Goya y Lucientes, Francisco de
Saragosse
Formation et premières commandes (années 1760-1775)
Francisco de Goya était le fils de Gracia Lucientes (1785) et de José de Goya (1781), maître doreur à Saragosse, où il était employé par les chanoines de la célèbre basilique du Pilar, alors en rénovation et en embellissement.
Élève de José Luzán à Saragosse dans les années 1760, le jeune Francisco a également vécu à Madrid, où il échoua plusieurs fois, entre 1763 et 1766 au concours de l’Académie San Fernando, fondée en 1752.
Les années 1766-1771 correspondent à une période mal connue de la vie du peintre, où Goya est vraisemblablement resté à Madrid pour parfaire sa formation sous l’égide de Francisco Bayeu (1734-1795), un autre artiste de Saragosse protégé par Raphaël Mengs et devenu « peintre de la Chambre » en 1767. Malgré les péchés de jeunesse évoqués dans sa correspondance ultérieure, Goya a surtout dû mettre à profit sa présence dans la capitale pour s’imprégner des chefs-d’œuvre contenus dans les collections royales, et notamment les fresques vigoureuses et lumineuses de Tiepolo au Palais royal.
Après un séjour à Rome et à Parme en 1771 (où il participa en vain au concours de l’Académie, ses « tons heurtés » lui sont reprochés), il revint à Saragosse, où il reçut ses premières commandes. Entré, à l’instar de son père, au service des chanoines du Pilar, il fut choisi pour décorer le plafond de la chapelle du petit chœur de la Vierge. Terminée en juillet 1772, cette fresque ouvrit la voie à d’autres commandes du même genre.
Il épousa, en juillet 1773, la sœur de Francisco Bayeu, Josefa Bayeu, âgée de 26 ans dont il eut plusieurs enfants, mais tous moururent en bas âge sauf, Francisco Javier, né le 2 décembre 1784.
Au service des Bourbon d’Espagne (1775-1785)
En 1775, Goya s’établit à Madrid (où il vécut, entre 1779 et 1819, dans la rue del Desengaño) et y obtint, probablement par l’entremise de Bayeu, sa première commande importante : des cartons (modèles de tapisserie) pour la Manufacture royale de santa Barbara. Ces tapisseries, destinées à décorer les salles à manger du prince des Asturies (futur Charles IV) aux palais de l’Escorial et du Pardo, occupèrent Goya jusqu’en 1778 et furent suivies, entre 1778 et 1780, par une nouvelle commande du même type destinée à fournir des tapisseries pour la chambre à coucher et l’antichambre de ce même prince au Pardo. Ayant obtenu l’autorisation de graver les œuvres de Diego Velázquez, Goya réalisa des aquatintes. Cette étude des tableaux du grand maître du Siècle d’Or exerça une influence décisive sur l’œuvre du protégé de Bayeu.
Entré ainsi au service de la famille royale, Goya s’intégra aux cercles des ilustrados, ces progressistes influencés par les idées des Lumières. Il rencontra ainsi le juriste Jovellanos, lié à Pedro de Campomanes et au comte de Floridablanca (dont Goya réalisa un portrait en pied en 1783), le graveur Sepulveda ou le financier basque François Cabarrus. À nouveau sollicité par les chanoines du Pilar pour peindre la coupole Regina Martyríum de la basilique, le 5 octobre 1780 il s’installa à Saragosse et présenta deux esquisses à la fabrique du Pilar. Mais il se heurta à la jalousie croissante de Bayeu qui, après avoir exigé en vain des corrections aux travaux de son beau-frère, était allé dénoncer aux commanditaires l’attitude récalcitrante de Goya, qui fut alors obligé de s’exécuter (1780-1781). Cette déconvenue devait l’éloigner durablement de Saragosse comme de son puissant beau-frère.
C’est en 1783 qu’il entra au service de don Luis, frère du roi, réalisant pour lui plusieurs portraits de famille dont une Famille de don Luis (1784), un portrait de groupe baigné d’un clair-obscur intimiste inspiré de Rembrandt. Don Luis mourut l’année suivante, mais Goya retrouva un mécène en la personne du marquis de Peñafiel, futur duc d’Osuna, qui l’emploiera à plusieurs reprises. Fort de ces hautes protections, il devint, le 4 mai 1785, directeur adjoint de la peinture à l’Académie de San Fernando (il remettra par exemple un rapport sur l’enseignement de l’art en octobre 1792).
Le peintre du roi (1786-1808)
Le 25 juin 1786, il est nommé peintre du roi d’Espagne avant de recevoir une nouvelle commande de cartons de tapisseries pour la salle à manger royale et la chambre à coucher des infantes au Pardo. Cette tâche, qui l’occupa jusqu’en 1792, lui donna l’occasion d’introduire certains traits de satire sociale (évidents dans Le Maçon blessé ou La Noce) qui tranchent déjà fortement avec les scènes galantes des cartons réalisés dans les années 1770. En 1788, l’arrivée au pouvoir de Charles IV et de son épouse Marie-Louise (pour lesquels le peintre travaillait depuis 1775) renforça la position de Goya à la Cour, le faisant accéder au titre de peintre de la Chambre dès l’année suivante. Cependant, l’inquiétude royale vis-à-vis de la Révolution française de 1789 (dont Goya et ses amis partageaient certaines idées) provoqua la disgrâce des Ilustrados en 1790 : Cabarrus fut arrêté, Jovellanos contraint à l’exil, et Goya temporairement tenu éloigné de la Cour.
En novembre 1792 il tomba gravement malade lors d’un voyage à Cadix (il s’agissait peut-être d’une forme de méningite). Après plusieurs mois de maladie qui le laissèrent temporairement et partiellement paralysé, il resta physiquement faible et définitivement sourd.
Après la mort de Bayeu, en 1795, Goya sollicita le titre de premier peintre de la Chambre porté par son défunt beau-frère. Il n’obtint pas satisfaction mais, à la même époque, il fut élu directeur de la peinture à San Fernando, poste qu’il abandonna deux ans plus tard en raison de ses problèmes de santé. La même année, il rencontra la duchesse d’Albe dont il réalisa plusieurs portraits
C’est au tournant du siècle que Goya réalisa ses plus fameux chefs-d’œuvre. Parmi ceux-ci, il faut inclure plusieurs commandes royales, telles que la coupole de la chapelle royale de San Antonio de la Florida, à Madrid (1798) ou le célèbre portrait de groupe de La famille de Charles IV (1800), où le peintre rend hommage aux Ménines de Velázquez. Il est alors à l’apogée de sa carrière et le titre de Premier peintre de la Chambre vient enfin récompenser ses efforts. Il travailla également pour l’ambitieux Godoy, dont il immortalisa la maîtresse sous les traits de la sulfureuse Maja nue (vers 1799-1800). Mais ce point culminant de la carrière de Goya est aussi marqué par une grande déception : ses Caprices (Los Caprichos), un recueil de gravures à l’eau-forte et à l’aquatinte publié en février 1799, sont censurés sous la pression de l’Inquisition. L’artiste y avait en effet glissé, parmi des images sinistres et énigmatiques mêlant l’imagerie populaire au fantastique, de violentes attaques contre l’archaïsme d’une société espagnole où l’Église exerçait encore une influence liberticide à l’aube du XIXe siècle.
Les années noires (1808-1828)]
L’invasion française de 1808 joua un rôle crucial dans la vie de l’artiste. Favorable aux idées libérales apportées par les Français mais blessé dans son patriotisme, Goya hésita en effet pendant un certain temps entre la résistance incarnée par la Junte de Séville et les idées de 1789 portées par le roi Joseph 1er, frère de Napoléon 1er. L’année 1810, pendant laquelle il commença à graver Les Désastres de la guerre, un réquisitoire féroce contre les exactions françaises, tout en réalisant le portrait de Joseph Ier, montre bien le tiraillement qu’il ressentit alors et qui lui valut, quelques années plus tard, une réputation « d’afrancesado ».
En juin 1812, Josefa Bayeu, son épouse, mourut à l’âge de 65 ans. Deux mois plus tard, Wellington fit son entrée dans Madrid. Goya réalisa alors le portrait de celui qui avait vaincu les Français, manifestant ainsi son rejet de l’occupant français et son ralliement à la légitimité nationale (et, surtout, libérale) incarnée par les Cortes et le Conseil de régence de Cadix. Ainsi, quand ces dernières institutions décidèrent d’organiser un concours en 1814 pour commémorer l’insurrection madrilène du 2 mai 1808, Goya s’empressa de proposer de « perpétuer par le moyen du pinceau les plus notables et héroïques actions de notre glorieuse insurrection contre le tyran de l’Europe ». C’est ainsi que l’artiste peignit les célèbres Dos et Tres de Mayo (1814).
Le retour d’exil de Ferdinand VII allait cependant sonner le glas des projets de monarchie constitutionnelle et libérale auxquels Goya adhérait. S’il conserva sa place de Premier peintre de la Chambre, Goya s’alarma de la réaction absolutiste qui s’amplifia encore après l’écrasement des libéraux par le corps expéditionnaire français en 1823. Inquiété par l’Inquisition pour avoir peint la Maja nue de Godoy, frappé à nouveau par la maladie, écœuré par la politique réactionnaire de son souverain de maître, Goya fixa ses angoisses et ses désillusions dans les fameuses « Peintures noires » dont il décora les parois de la « maison du sourd » (située dans les environs de Madrid et achetée par le peintre en 1819).
Ce contexte sombre explique pourquoi Goya, prétextant un voyage de santé, quitta l’Espagne le 24 juin 1824 pour s’installer à Bordeaux, lieu d’exil d’autres afrancesados libéraux. Il y fut bientôt rejoint par sa compagne Leocadia Weiss et la fille de celle-ci, Rosario. C’est dans cet exil français (ponctué de quelques séjours en Espagne) qu’il réalisa un recueil de lithographies sur le thème de la tauromachie intitulé Les Taureaux de Bordeaux (1825) et faisant suite aux estampes de la Tauromachie parues en 1816.
Âgé de 82 ans, Goya mourut à Bordeaux dans la nuit du 15 au 16 avril 1828. Goya fut inhumé dans le cimetière des Charteux dans un caveau où reposait déjà son compatriote Martin Goicoechea, beau-père de son fils et ancien maire de Madrid. Lors de l’exhumation en 1899, dans l’impossibilité de reconnaître les corps, ils furent renfermés, tous deux, dans le même cercueil et transférés dans le mausolée à la sacramental de San Isidro à Madrid puis à San Antonio de la Florida.
[Musée Occitanie / Jean-Louis Augé, conservateur en chef du musée Goya]
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