SAMBON Arthur (FR)
Expert très sollicité par les musées français et l’hôtel Drouot, l’archéologue parisien Arthur Sambon était aussi un grand collectionneur et marchand, qui réalisa de nombreuses affaires avec les musées allemands sous l’Occupation, sans que l’on sache très bien si ces transactions étaient volontaires ou forcées.
L’expert en art, archéologue et marchand parisien
Numismate et archéologue de formation, Arthur Sambon n’était pas seulement un expert de renom : il faisait lui-même commerce d’objets de sa collection privée, sise dans un hôtel particulier au 7 rue du Docteur Lancereaux à Paris1. Son père, Giulio Sambon (1836-1921), dont la collection d’objets de théâtre antique se trouve aujourd’hui au Museo del teatro de la Scala, avait lui-même été un marchand d’envergure, qui faisait commerce de pièces de monnaie et d’objets d’art en Italie2. Après avoir dirigé diverses publications scientifiques, parmi lesquelles la revue Le Musée, Arthur Sambon suivit bientôt les traces de son père et proposa régulièrement son expertise lors de ventes aux enchères organisées à la galerie Georges Petit et à Drouot. Entre ses activités de chercheur, de collectionneur et de marchand, la frontière était floue, comme le montre notamment le fonds familial Sambon conservé aujourd’hui aux Archives nationales3.
Les Schenker Papers
Cité dans le rapport final des officiers américains chargés d'enquêter après-guerre sir les spoliations artistiques, le nom de Sambon apparaît dans le registre des personnes supposément impliquées dans le vol d’œuvres d’art pendant l’Occupation : « Sambon, Arthur, Paris, 7 rue du Docteur Lancereaux, a vendu des œuvres à Haberstock ainsi qu’à des musées allemands1». Cette présomption se fondait sur les enquêtes visant le marchand d’art allemand Karl Haberstock2 ; mais surtout, elle s’appuyait sur l’exploitation des documents commerciaux de l’entreprise de transport Schenker, dont l’officier britannique Douglas Cooper (1911-1984), enquêtant sur les spoliations artistiques, avait saisi les registres après la guerre dans sa succursale parisienne abandonnée. Schenker – l’une des plus grandes entreprises de transport allemandes – s’était très tôt spécialisée dans le transport lucratif d’œuvres d’art, de sorte que les documents d’expédition contenaient des informations qui, après la guerre, permirent d’identifier un grand nombre d’acheteurs allemands et de vendeurs français. Dans ces dénommés Schenker Papers, Sambon est cité comme fournisseur du département des antiquités égyptiennes des musées d’État de Berlin3. Les indications sur les acquisitions (par exemple « small wooden figure » ou « relief of a group of men ») restent cependant très vagues et les prix des ventes n’apparaissent nulle part.
Les ventes de Sambon aux Allemands
Comme l’ont confirmé les travaux menés dans le cadre du projet de recherche systématique sur les « acquisitions des musées d’État de Berlin sur le marché de l’art parisien sous l’Occupation, 1940-1944 », le directeur du département des antiquités égyptiennes, Günther Roeder (1881-1966), profita de ses séjours en France, où il était en mission pour le compte de la Luftwaffe, pour acquérir plusieurs objets chez Sambon1. En 1943, il acheta trois objets pour une somme totale de 440 000 F : une statue en calcaire de la Basse Époque représentant une divinité à tête de lion (N° inventaire : ÄM 24021), la statue cube en grès de Youpa, grand intendant de Ramsès II (ÄM 24022), ainsi que le fragment d’un relief funéraire en calcaire avec un cortège funèbre, datant de la XIXe dynastie (ÄM 24023). Quatre autres objets, principalement des reliefs, furent acquis par Roeder auprès du fils de Sambon, Alfred, pour 115 000 F, mais il s’agissait probablement, là aussi, de pièces appartenant à Arthur Sambon, qui, dans les enquêtes menées après la guerre, les fit passer pour ses propres ventes2. À la différence des nombreux achats réalisés par d’autres musées allemands, ces objets n’ont jamais été restitués à la France3 et sont aujourd'hui encore propriété des musées d’État de Berlin.
Volontaire ou contraint ?
En 1948, à la demande du département des antiquités égyptiennes, Alfred Sambon a certes confirmé les ventes au nom de son père entre-temps disparu, mais on peut se demander, au vu de certains documents d’archives français, dans quelle mesure ces ventes ont été volontaires. Comme beaucoup de marchands d’art, Arthur Sambon dut se défendre après la guerre contre l’accusation de collaboration1. Dans le cadre de l’enquête de la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration, son avocat fit la déposition suivante : « Dès le mois de septembre 1940, les Allemands se présentaient chez lui à Paris en demandant à pénétrer en son Hôtel sans délai. […] Le Dr MOBIUS, le Professeur ROEDER, SCHMIDT, RUITGENS, Conservateurs de Musée et les Antiquaires connus : MUHLMAN, JUHLEX et HABERSTOCK, venus ensemble et en délégation chez lui. Et la menace fût aussitôt formulée ; le dilemme était simple : ou M. Sambon acceptait de céder aux Allemands les pièces par eux désignées, ou sa demeure était réquisitionnée et sa collection aussitôt enlevée. Dès lors M. Sambon n’eut plus qu’un souci : temporier et ne céder à la contrainte que dans la mesure où ses concessions l’assuraient d’éviter l’enlèvement massif dont il était menacé2. » Roeder, à en croire l’avocat, aurait donc examiné une première fois la collection de Sambon dès le début de l’Occupation, et exercé sur lui une forte pression, avec d’autres employés et marchands d’art allemands, pour le pousser à vendre.
Les acquisitions ultérieures sont explicitement évoquées dans la déclaration de l’avocat : « […] En juillet 1943, le Professeur ROEDER, Directeur du Cabinet Égyptien du Musée de Berlin et adjoint en France du Dr. MOBIUS, revient à la charge. Les pièces égyptiennes qu’il attend depuis 1940, cette fois, il les exige immédiatement. Les choses se gâtent. M. Sambon est personnellement menacé […]. Les pièces en question, pour éviter la mainmise allemande sur la totalité des collections, sont cédées pour une somme atteignant la moitié du prix de l’ensemble3 ». Il est vrai que l’accusation de collaboration portée contre Sambon aura sans doute contribué à dramatiser les circonstances de ces acquisitions ; mais il reste une question fondamentale : jusqu’où une vente réalisée dans le contexte de l’Occupation peut-elle être considérée comme volontaire ?
Le lien entre protection des œuvres et commerce
Roeder, contrairement à ce qu’affirme l’avocat de Sambon, n’était pas l’adjoint de l’officier du KunstschutzHans Möbius1, mais cette méprise n’en est pas moins révélatrice de l’étroite collaboration qui existait entre l’administration des forces allemandes d’occupation (ici incarnée par le Kunstschutz2), d’une part, et les représentants des musées allemands de l’autre3. Ainsi, Hans Möbius n’était pas seulement le chef de la section « archéologie et préhistoire » du Kunstschutz de Paris ; en sa qualité de conservateur des collections d’État de Cassel, il était également responsable de l’installation de la collection d’antiquités au Landgrafenmuseum de cette même ville4. Après sa nomination à la chaire d’archéologie de l’université de Würzburg, il prit par ailleurs la tête du musée Martin von Wagner en 19435. De par cette double fonction d’officier du Kunstschutz en France et de directeur de musée en Allemagne, Möbius avait donc pour mission à la fois de surveiller le marché de l’art parisien et d’enrichir les collections dont il avait la charge en procédant à des achats sur place.
C’est ainsi que, dans une lettre adressée en 1941 à son collègue de l’université de Bonn Ernst Langlotz (1895-1978), Möbius mentionne avec fierté un cadeau que Sambon lui aurait fait : « Pensez donc, ce bon vieux Sambon m’a offert pour Cassel la charmante statuette en marbre d’Aphrodite accoudée. Je vais plutôt l’emporter à Würzburg. En échange de quoi j’ai pu fournir à sa belle-fille un laissez-passer pour Pau, ce qui est aujourd’hui assez difficile à obtenir6. » Ce que Möbius présente ici comme un échange de faveurs apparaît sous un tout autre jour si l’on considère les déclarations faites par Sambon lui-même après la guerre et les conditions qui étaient celles de l’Occupation. Möbius acquit chez Sambon d’autres objets encore, parmi lesquels le fragment de tête d’une statuette de satyre en basalte vert foncé (N° inventaire : Br 795) pour la somme de 2 300 F, et une statuette hellénistique en bronze, qui, avant même la fin de l’Occupation, fut acheminée à Berlin sans doute pour y être restaurée, et y resta pendant presque 60 ans après la partition de l’Allemagne. Cette statuette a été restituée en 2000 au Museumlandschaft Hessen Kassel7.
À la différence de nombre de ses collègues, Sambon, dans les enquêtes menées après-guerre pour soupçon de collaboration, dresse la liste détaillée de toutes ses ventes. Il en ressort qu’entre novembre 1940 et juillet 1943, il a vendu des objets à des Allemands pour une valeur totale d’environ 1 150 000 F8. Sambon affirme dans le même temps n’avoir acheté aucun nouvel objet après 1939, et n’avoir vendu uniquement des pièces qu’il possédait déjà avant l’Occupation9. Outre Roeder, dont les acquisitions pour le département des antiquités égyptiennes représentent la moitié du chiffre d’affaires de Sambon, Möbius, Haberstock, le directeur des musées de la ville d’Aix-la-Chapelle Felix Kuetgens10 et le marchand d’art Joseph Mühlmann comptaient également parmi ses clients pendant l’Occupation. À la faveur de restitutions réalisées après la guerre, quelques-unes des œuvres vendues par Sambon ont regagné les musées nationaux français et été inscrites à l’inventaire des MNR. Parmi elles, Le Muletier, tableau peint en 1710 par Alessandro Magnasco (MNR 372), que Mühlmann avait acquis en 1941, originellement pour le musée de Hitler à Linz, et qui est aujourd’hui conservé au Louvre11.
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