Cahen d'Anvers, Hugo
Palazzo Núñez-Torlonia, Via Bocca di Leone 78
Villa della Selva
10 avenue Alphand
Une vie franco-italienne
Entre Paris et Rome, fort de relations entretenues par sa famille, Hugo Cahen d’Anvers grandit dans un milieu huppé. Il fréquente les jeunes gens de l’aristocratie de l’époque, la Cour royale italienne et les rejetons de cette haute bourgeoisie juive dont sa famille fait partie. Son grand-père, Meyer Joseph (1804-1881), qui avait adopté le « d’Anvers » au moment de son établissement à Paris (1849), était l’un des fondateurs du réseau bancaire d’où dérive le groupe BNP Paribas. Son père Édouard (1832-1894) avait été l’un des grands responsables de l’aménagement urbain de Rome, après la chute de la papauté. Les revenus acquis lui avaient permis d’acheter un immense domaine entre l’Ombrie, la Toscane et le Latium, dominé par le château de Torre Alfina, auquel il avait lié son titre de marquis (Legé A. S., 2020). L’enfance de Hugo et de son frère aîné Rodolfo (1869-1955) est marquée par la perte prématurée de leur mère Christina Spartali (1846-1884), muse des peintres préraphaélites, d’origine gréco-orthodoxe, qui avait servi notamment de modèle pour La Princesse du pays de la porcelaine de James McNeill Whistler (Freer Gallery of Art, Washington ; voir Tsui A., 2010). Tombée dans une forte dépression, elle ne survécut pas aux traitements de l’époque : la morphine, le chloral et l’électrochoc.
Formé à l’École militaire d’Orvieto à partir de 1890, Hugo Cahen d’Anvers continue à exercer périodiquement dans l’armée jusqu’à 1918. À la mort de son père, pendant que son frère poursuit l’agencement du château de Torre Alfina, il hérite du versant du domaine donnant vers l’Ombrie. Il fait élever une villa près du village d’Allerona – la Villa della Selva – et il tente de transformer ses terres en de florissantes exploitations agroforestières (Rome, Arch. Not., Reg. 2935-431, rep.1451). Il investit dans l’agriculture, dans l’élevage et dans le commerce du bois. Aux côtés d’une famille de notables locaux, les Bernardini, il fonde une cave coopérative et se lance dans l’exportation de vin et d’huile d’olive ombriens à l’étranger (Rome, Cassa di Risparmio, Sez. XVI 1, b. 23, fasc. 143). Très attaché à la communauté locale, il obtient la croix de l’ordre du Mérite du travail en 1900 (Il Comune, 1910, p. 3). À la même époque, il épouse Ida Bertinoro, une dame italienne, probablement catholique, née à Naples en 1879 (Urbani C., 2002, p. 186). Le couple, qui n’a pas de descendants, s’établit dans sa nouvelle villa en 1905 et adopte officieusement deux enfants : Gino Raffaele Valentino Sezzi (n. 1904) et Egle Carletti. Cinq ans plus tard, Hugo Cahen d’Anvers rejoint le conseil municipal d’Allerona. En 1915, bien qu’engagé à Vérone dans le VIe régiment alpin, il obtient et accepte avec enthousiasme son premier mandat de maire. Néanmoins, sans peut-être le savoir, les notables du village viennent de le piéger dans un tourbillon de responsabilités qui, dans l’après-guerre, va se transformer en une cascade de dettes. Dans son rôle institutionnel, Hugo Cahen d’Anvers se trouve représenter l’État en même temps que la communauté locale et ses propres intérêts. Il doit répondre aux réquisitions menées par les autorités militaires, aux dépenses liées à la subsistance des vétérans, aux dettes de ses métayers (Legé A.S., p. 503-506).
La vague de grèves qui se déclenche pendant l’été 1919 ne peut qu’empirer sa situation. Dans cette période qui a pris ensuite le nom de Biennio rosso, les actions de plusieurs syndicats bouleversent la région d’Orvieto, rassemblant parfois quatre ou cinq milliers de paysans. Dans une situation économique précaire, Hugo Cahen d’Anvers préfère abandonner son domaine et regagner la France. La Villa della Selva est vendue le 23 juillet 1920 (Rome, Arch. Not., Reg. 4363-187/273, n. 87018). Avec son épouse, il s’établit au numéro 10 de l’avenue Alphand : Paris est chargée de promesses. Nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1928 (Paris, Arch. Lég. d’hon., dossier étrangers, s.c.), il continue à fréquenter un milieu aux allures italophiles, proche de l’ambassade où travaille son frère Rodolfo. Son épouse Ida, qui tient salon, accueille régulièrement la femme du futur ambassadeur Emmanuel Peretti della Rocca (1870-1958). Parmi ses hôtes figurent également l’ambassadeur américain Myron T. Herrick (1854-1929) et la marquise de Casa Maury (1898-1986), maîtresse du prince de Galles, Édouard VIII d’Angleterre.
Ces fastes s’interrompent brusquement dans les années 1940. Mis en danger par les horreurs de la guerre et par ses origines juives, Hugo Cahen d’Anvers trouve refuge à Nice, en zone libre. C’est là qu’il s’éteint le 24 janvier 1956 (Nice, État civil, Acte de décès, n. 302). Ses cendres sont déposées au cimetière de Saint-Georges à Genève, à côté de celles de son frère et, plus tard, de celles du fils adoptif (et compagnon) de ce dernier, Urbain Papilloud (1895-1987).
Le goût du voyage
À partir du début du XXe siècle, Hugo Cahen d’Anvers profite de la fortune héritée de son père pour se consacrer à sa passion pour les voyages. En 1900, il emmène son épouse à bord de l’Empress of Japan : un paquebot à vapeur, également connu sous le nom de Queen of the Pacific, qui relie régulièrement la côte de Vancouver au Japon. Dans les années qui suivent, d’autres déplacements transatlantiques côtoient des séjours de longue durée : en 1952, il réside à Shanghai (Legé A.S., 2020, p. 500). Ses intérêts se reflètent également dans son inscription précoce au Touring Club de France et dans sa participation à des expéditions tout à fait singulières. Le 27 avril 1911, l’aéronaute Jules Dubois (1862-1928) gagne la coupe Robert-Denoncin de l’Aéro-Club de France, en effectuant un vol en montgolfière de 1 010 kilomètres. Lors de son premier essai, le 20 juin 1910, Dubois n’est pas seul : c’est Hugo Cahen d’Anvers qui l’accompagne dans cette mission vertigineuse, qui démarre à l’usine à gaz hydrogène de Lamotte-Breuil, dans l’Oise (L’Aérophile, 1911, p. 373). Admis à l’Aéro-Club de France en 1909, Hugo avait déjà effectué au moins un voyage au cours de cette même année 1910. Le 20 juillet, nous le retrouvons en ballon, avec Dubois et leurs épouses respectives, dans un parcours qui se déroula sur les 64 kilomètres qui séparent la banlieue parisienne du village de Morville-en-Beauce, dans le département du Loiret (L’Aréophile, 1909, p. 381). En 1910, il s’associe également à l’Automobile-Club de France. Quelques années plus tard, en 1935, il se rend en Algérie et au Maroc, où il opère en tant que photographe. Accompagnés par Edmond Chaix (1866-1960), président du Touring-Club de 1927 à 1938, Hugo Cahen d’Anvers et le reste du groupe sont accueillis par les autorités coloniales des deux pays et accomplissent un parcours de 6 000 kilomètres, traversant le Sahara. Un article paru dans La Revue du Touring Club de France, illustré par plusieurs clichés pris par Hugo, nous offre un beau témoignage de ce séjour au Maghreb (Chaix E., 1935, p. 261-267). Deux ans plus tard, en 1937, il ose davantage. Avec une caravane de douze touristes, principalement d’origine belge, il part pour le Congo. Son groupe débarque au port d’Oran, en Algérie, et traverse l’Afrique par voie terrestre touchant les villes de Gao, au Mali, de Niamey, au Niger, et encore Fort-Lamy – c’est-à-dire N’Djamena, la capitale actuelle du Tchad. Le voyage se poursuit à travers celle qui était l’Afrique équatoriale française, touchant notamment la ville de Bangui, qui est aujourd’hui la capitale de la République centrafricaine (Les Annales coloniales, 1937, p. 2). Aux côtés d’Hugo Cahen d’Anvers se trouvent deux personnages très en vue à l’époque : Martin Birnbaum (1878-1970), marchand d’art et mécène associé de la Scott & Fowles, et l’artiste américain Carl Werntz (1874-1944). Ce dernier est un des élèves d’Alphonse Mucha (1860-1939) et partage la passion d’Hugo pour l’Asie et les voyages. Si notre latifundiste revient de ses pérégrinations fort d’une culture vaste et multiforme, c’est également grâce aux contacts humains qu’il établit pendant ses nombreux déplacements. Ainsi, rentrant à Paris ou plus tôt à Allerona, Hugo conjugue le pragmatisme du bâti aux rêveries d’un Orient fantasmé. En Italie, ses inspirations multiples se reflètent dans l’œuvre du paysagiste Achille Duchêne (1866-1947), aussi bien que dans les collections d’art éparpillées dans les espaces de la villa. Si ses jardins, ses orchidées et ses objets lui permettent de rester en strict contact avec ses passions, la rationalité des espaces lui offre un cadre de travail privilégié
Article rédigé par Alice S. Legé
A Franco-Italian Life
Moving between Paris and Rome, enjoying extensive social ties through his family, Hugo Cahen d'Anvers (1879?-1956) grew up in a privileged environment. He frequented the young people of the aristocracy, the Italian Royal Court and the Jewish bourgeoisie of which his family was a member. His grandfather, Meyer Joseph (1804-1881), who had adopted “d'Anvers” upon establishing himself in Paris (1849), was one of the founders of the banking network which evolved into the BNP Paribas group. His father Edward (1832-1894) had been one of the major authorities in Rome’s urban planning after the fall of the papacy. The income thus acquired had enabled him to buy a huge estate between Umbria, Tuscany and Lazio, dominated by the castle of Torre Alfina, to which he had linked his title of marquis (Legé A. S., 2020). The childhood of Hugo and his older brother Rodolfo (1869-1955) was marked by the premature loss of their mother Christina Spartali (1846-1884), of Greek Orthodox origin and muse of Pre-Raphaelite painters, who had served notably as model for The Princess from the Land of Porcelain by James McNeill Whistler (Freer Gallery of Art, Washington; see Tsui A., 2010). Having fallen into a severe depression, she did not survive the era’s treatments: morphine, chloral hydrate and electroshock.
Educated at the Military School of Orvieto from 1890, Hugo Cahen d’Anvers continued to participate in the army periodically until 1918. On the death of his father, while his brother continued the development of the castle at Torre Alfina, he inherited the slope of the estate facing Umbria. He built a villa near the village of Allerona, the Villa della Selva, and attempted to transform his land into flourishing agroforestry operation (Rome, Arch. Not., Reg. 2935-431, rep. 1451). He invested in agriculture, animal husbandry and timber. Alongside a family of local notables, the Bernardini, he founded a cooperative cellar and exported Umbrian wine and olive oil (Rome, Cassa di Risparmio, Sez. XVI 1 , b. 23, fasc. 143). Strongly attached to the local community, he was awarded the Cross of the Order of Merit for Work in 1900 (Il Comune, 1910, p. 3). At the same time, he married Ida Bertinoro, an Italian, probably Catholic, born in Naples in 1879 (Urbani C., 2002, p. 186). The couple, who had no descendants, settled in their new villa in 1905 and unofficially adopted two children: Gino Raffaele Valentino Sezzi (b.1904) and Egle Carletti. Five years later, Hugo Cahen d'Anvers joined the city council of Allerona. In 1915, although enlisted in Verona in the 6th Alpine Regiment, he obtained and enthusiastically accepted his first mandate as mayor. Nevertheless, perhaps without his knowing it, the village notables had trapped him in a maelstrom of responsibilities which, in the post-war period, would turn into a cascade of debts. In his institutional role, Hugo Cahen d’Anvers found himself representing the state alongside the local community and his own interests. He had to respond to requisitions carried out by the military authorities, the expenses linked to the subsistence of veterans, and the debts of his sharecroppers (Legé A.S., p. 503-506).
A wave of strikes that broke out in the summer of 1919 only worsened his situation. In this period, which was lated dubbed the Biennio rosso, the Orvieto region was upset by the actions of several unions, sometimes bringing together four or five thousand peasants. Facing a precarious economic situation, Hugo Cahen d'Anvers preferred to abandon his domain and return to France. The Villa della Selva was sold on July 23, 1920 (Rome, Arch. Not., Reg. 4363-187 / 273, n. 87018). He settled with his wife at number 10, avenue Alphand. Paris seemed full of promise. Appointed Knight of the Legion of Honor in 1928 (Paris, Arch. Lég. d’hon., dossier étrangers, s.c.), he continued to inhabit an Italophile milieu, close to the embassy where his brother Rodolfo then worked. His wife Ida, who hosted a salon, regularly welcomed the wife of the future ambassador Emmanuel Peretti della Rocca (1870-1958). Also among their guests were the American Ambassador Myron T. Herrick (1854-1929) and the Marquise de Casa Maury (1898-1986), mistress of the Prince of Wales, Edward VIII of England.
These splendours came to an abrupt end in the 1940s. Endangered by the horrors of the war and by his Jewish origins, Hugo Cahen d’Anvers found refuge in the free zone of Nice. It was there that he passed away on January 24, 1956 (Nice, État civil, Acte de décès, n. 302). His ashes were placed in the cemetery of Saint-Georges in Geneva, next to those of his brother and, later, those of the latter's adopted son (and companion), Urbain Papilloud (1895-1987).
The Taste for Travel
From the beginning of the twentieth century, Hugo Cahen d´Anvers took advantage of the fortune inherited from his father to devote himself to his passion for travel. In 1900, he took his wife aboard the Empress of Japan, a steamer also known as the Queen of the Pacific which regularly linked the coast of Vancouver to Japan. The following years brought more transatlantic trips, as well as extended stays: in 1952, he lived in Shanghai (Legé A.S., 2020, p. 500). His interests were also reflected in his early enrolment in the Touring Club de France and in participation in some unique expeditions. On April 27, 1911, the aeronaut Jules Dubois (1862-1928) won the Robert-Denoncin Cup of the Aero-Club de France, completing a hot-air balloon flight of 1,010 kilometres. During his first test, on June 20, 1910, Dubois was not alone: he was accompanied on this dizzying mission, which started at the Lamotte-Breuil hydrogen gas plant in the Oise region, by Hugo Cahen d’Anvers (L'Aérophile, 1911, p. 373). Admitted to the Aero-Club of France in 1909, Hugo already made at least one trip in 1910. On July 20, he flew in a balloon, with Dubois and their respective wives, on a course covering the 64 kilometers separating the Parisian suburbs from the village of Morville-en-Beauce in the department of the Loiret (L'Aréophile, 1909, p. 381). In 1910, he became associated with the Automobile Club de France. A few years later, in 1935, he went to Algeria and Morocco, where he worked as a photographer. Accompanied by Edmond Chaix (1866-1960), president of the Touring Club from 1927 to 1938, Hugo Cahen d’Anvers and the rest of the group were welcomed by the colonial authorities of the two countries and completed a route of 6,000 kilometres, crossing the Sahara. An article published in La Revue du Touring Club de France, illustrated by several photographs taken by Hugo, offers a beautiful record of this stay in the Maghreb (Chaix E., 1935, p. 261-267). Two years later, in 1937, he was even bolder. With a caravan of twelve tourists, primarily of Belgian origin, he departed for the Congo. His group disembarked at the port of Oran, Algeria, and crossed Africa by land, reaching the towns of Gao, Mali, Niamey, Niger, and again Fort-Lamy, i.e. N'Djamena, the current capital of Chad. The journey continued through what was French Equatorial Africa, reaching the city of Bangui, today the capital of the Central African Republic (Les Annales coloniales, 1937, p. 2). Two prominent figures from the time were close to Hugo Cahen d’Anvers: Martin Birnbaum (1878-1970), art dealer and associate patron of Scott & Fowles, and American artist Carl Werntz (1874-1944). The latter, a pupil of Alphonse Mucha (1860-1939), shared Hugo's passions for Asia and for travel. If this latifundiste returned from his peregrinations greatly enriched in diverse cultures, much was owed to the human contacts established during his numerous travels. Back in Paris or earlier in Allerona, Hugo combined the practical realities of the built environment with his fantasies of the Orient. In Italy, his multiple inspirations are reflected in the work of landscape artist Achille Duchêne (1866-1947), as well as in the collections of art dispersed throughout the villa. If his gardens, orchids and objects allowed him to remain close to his passions, the rationality of the spaces offered him an environment conducive to work.
Article by Alice S. Legé (translated by Jennifer Donnelly)
En 1900, Hugo Cahen d'Anvers voyage au Japon au bord de la Empress of Japan.
[Objets collectionnés]
[Objets collectionnés]
[Objets collectionnés] statuettes en bronze doré et en bois laqué.
Louise Cahen d'Anvers est la tante de Hugo Cahen d'Anvers. (Source: Notice Agorha "Hugo Cahen d'Anvers" rédigée par Alice S. Legé).
Emma Cahen d'Anvers et Edouard Levi Montefiore sont l'oncle et la tante de Hugo Cahen d'Anvers. (Source: Notice Agorha "Hugo Cahen d'Anvers" rédigée par Alice S. Legé)