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Ancien joueur professionnel de tennis pour l’Allemagne, Paul Lindpaintner vivait à Paris sous l’Occupation. Il était en contact direct avec plusieurs dirigeants nazis à l’instar d’Hermann Göring via la galerie Hinrichsen de Berlin.

La galerie Hinrichsen

Officier de cavalerie et ancien joueur professionnel de tennis pour l’Allemagne (il participa aux Jeux olympiques de Stockholm en 19121), Paul Lindpaintner était un marchand d’art amateur. D’après une enquête américaine, Lindpainter (sic) était issu d’une famille aristocratique et ayant un goût distinct, il était notamment connaisseur des meubles2. Il portait également le nom aristocratique de sa mère, d’Almeida, soit en l’ajoutant à son nom de famille, soit en pseudonyme, Pablo d’Almeida.

Lindpaintner aurait vécu à Londres dans les années 1930, à une adresse inconnue. D’après un registre de la ville de Den Haag (La Haye), il y résidait en 1924, dans une villa avec sa femme Marie Wegmann et leurs trois enfants3. Le même document indique que la famille quitta Den Haag en décembre 1924 pour déménager à San Remo en Italie. Toujours d’après l’enquête américaine mentionnée plus haut, le marchand voyageait beaucoup entre la Suisse et l’Allemagne. Pendant les années 1930, il y est nommé comme partenaire de Johannes Hinrichsen qui dirigeait la galerie Hinrichsen au 5 Bellevuestrasse à Berlin4.

Une lettre de cette même galerie en date du 29 juin 1941, signée par Johannes Hinrichsen et Paul Lindpaintner, adressée directement au bureau du Reichsmarschall Hermann Göring, indique que la galerie avait récupéré une sculpture représentant sainte Marie-Madeleine5. Lindpaintner avait donc – via la galerie Hinrichsen – un lien commercial direct avec Göring, au moins en 1941.

Plusieurs sources signalent que Lindpaintner résidait pendant la période 1941-1944 à Paris, notamment à l’hôtel Lotti, rue de Castiglione, tout près de la place Vendôme. Pendant l’Occupation, il aurait été l’agent de Possenbacher (sic), un marchand munichois en contact direct avec des hauts dignitaires nazis6. Toujours d’après la liste des marchands d’art, établie après la guerre par des enquêteurs américains, Lindpaintner aurait acheté six œuvres d’art à l’entreprise Jansen et des meubles à Doucet7.

Le 3 février 1944, Lindpaintner a fait sa demande d’adhésion au Cercle européen (Centre français de collaboration économique et culturelle européenne)8. Les membres de ce cercle devaient certifier sur l’honneur « ne pas être de race juive », « ne pas être conjoint de juif » et « ne présenter ou inviter au CERCLE EUROPÉEN, aucune personne de race juive »9. Ses parrains étaient un certain Monsieur Bender et un Monsieur Kleinschroth10. Ce serait seulement l’interrogatoire de la secrétaire de Lindpaintner, Luise Sack, par les enquêteurs américains après la guerre, qui aurait révélé l’identité de M. Kleinschroth. D’après ses mots, il aura été l’entraîneur de tennis de la famille d’Hermann Göring11.

Le projet de Linz

Une correspondance importante entre cette même secrétaire de la galerie berlinoise du marchand, Mme Luise Sack, Lindpaintner lui-même et différents responsables du Sonderauftrag Linz, dont son directeur, Prof. Dr Hermann Voss, ainsi que Dr Gottfried Reimer, entre mai 1943 et avril 1944, révèle que Lindpaintner achetait des œuvres en France et les proposait directement au musée de Dresde pour le projet de Linz1.

Dans cette correspondance, il est question de différents tableaux que la galerie berlinoise proposait aux dirigeants du projet de Linz, dont un Joseph Vernet, « Das Gewitter » et un Jacob Duck, « Die Wachtstube ». Les deux tableaux furent acquis par le musée de Dresde, dont le dernier pour le projet de Linz au prix de 8 000 RM. Il y est également question d’un tableau de Natoire que Lindpaintner avait envoyé de sa galerie berlinoise à Dresde en mai 1943. Ce tableau fut récupéré par les enquêteurs américains et la Commission de récupération artistique (CRA) après la guerre et restitué à la France2.

Une correspondance entre le marchand et le directeur des musées des Beaux-Arts de Dresde qui s’étale entre septembre 1943 et avril 1944 concerne un tableau « Rinaldo et Armida » d’Antoine Coypel. Lindpaintner souligne qu’il avait acquis ce tableau à Paris, provenant d’une propriété privée. Il le propose au prix de 60 000 RM directement au Prof. Voss. Le tableau fait alors le voyage de Paris à Berlin pour être ensuite entreposé à Tegernsee, l’adresse privée de Lindpaintner en Bavière. Les responsables du Sonderauftrag Linz l’ont fait ensuite transporter à Munich afin de l’entreposer pour raison sécuritaire à l’abri dans le Führerbau. Après l’avoir inspecté en personne, Voss renonce à l’achat du tableau, trouvant sa qualité insuffisante pour le projet de Linz.

La galerie Lindpaintner demande alors de l’envoyer au dépôt d’Alt-Aussee en Autriche. Elle précise que la galerie prendra en charge les frais d’assurance et que le tableau devra être entreposé au nom de Johannes Hinrichsen. Cette correspondance est une preuve sans faille que Lindpaintner et son partenaire berlinois Hinrichsen intervenaient directement auprès des responsables du projet de Linz, et ceci jusqu’au printemps 1944. Et elle montre leur réseau et les trajectoires de leurs transactions. Lindpaintner résidait la plupart du temps à Paris pour dénicher les tableaux. Les œuvres furent ensuite envoyées à leur galerie berlinoise et proposées aux dirigeants du projet de Linz. La correspondance mentionnée montre aussi que Lindpaintner se trouvait de temps à autre dans sa résidence à Tegernsee, notamment en septembre 19433.

D’après un rapport secret de l’USA War Crime Office (Safehaven Report) envoyé de Londres le 24 avril 1945, Paul Lindpainter (sic) aurait expédié un lot de cinq meubles antiques, achetés à Paris via l’entreprise Schenker4. Ce lot de meubles serait parti en train le 31 mars 1944 chez « Baquera, Kusche y Martin » à Irun en Espagne. Il y était entreposé au nom de Lindpainter (sic) indiquant son adresse berlinoise. Ce même rapport souligne à nouveau que Lindpainter (sic) vivait à Paris entre 1941 et 1944, et qu’il était soupçonné d’avoir agi pour l’entreprise Possenbacher (sic) (Johnstrasse 45, Munich). Après la guerre, les services américains demandèrent d’intensifier les investigations au sujet de Lindpaintner.

Un autre rapport du MFAA5 Berlin en date du 9 janvier 1948, concernant une enquête sur les œuvres d’art que les époux Luise Mayer-Fuld et « Dr Acatiu Mayer-Fuld » (sic) avaient entreposées à Biarritz avant de se réfugier aux États-Unis en janvier 1941, indique que les interrogatoires relatifs à des achats d’œuvres se poursuivaient à son encontre6.

Malgré de nombreux indices indiquant l’activité de Lindpaintner sur le marché de l’art pendant l’Occupation et notamment son contact direct avec les dirigeants nazis, il ne semble pas que le marchand soit inquiété par les Alliés après la guerre. Dans une dernière lettre connue, en date du 5 mai 1950, le marchand dit ne pas se rappeler à quel musée allemand il aurait vendu le tableau de Natoire7. Il signale que toutes ses archives de la galerie berlinoise ainsi que certains tableaux auraient été détruits sous le bombardement. Cette lettre est envoyée de son adresse de Madrid (Zurbano 22) au directeur des musées des Beaux-Arts de Bavière. Sur l’en-tête de la lettre ne figure plus le nom de Lindpaintner. En Espagne, il se faisait appeler Pablo d’Almeida.