle volé en 1936 à Andorre-la-Vieille15.

Après 1941, on ne trouve plus de traces de ventes ou d’achats effectués par Popoff pendant la période de l’Occupation. Selon l’enquête des Renseignements généraux dont il fit l’objet en 1944, Popoff aurait fermé son commerce en 1941 par refus « de vendre aux Allemands ». Quelques « gros antiquaires » allemands auraient toutefois continué à échanger avec Popoff après cette fermeture16.

En 1943, il est listé dans la correspondance de Paul Sachs parmi les marchands parisiens comme un marchand fiable (« reliable »), avec la précision que son degré de fiabilité a pu changer depuis mai 194017. Notons que le livre d’or de la galerie et le journal de Popoff, conservés en collection particulière, pourraient apporter des éclaircissements sur l’activité du marchand entre 1941 et 194518.

Après la guerre

Après la guerre, Popoff ne semble pas avoir déposé de dossier auprès de la Commission de récupération artistique ni auprès de l’OBIP, ne fait pas non plus l’objet d’une enquête de la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration et poursuit son activité de marchand au 86 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le rapport des Renseignements généraux daté de 1944 conclut : « on ne croit pas qu’il ait collaboré avec l’ennemi1 ».

Après sa mort, le 1er janvier 1964, à Bougival, sa collection est dispersée2. En 1965, l’Ikonen-Museum de Recklinghausen achète cinquante icônes russes provenant de la succession de Popoff3. Une partie importante de la collection d’Alexandre et de Berthe Popoff a également été vendue en 2009 chez Christie’s à Londres4.