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Gabrielle Chesnier-Duchesne est courtière en objets d’art pour un fonds d’antiquaire dont le propriétaire est son mari, Marcel Chesnier-Duchesne. Pendant la période de l’Occupation, elle est notamment impliquée dans la vente à Göring de tapisseries par Henri Aumaitre.


Des tapisseries pour Göring

Gabrielle Dubois est née le 26 janvier 1897 à Bersillies-l’Abbaye, en Belgique. Elle obtient la nationalité française grâce à son premier mariage et épouse en secondes noces Marcel Chesnier-Duchesne le 15 mars 1930. Il met alors à la disposition de sa femme un fonds d’antiquaire au 83, rue de la Convention. Le commerce reste essentiellement l’activité de Gabrielle Chesnier-Duchesne, assistée par sa fille Solange Sturbois, née de son premier mariage. Mais ce commerce est fortement touché par la crise à partir de 19321.

Le magasin demeure fermé de juillet 1939 jusqu’à la fin de l’année 1940, puis ne fonctionne en moyenne que la moitié de chaque année de l’Occupation2. Au début de 1941, Gabrielle Chesnier-Duchesne affirme avoir reçu la visite d’Élisabeth Collolian, une cliente cherchant des tapisseries gothiques pour une tierce personne3. Peu de temps après, Henri Aumaitre, propriétaire de tapisseries du XVIIe siècle relatant des scènes de la vie de Charles Quint, fait savoir à Gabrielle Chesnier-Duchesne qu’il désire vendre ces tapisseries4. Après des contacts par téléphone avec le potentiel acquéreur proposé par Mme Collolian, elle fait exposer les tapisseries par Aumaitre. Ce dernier trouve un local pour ce faire en les déposant à la galerie Charpentier, alors fermée, service pour lequel le propriétaire, Maurice Deltour, n’obtient aucune compensation. Henri Aumaitre fixe à 3 500 000 F le prix minimum de vente et laisse la main sur la vente à Gabrielle Chesnier-Duchesne.

La première visite à la galerie a lieu un matin en présence de Mme Collolian et de sa belle-fille, ainsi que d’un certain M. Schmidt, préparant la venue du véritable acheteur. Ce dernier se révèle être Hermann Göring lui-même, accompagné par Josef Angerer et Walter Andreas Hofer5. C’est Angerer qui négocie la vente. Il fait émettre un reçu de 4 millions de francs, conservant pour lui-même une commission de 500 000 F et faisant baisser le prix d’achat à 3 500 000 F. Gabrielle Chesnier-Duchesne n’obtient ainsi aucun bénéfice sur ce prix de vente, mais accepte l’offre à la condition d’une intervention auprès de Göring afin de faire libérer ses trois neveux6.

Gabrielle Chesnier-Duchesne remet 3 300 000 F à Henri Aumaitre, ce dernier lui accordant finalement une commission de 200 000 F7. Gabrielle Chesnier-Duchesne fait remarquer dans ses dépositions que « ces 200 000 Frcs qui me sont attribués comme bénéfice dans l’affaire des tapisseries n’ont pas été encaissés par moi. Malgré tout, j’ai accepté de prendre cela à ma charge dès le début de l’enquête8 ». En effet, elle verse à Élisabeth Collolian, intervenue comme intermédiaire, une commission à hauteur de 80 000 F. Le vérificateur du Comité de confiscation des profits illicites relève cependant pendant l’instruction de l’affaire que « l’intéressée déclare par ailleurs qu’elle n’a en fait pas retiré un sou de profit dans cette affaire, mais refuse à en donner les motifs, ce qui laisse donc supposer que cette affaire possède encore des “dessous” ignorés9 ».

Par ailleurs, à la suite de cette vente, Mme Chesnier-Duchesne est convoquée à la Luftwaffe ; convocation due à une plainte déposée par une certaine Mlle Lancelet, qui se prétend propriétaire des tapisseries avec Aumaitre et exige une part des bénéfices de la vente. Mais elle est rapidement mise hors de cause, l’affaire se portant surtout à l’encontre d’Aumaitre10.

Peu après, en mars ou avril 1941, elle reçoit la visite d’Angerer : Göring ayant eu connaissance du bénéfice réalisé par le vendeur des tapisseries (acquises 500 000 F, vendues 4 millions), il réclame une enquête. Il n’est pas certain que Göring ait appris quelle commission Angerer avait prélevée sur le tarif indiqué. Angerer vient également réquisitionner deux tableaux11 dans la boutique de Mme Chesnier-Duchesne, non content du nombre d’intermédiaires sollicités dans cette affaire, et pour lesquels il verse quelques mois plus tard 170 000 F. Le profit réputé frauduleux retenu par le Comité de confiscation des profits illicites pour ces tableaux est de 25 000 F, mais il est imputé à M. Chesnier-Duchesne, puisque le fonds de commerce est à son nom12.

Les autres ventes

Une autre affaire concernant Gabrielle Chesnier-Duchesne fait elle aussi l’objet d’investigations après l’Occupation : lors de l’une de ses visites, Josef Angerer demande à être mis en relation avec la comtesse Geneviève de Boishue, en possession d’une tapisserie des Gobelins qu’il recherche (La Chasse d’Isidore)1. Mais lors de l’entrevue, la comtesse en demande 1 400 000 F, que lui refuse Angerer. L’affaire n’a donc pas de suite2. Mme de Boishue affirme avoir refusé du fait de la nationalité de l’acquéreur et avoir informé Mme Chesnier-Duchesne qu’elle ne vendrait qu’à un Français.

Puis le Dr Hans Wendland, client de Gabrielle Chesnier-Duchesne déjà avant la guerre, se porte acquéreur de cette tapisserie pour son propre compte auprès d’elle. C’est M. Boitel qui achète finalement cette tapisserie pour Wendland, alors que Gabrielle Chesnier-Duchesne s’est retirée de cette affaire à la suite de diverses surenchères de la comtesse3. Cette dernière affirme avoir été forcée de livrer la tapisserie après le versement par M. Boitel de la somme de 2 500 000 F à son compte, à la suite de quoi elle a intenté un procès en justice.

Un bulletin de renseignements de la direction des Douanes de Paris fait état d’une vente d’objets à l’exportation en Allemagne pour un montant de 190 000 F. Cette vente figure dans la comptabilité des Chesnier-Duchesne, mais les époux indiquent avoir vendu ces objets en mars 1944 à un Russe. La livraison en est prise en charge par la maison Chenue, c’est de cette façon qu’ils disent apprendre que ces objets sont en fait destinés à un Allemand, M. Glasmer (il s’agit peut-être de Heinrich Glasmeier)4. Mais cette vente ne fut pas retenue comme illicite.

Gabrielle Chesnier-Duchesne est condamnée par le Comité de confiscation des profits illicites en date du 5 juin 1947 à une confiscation de 200 000 F, ainsi qu’à une amende du même montant. Le montant de cette amende est doublé par une décision du Conseil supérieur de confiscation des profits illicites le 7 juillet 1950. Son époux, Marcel Chesnier-Duchesne, est déclaré solidaire de cette confiscation ainsi que de l’amende5. Gabrielle Chesnier-Duchesne fait également l’objet d’une information devant la cour de justice, classée le 29 mai 19466, ainsi que devant la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration, qui décide à son encontre d’un blâme avec affichage pendant un mois7.