Skip to main content
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Pendant la période de l’Occupation, Henri Aumaitre est notamment impliqué dans la vente à Hermann Göring de tapisseries du XVIIe siècle, qu’il vient d’acquérir par l’intermédiaire d’une certaine Mlle Lancelet et qui furent livrées à la galerie Charpentier. Dans cette affaire, il est en lien avec Gabrielle Chesnier-Duchesne, qui a effectué la transaction avec Göring, et Josef Angerer qui en a réglé le montant.

Des tapisseries pour Göring

Henri Aumaitre, né le 21 novembre 1892 à Souvigny dans l’Allier, exerce en tant que commerçant de tapisseries à partir de 1935. Il cesse son activité au moment de la déclaration de guerre. Du 15 janvier au 30 mai 1940, il occupe un emploi en tant que vendeur pour la société Vve Behal, Gravier & Julien, « Beurre – fromages en gros et demi-gros »1. Depuis le début de l’Occupation, et jusqu’au mois de juillet 1943, il passe beaucoup de temps dans la ferme de ses parents, à Souvigny2. Le fait d’être rattaché à l’exploitation agricole de son père lui permet d’avoir une carte de cultivateur frontalier, qui lui sert au sein d’un réseau nommé Marco-Polo3. Il est ainsi en relation avec un agent de la Résistance et transporte de Moulins à Paris des dossiers, papiers et lettres contenant divers renseignements4. Il reprend son commerce de tapisseries en 1942, mais se voit contraint de le fermer, sous la pression exercée par l’occupant, à la suite de plaintes déposées à son encontre par Mlle Lancelet5.

Après la guerre Aumaitre est cité devant le Comité de confiscation des profits illicites, la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration, ainsi que la cour de justice pour une affaire le liant à Gabrielle et Marcel Chesnier-Duchesne, de même qu’à Élisabeth Collolian. Une lettre écrite par Mlle Lancelet, n’ayant pas apprécié d’avoir été flouée lors d’une vente de sept tapisseries, adressée au ministre des Finances, invite le Comité à étudier l’affaire6. Le motif de sa citation est celui d’« opérations commerciales avec l’ennemi » : elle fait l’objet d’une décision de confiscation à hauteur de 1 905 000 F et d’une amende d’un million de francs7. Quant à la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration, elle décide à l’encontre d’Aumaitre d’un « blâme avec affichage, pendant un mois, à la porte de son magasin8 ». Enfin, l’information en cour de justice est classée sans suite le 29 mai 19469.

L’affaire ayant motivé ces citations était la vente à Göring d’importantes tapisseries pour 4 millions de francs. Henri Aumaitre apprend en 1934 que Léon Civet, un amateur parisien, désire vendre sept tapisseries du XVIIe siècle, représentant des scènes de la vie de Charles Quint10. Cette opération est alors refusée par Aumaitre, jugeant la somme de 500 000 F demandée par le propriétaire des tapisseries trop élevée. Il les acquiert pour 425 000 F dès le début de l’Occupation11. Il attribue 110 000 F à une Demoiselle Lancelet, pour avoir facilité cette opération. Cette acquisition est cependant litigieuse : cette Mlle Lancelet soutient que les tapisseries ont été vendues à un consortium de marchands, à la tête duquel se trouvait Aumaitre, et dont elle fait partie12.

Gabrielle Chesnier-Duchesne, Josef Angerer et la galerie Charpentier

Aumaitre refuse d’être considéré comme l’acheteur de ces tapisseries ayant eu pour but premier de les revendre aux Allemands. Du fait de son activité au sein d’un réseau de résistance, « le simple souci de [sa] sécurité personnelle [lui] commandait d’éviter tout contact des Allemands1 ». Il affirme d’ailleurs que son acquisition des tapisseries était motivée par l’intérêt que leur portait un religieux espagnol, le père Moreno, intérêt dont lui avait fait part Paul Botte. L’objectif était de les offrir par souscription à l’occasion de l’anniversaire du général Franco2. Mais les pourparlers n’ayant pas abouti, Aumaitre fait donc savoir à divers antiquaires qu’il est en possession de ces tapisseries, suite à quoi Gabrielle Chesnier-Duchesne se manifeste auprès de lui3.

Si la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration retient qu’« à l’époque envisagée, seuls les Allemands pouvaient acquérir des biens de cette nature et que l’empressement d’Aumaitre pour effectuer un achat bien au-dessous de la valeur de l’objet acheté n’avait d’autre but que de réaliser une spéculation extrêmement avantageuse ainsi que cela s’est produit4 », l’accusé invoque l’interruption de son commerce en 1939 pour n’avoir plus suivi de très près le marché parisien des antiquités à cette période. Sa défense repose ensuite sur son ignorance de la qualité des acheteurs. Dans une déposition du 13 mars 1946, Gabrielle Chesnier-Duchesne le confirme : « je suis d’accord avec Aumaitre, j’ai dû lui parler pour la première fois du client et lui dire qu’il s’agissait d’un Allemand au plus tôt au moment où je lui ai réglé le prix et peut-être plus tard5. »

Henri Aumaitre a recours à la galerie Charpentier où les tapisseries sont livrées en février 1941 et confiées à Gabrielle Chesnier-Duchesne, chargée par lui d’en exiger un prix minimal de 3 500 000 F6. C’est la raison pour laquelle Aumaitre se défend d’avoir traité avec l’occupant : « À aucun moment, Mme Chesnier-Duchesne ne m’a fait connaître le nom de son client car, évidemment, j’aurais pu traiter directement et l’évincer7 ». Mme Chesnier-Duchesne reçoit à la galerie diverses personnalités allemandes conduites par Josef Angerer, acheteur personnel de Göring, puis Göring en personne8. Elle lui vend l’ensemble des tapisseries pour la somme de 3 500 000 F, versée en espèces par Angerer. Le règlement à Aumaitre a lieu immédiatement, avec une déduction de 200 000 F de commission pour Gabrielle Chesnier-Duchesne9.

Le litige avec Mademoiselle Lancelet

À la suite de cette vente, Aumaitre fait l’objet d’une convocation en septembre 1941 à l’état-major de la Luftwaffe, du fait d’une plainte déposée auprès d’eux par Mlle Lancelet, voulant obtenir la restitution des tapisseries afin de procéder elle-même à la vente. En conséquence de quoi, Monsieur Römer apprend le prix réel d’achat des tapisseries, et Aumaitre se voit contraint de rembourser aux Allemands 800 000 F1. À cette occasion, l’avocat d’Henri Aumaitre, Maître Floriot, propose la restitution de la somme versée et que les tapisseries lui soient rendues, ce qui lui est refusé2

Par ailleurs, il fait également état d’un versement de 60 000 F au profit d’un officier allemand, M. Katzen, pour classement du dossier3. L’acquittement de cette somme fait suite à des convocations et menaces répétées par les autorités allemandes, toujours motivées par l’intervention de Mlle Lancelet, « se prétendant propriétaire des tapisseries avec Aumaitre et réclamant à celui-ci une part des bénéfices4 ».

Ce différend est à l’origine d’une perquisition dont Aumaitre déclare avoir fait l’objet. En effet, la Gestapo se rend à son domicile le 14 mars 19435 et lui confisque des tapisseries anciennes, achetées 950 000 F grâce aux bénéfices en provenance de la vente à Hermann Göring6. Le Comité de confiscation des profits illicites refuse cependant de tenir compte de cette perte, estimant qu’« on ne possède que ses déclarations personnelles sur l’ampleur et le montant exact du vol dont il a alors pu être l’objet7 », puisqu’il constate des discordances entre les différentes estimations de la valeur et de la qualité des biens réquisitionnés.