Guignes, Chrétien Louis Joseph de
24 rue des Bons-Enfants
Nominalement « résident de France à la Chine et consul de France à Canton », en fait chargé de diverses fonctions à Paris. Initialement Ministère des Relations extérieures.
Né à Paris en 1759, Chrétien Louis Joseph de Guignes est le fils de l’orientaliste Joseph de Guignes (ou Deguignes) (1721-1800) et de Marie Charlotte Françoise Hochereau de Gassonville (1736-1806).
Son père, qui fut notamment interprète du roi, secrétaire-interprète pour les langues orientales à la Bibliothèque royale, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, professeur de syriaque au Collège de France et garde des antiques du Louvre, soigne sa formation, en l’initiant particulièrement à la langue chinoise. Sa vocation semble se confirmer lorsqu’en 1781 il présente devant l’Académie des sciences un mémoire sur le planisphère céleste chinois, qui sera publié l’année suivante. La France ayant, en 1776, établi un consulat à Canton, unique port de Chine ouvert aux étrangers, Joseph de Guignes s’emploie à y faire nommer son fils, qui, en novembre 1783, grâce à la protection d’Henri Léonard Jean-Baptiste Bertin (1720-1792), y est nommé deuxième interprète et secrétaire du consulat. Cette nomination, en même temps qu’elle lui ouvre des perspectives professionnelles, lui offre une occasion unique de parfaire sa formation au contact direct de l’empire de Chine. Nommé, avant son départ, correspondant de l’Académie des sciences et de l’Académie des belles-lettres, il devra contribuer à la documentation de ces deux académies, mais aussi participer au réseau d’information de Bertin et constituer un maillon de la chaîne qui relie l’ancien ministre aux missionnaires de Pékin (Cordier H., 1908, p. 59-61 ; Cordier H., 1913). En août 1784, de Guignes atteint Macao, où doivent résider les Européens lorsque aucune opération commerciale ne justifie leur présence à Canton. Dans la position précaire qui est alors la leur, en butte aux mille et une tracasseries des mandarins, de Guignes découvre un univers qui, par bien des aspects, diffère de la vision idéalisée qu’en ont ses correspondants. La création, en juin 1785, d'une nouvelle compagnie française des Indes, la Compagnie des Indes orientales et de la Chine, ayant le monopole du commerce, conduit à la disparition du consulat de Canton, que remplace un simple agent (Cordier H., 1908, p. 64-66). En février 1787, après le départ du dernier consul, de Guignes se voit attribuer par le chevalier d’Entrecasteaux (1737-1793), commandant la flotte française dans les Indes orientales, la double fonction d’agent et d’interprète du roi à Canton (Cordier H., 1908, p. 69-79 ; Cordier H., 1911, p. 30, 37-39). Mais la Révolution et la reprise des guerres contre l’Angleterre achèvent d’interrompre les relations, déjà très difficiles du fait des distances, entre de Guignes et ses correspondants. Plus de nouvelles de Bertin, mort en 1792, plus de nouvelles du roi, ni d’aucune administration française. L’occupation de Pondichéry par les Anglais, en août 1793, le prive non seulement de toute tutelle, mais aussi de tout subside (Cordier H., 1908, p. 92).
C’est dans ce contexte qu’en 1794 il se fait admettre comme interprète au sein de l’ambassade que les Hollandais vont conduire à Pékin auprès de l’empereur Qianlong, sous la direction d’Isaac Titsingh (1745-1812), secondé par André Everard Van Braam Houckgeest (1739-1801). De novembre 1794 à mai 1795, il est ainsi un des rares Européens à pouvoir pénétrer au cœur même de l’empire, jusqu’à la Cité interdite. Si l’ambassade est loin d’être un succès pour les Hollandais, elle marque profondément de Guignes (Guignes, C. L. J. de, 1808).
De retour à Canton, il s’embarque, en janvier 1796, pour l’île de France, en vue de rétablir des liens avec les autorités françaises. N’ayant pu y obtenir le versement des appointements qui lui sont dus, il regagne Macao et Canton, en faisant escale à Manille. En 1797, il quitte définitivement la Chine et, après un nouveau séjour à Manille, parvient, le 1er mai, à l’île de France, où il va séjourner trois ans, non sans s’être marié, le 31 août 1797, avec Anne Louise Clouet (vers 1779 - avant 1843), fille d’un ancien agent de la compagnie des Indes et du consulat de France à Canton (ANOM, 1DPPC/2935). En mars 1801, toutefois, toujours en attente d’instructions et de ressources financières, il se résout à regagner la France (Guignes, C. L. J. de, 1808).
Parvenu à Paris en août 1801, il s’emploie à obtenir la reconnaissance et la rétribution de ses dix-sept années de services.
Le 15 octobre 1802, il est nommé résident et commissaire des relations commerciales de la République à Canton et à Macao. Mais les circonstances politiques excluent bientôt tout nouveau départ. Le ministère des Relations extérieures le nomme un temps chef du bureau des interprètes, avant de l’affecter au classement de ses archives, en 1804 (AMAE-LC, 266QO/21 et 8MD/20 ; Cordier H., 1908, p. 92-95). C’est à l’honneur et à la succession de son père, disparu en 1800, que se consacre de plus en plus de Guignes. Il est admis à l’Institut national, le 6 mai 1803 en tant que membre associé de la troisième classe (histoire et littérature ancienne), puis le 16 janvier 1804 en tant que membre correspondant de la première classe (section de géographie et de navigation) (Franqueville C. de, 1896, t. II, p. 142 ; Institut de France, 1979, p. 277). Il entreprend de publier le récit de ses voyages, qu’il obtient de pouvoir faire imprimer, à ses frais, par les presses de l’Imprimerie impériale. Les Voyages à Péking, Manille et l'Ile de France faits dans l'intervalle des années 1784 à 1801 paraissent en 1808. Centré sur le voyage effectué à Pékin avec l’ambassade de Titsingh et sur la description de l’Empire du milieu, l’ouvrage comporte un volume in-folio dans lequel sont reproduits les dessins réalisés par de Guignes au cours de l’ambassade.
En octobre 1808, de Guignes est officiellement chargé de la réalisation d’un dictionnaire chinois-français-latin, dont l’impression est naturellement confiée à l’Imprimerie impériale. Napoléon en avait auparavant confié la réalisation au sinologue autrichien Joseph Hager (1757-1819). Mais les attaques dont celui-ci a fait l’objet de la part de son rival italien Antonio Montucci (1762-1829) ont conduit les autorités à l’en décharger, au profit de De Guignes, préféré à Montucci, qui ne tarde pas à poursuivre de Guignes de sa vindicte. L’impression du Dictionnaire chinois-français et latin, qui paraît en 1813, constitue un tour de force typographique. Mais sa valeur scientifique est aussitôt contestée, en particulier par les sinologues Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832) et Julius Klaproth (1783-1835), qui dénoncent un plagiat maladroit du dictionnaire chinois-latin du missionnaire franciscain Basile de Gemona (1648-1704), dont un exemplaire manuscrit confié à de Guignes par la Bibliothèque impériale a effectivement constitué la base essentielle de l’ouvrage (Bussotti, M., 2015 ; Landry-Deron, I., 2015).
Alors qu’elle aurait dû marquer la consécration scientifique de De Guignes, la publication du Dictionnaire semble précipiter son déclin dans un domaine où il est éclipsé et écarté par une nouvelle génération de géographes et de sinologues qui entend s’affranchir des hypothèses des siècles passés.
Admis à la retraite par le ministère des Affaires étrangères en 1817, de Guignes se remarie, en 1821, avec Amable Joséphine Petit (1792-1872), fille d’un chef de bureau au ministère de l’Intérieur, qui sera son bâton de vieillesse. La disgrâce dont souffre de plus en plus l’œuvre de Joseph de Guignes alimente son amertume, tant à l’égard de l’Institut que du ministère des Affaires étrangères, dont il a en vain sollicité, en 1818, le soutien financier nécessaire à l’édition des manuscrits hérités de son père (AMAE-LC, 266QO/21 ; AN, MC/ET/XII/1034).
Alors que la perspective de nouvelles entreprises éditoriales semble désormais condamnée, l’impressionnant cabinet chinois qu’il accumule peu à peu à son domicile lui permet de faire revivre et de donner à voir à Paris le décor des heures les plus marquantes et brillantes de son existence.
Et tandis que sa mort, survenue à son domicile le 8 mars 1845, passe à peu près inaperçue, la dispersion de ses collections suscite l’intérêt des connaisseurs.
Article rédigé par Grégoire Eldin
Born in Paris in 1759, Chrétien Louis Joseph de Guignes was the son of orientalist Joseph de Guignes (or Deguignes) (1721-1800) and Marie Charlotte Françoise Hochereau de Gassonville (1736-1806).
His father was an interpreter in the service of the king, secretary-interpreter of oriental languages to the Bibliothèque royale, member of the Academie des inscriptions et belles-lettres, professor of Syriac at the Collège de France and Keeper of antiquities at the Louvre. He took great care in his son’s education, in particular by initiating his study of the Chinese language. This vocation seems to have been confirmed when in 1781 he presented a paper on the Chinese celestial planisphere to the Académie des sciences, which was published the following year. France having established a consulate in Canton in 1776, the sole Chinese port open to foreigners, Joseph de Guignes engineered an appointment there for his son, who, in November 1783, and thanks to the backing of Henri Léonard Jean-Baptiste Bertin (1720-1792), was appointed second interpreter and secretary of the consulate. This nomination opened professional perspectives and also offered him a unique opportunity to improve his mastery of Chinese through direct contact with the Chinese empire. In addition, just prior to his departure for China, he was appointed correspondent of the Académie des sciences and the Académie des belles-lettres. This required that he contributes to the documentation for these two academies, but also participate in Bertin’s information network and serve as a link in the chain connecting the former minister to the missionaries in Beijing (Cordier H., 1908, p. 59-61; Cordier H., 1913).In August 1784, de Guignes reached Macao, where most Europeans were required to reside when there was no commercial transaction justifying their presence in Canton. In the precarious position in which they found themselves, up against the thousand ways Mandarins could create problems for them, de Guignes discovered a universe which differed in many ways from the idealised vision held by his correspondents. The creation in June of 1785 of a new Compagnie française des Indes, the Compagnie des Indes orientales et de la Chine, granted the monopoly on trade, led to the elimination of the consulate in Canton, which was replaced by a simple agent (Cordier H., 1908, p. 64-66). In February of 1787, after the departure of the last consul, de Guignes was awarded by the chevalier d’Entrecasteaux (1737-1793), commander of the French fleet of “les Indes orientales”, the dual function of agent and the king’s interpreter in Canton (Cordier H., 1908, p. 69-79; Cordier H., 1911, p. 30, 37-39). However, the Revolution and the resumption of war with England resulted in the interruption of already very difficult relations between de Guignes and his correspondents owing to the great distances involved. There was no longer any news from Bertin, deceased in 1792, or news from the king, or from any French administration. The occupation of Pondicherry by the English in August of 1793 deprived him of any tutelage as well as any subsidy (Cordier H., 1908, p. 92).
It was in this context in 1794 that he was admitted as an interpreter to the diplomatic mission the Dutch were sending to Peking to Emperor Qianlong, under the direction of Isaac Titsingh (1745-1812), assisted by André Everard Van Braam Houckgeest (1739-1801). Thus, from November 1794 to May 1795, he was one of the rare Europeans allowed to penetrate into the heart of the Empire, and even into the Forbidden City. Though the diplomatic mission was far from a success for the Dutch, the experience made a deep impression on de Guignes (Guignes, C. L. J. de, 1808).
Back in Canton, in January 1796, he returned to the Île de France, with the aim of restoring ties with the French authorities. Having failed to obtain payment for the appointments owed to him, he returned to Macao and Canton, stopping at Manilla along the way. In 1797, he left China once and for all and, after a second sojourn in Manilla, planned to return on 1 May, to the Île de France, where he would live for three years. Meanwhile, on 31 August 1797 he married Anne Louise Clouet (towards 1779 - before 1843), daughter of a former agent of the Compagnie des Indes and of the consulate of France in Canton (ANOM, 1DPPC/2935). In March of 1801, still awaiting instructions and financial resources, he resolved to return to France (Guignes, C. L. J. de, 1808).
Once back in Paris, in August of 1801, he set to work trying to obtain recognition and retribution for his seventeen years of un paid services. On 15 October 1802, he was appointed resident and commissioner of trade relations between the Republic and Canton and Macao. However, political circumstances soon ruled out any new start. The minister of Exterior relations appointed him for a time to serve as head of the bureau of interpreters, prior to assigning him to the task of classifying its archives, in 1804 (AMAE-LC, 266QO/21 and 8MD/20; Cordier H., 1908, p. 92-95). Increasingly de Guignes dedicated himself to the honour and the succession of his father, deceased in 1800. He was admitted to the Institut national, on 6 May 1803 as a third-class associate member (history and ancient literature), after which on 16 January 1804 as a first-class correspondent member (section of geography and navigation) (Franqueville C. de, 1896, t. II, p. 142; Institut de France, 1979, p. 277). He undertook the project to publish the story of his travels, for which he obtained authorisation to have printed, at his expense, by the presses of the Imprimerie impériale. The Voyages à Péking, Manille et l'Ile de France faits dans l'intervalle des années 1784 à 1801 were published in 1808. Focused on his trip to Peking with the diplomatic mission of Titsingh and on the description of the Middle Kingdom, the book is comprised of an in-folio volume in which de Guignes reproduced the drawings he had done during his time with the diplomatic mission.
In October 1808, de Guignes was officially assigned the project to produce a Chinese-French-Latin dictionary, the printing of which was naturally entrusted to the Imprimerie impériale. Napoléon had previously assigned this mission to Austrian sinologist Joseph Hager (1757-1819). However, the attacks to which he was subjected by his Italian rival, Antonio Montucci (1762-1829), led the authorities to revoke his assignment, in favour of de Guignes, who was preferred over Montucci. The later wasted no time in attacking de Guignes as well. The impression of the Dictionnaire chinois-français et latin, published in 1813, was a typographical tour de force. However, its scientific value was immediately contested, in particula by the sinologists Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832) and Julius Klaproth (1783-1835), who denounced it as an inept plagiarism of the Chinese-Latin dictionary compiled by the Franciscan missionary Basile de Gemona (1648-1704), a copy of which the Bibliothèque impériale had made available to de Guignes and which had in fact served as the essential basis of the dictionary (Bussotti, M., 2015; Landry-Deron, I., 2015).
Thus, whereas it ought to have marked the ultimate scientific recognition of De Guignes, the publication of the dictionary seems to have precipitated his decline in a field where he was eclipsed and dismissed by a new generation of geographers and sinologists who sought to free themselves from hypotheses of centuries past.
Granted retirement in 1817 by the ministère des Affaires étrangères, in 1821, de Guignes remarried Amable Joséphine Petit (1792-1872), the daughter of a bureaux head at the ministère de l’Intérieur, who would ensure his security in old age. The disgrace into which Joseph de Guignes’s work increasingly fell fed his bitterness, as much with regard to the Institut as to the ministère des Affaires étrangères, to which in 1818 he made request, which remained unfulfilled, for financial support to publish the manuscripts inherited from his father (AMAE-LC, 266QO/21; AN, MC/ET/XII/1034).
Whereas the perspective of new editorial undertakings seemed henceforth out of the question, the impressive collection of Chinese objects he had gradually assembled in his home enabled him to relive and to show to Paris the décor of the happiest, most memorable and most brilliant period of his life.
Although his death, at home on 8 March 1845, went more or less unnoticed, the dispersion of his collections drew the attention of connoisseurs.
Article by Grégoire Eldin (translated by Gammon Sharpley)
[Objets collectionnés] dessins, peintures, sculptures, figurines, modèles, laque.
[Objets collectionnés] vêtements, accessoires, parfums, pipes et accessoires nécessaires au fumeur
[Objets collectionnés] livres manuscrits et imprimés.
Joseph de Guignes est le père de Chrétien Louis Joseph de Guignes.
Henri Bertin aide Chrétien Louis Joseph de Guignes à devenir deuxième interprète et secrétaire du consulat de Canton. À la mort de Bertin en 1792, une partie de sa collection, notamment des livres, rejoint les collection de de Guignes. (Source : notice Agorha "Chrétien Louis Joseph de Guignes" rédigée par Grégoire Eldin.)
Un Bailleul est mentionné comme acheteur lors de la vente du cabinet chinois de Chrétien Louis Joseph de Guignes. Les peintures et dessins, mais aussi les livres chinois ou intéressant la Chine sont en très grande partie adjugés aux amateurs, marchands et libraires spécialisés Bailleul, Defer, Dondey-Dupré et Duprat. (Source : notice Agorha "Chrétien Louis Joseph de Guignes" rédigée par Grégoire Eldin.)