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29/11/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

Membre du parti depuis la prise du pouvoir en 1933, Kurt von Behr a été l’un des principaux auteurs du pillage des œuvres d’art de l’« Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) ». Depuis 1941, il contrôlait les « unités d’intervention » dans les territoires occupés de France, de Belgique et des Pays-Bas, qui organisaient les confiscations de biens culturels.

Parcours militaire et participation à l'ERR

Kurt von Behr fut l’un des principaux perpétrateurs du pillage des œuvres d’art orchestré par l’Unité d’intervention du gouverneur du Reich Rosenberg (ERR). Von Behr était issu d’une famille du Mecklembourg. Il reçut une formation qui le destinait à devenir agriculteur, mais il fut enrôlé dans la Première Guerre mondiale en tant qu’officier1. À la fin des années 1920, il vécut à Venise et y travailla comme interprète. En 1929, il rejoignit le Stahlhelm2. Par la suite, il travailla à plusieurs reprises comme aide de camp pour le duc de Cobourg. C’est à cette époque que le duc, en sa qualité de président de la Croix rouge allemande, lui décerna le grade de Oberstfeldführer. Le 1er juillet 1933, von Behr adhéra au NSDAP. À partir de la fin 1934, on trouve des traces d’une activité pour le bureau du ministère des Affaires étrangères du NSDAP, alors dirigé par l’idéologue du Parti, Alfred Rosenberg. Après plusieurs interventions à l’étranger, en 1940, von Behr travailla au sein du ministère comme assistant du directeur de l’Amt Westen [« Bureau Ouest »]3, Gregor Ebert. En juillet 1940, Ebert œuvra à Paris sur ordre de Rosenberg à l’édification de l’ ERR [« Unité spéciale d’intervention du gouverneur du Reich Rosenberg »]4. Von Behr participa à cette organisation, dès sa fondation, ce fut elle qui initia le pillage des œuvres et objets d’art dans l’Europe de l’Ouest et, par la suite, dans l’Europe de l’Est aussi.

Dans un premier temps, du mois de juillet 1940 au mois de février 1941, von Behr occupa le poste de chef adjoint du Hauptarbeitsgruppe Frankreich [« Groupe de travail principal, France »]. Il dirigea en outre en union personnelle le Sonderstab Louvre [« Unité spéciale Louvre »] de l’ERR5. Cette branche de l’Unité d’intervention était chargée de réquisitionner les œuvres d’art issues des collections juives tout d’abord à Paris puis, par la suite, dans la France entière. Dans un premier temps, les objets saisis furent placés dans une réserve au Louvre. Après quoi, ils aboutirent à proximité, au musée du Jeu de Paume, où des collaborateurs de l’Unité d’intervention les enregistrèrent et les documentèrent. Une exposition fut organisée le 4 novembre 1940 dans ce musée situé au jardin des Tuileries. Ce fut la première du genre. Le Reichsmarschall Hermann Göring sélectionna certains objets exposés pour les placer dans sa collection d’art personnelle. Jusqu’au mois de novembre 1942, von Behr organisa vingt-deux autres expositions de ce type, desquelles Göring préleva plus de huit cents tableaux, sculptures, tapis et objets artisanaux. En raison de ce travail, von Behr eut tôt fait de passer pour l’exécutant personnel de Göring dans l’opération des spoliations des œuvres d’art6.

Au printemps 1941, outre la direction de l’ « Unité spéciale Louvre », von Behr prit également en charge le contrôle de toutes les unités d’intervention en France, Belgique et Pays-Bas. Il exerça cette fonction vraisemblablement en qualité de dirigeant du Hauptarbeitsgruppe Frankreich [« Groupe de travail principal, France » de l’ERR]. Ce fut à cette époque que von Behr commença à aussi effectuer des échanges pour le compte de Göring. Le premier échange d’œuvres eut lieu le 3 mars 1941. Dans ces affaires, l’Unité d’intervention Rosenberg écoulait des tableaux de peintres de la modernité classique et recevait, en échange, des œuvres des maîtres anciens acquises sur le marché de l’art. Les peintres des œuvres ainsi cédées – Pablo Picasso, Henri Matisse, Georges Braque et Amadeo Modigliani, par exemple –, étaient ceux qui passaient pour « dégénérés » sous le Troisième Reich ; ils étaient donc rejetés pour des raisons idéologiques par les dirigeants de l’Unité d’intervention Rosenberg7.

Entre le mois de mars 1941 et le mois de novembre 1943, vingt-huit échanges de cette nature furent réalisés. Dans ce cadre, l’Unité d’intervention Rosenberg écoula au moins quatre-vingt-treize tableaux8. Le principal repreneur de ces œuvres spoliées et le principal fournisseur en maîtres anciens était le marchand d’art allemand Gustav Rochlitz, qui s’était installé en France bien des années avant la Seconde Guerre mondiale. D’autres marchands d’art implantés à Paris tels que Allen Loebl, Arthur Pfannstiel, Max Stoecklin et le consul Adolf Wüster intervinrent aussi comme partenaires commerciaux. Les repreneurs venus de l’étranger, comme Maria Almas-Dietrich (Munich), Alfred Boedecker (Francfort), Jan Dik (Amsterdam) et Alexander von Frey (Zürich) prirent également part à ce commerce fondé sur le troc. En tant que chef de l’Unité d’intervention Rosenberg à Paris, von Behr signa jusqu’en novembre 1942 la plupart des contrats qui formalisaient ces affaires9. À ce jour, il manque encore vingt-cinq tableaux cédés par l’Unité d’intervention Rosenberg dans le cadre de ces échanges10.

La direction du « Bureau Ouest »

Le 25 mars 1942, Rosenberg fonda, à côté de l’Unité d’intervention Rosenberg, la Dienstelle Westen [« Bureau Ouest »] dont le siège était à Paris. Il s’agissait d’une filiale de son ministère des territoires occupés à l’Est. Dans le prolongement de ladite Möbel-Aktion ou encore M-Aktion [« Action Meubles »], en France, ce service avait pour mission de réquisitionner les biens mobiliers des Juifs déportés. Au mois de mai 1942, von Behr en assura la direction et renonça à sa fonction de directeur de l’Unité d’intervention Rosenberg pour l’Europe de l’Ouest et de l’« Unité spéciale Louvre ». À la place, il assuma les fonctions de « contrôleur » de l’Unité d’intervention ce qui lui permettait de garder un lien avec l’organisation1.

Par la suite, en plus de ses activités pour l’« Action meubles », von Behr continua de s’impliquer dans les affaires du service de Rosenberg au Jeu de Paume. Il continuait également à veiller à ce que Göring ne rencontrât aucune restriction dans sa sélection, parmi les œuvres spoliées, des objets d’art qu’il retenait pour ses collections personnelles. Cependant cette activité se heurtait de plus en plus à la résistance de Robert Scholz qui, en qualité de directeur du Sonderstab Bildende Kunst [« Unité spéciale Beaux-Arts »], était responsable, depuis le printemps 1942, de toutes les affaires concernant les Beaux-Arts dans l’Unité d’intervention. En 1942, Scholz voulut mettre fin aux réquisitions tandis que von Behr insistait pour les étendre, au contraire2. Ce n’est qu’après la défaite des Allemands à Stalingrad que Rosenberg se décida à intervenir dans les luttes de pouvoir opposant ces deux fonctionnaires. Il chargea le directeur de l’Unité d’intervention Rosenberg, Gerhard Utikal, d’entièrement réorganiser cette dernière et de pousser von Behr à la démission. Le noble en démissionna définitivement à la fin du mois de janvier 1943. Scholz assuma dès lors, à sa place, le contrôle de l’ensemble du service parisien désormais dénommé Arbeitsgruppe Louvre (AGL) [« Groupe de travail, Louvre »] et supervisa alors toutes les réquisitions d’œuvres d’art. Dans le prolongement de cette activité, il mit un terme au système permettant à Göring de prélever pour ses collections autant d’œuvres qu’il le désirait3.

La Möbel-Aktion (M-Aktion) ou « Action meubles »

Par conséquent, dans la période qui suivit, von Behr se concentra sur son activité de directeur du « Bureau Ouest » au ministère des territoires de l’Est et prit alors en charge la direction de l’« Action meubles ». Le travail de son commando dévolu aux réquisitions se conforma aux manières de procéder jusqu’alors en vigueur dans l’Unité d’intervention. Travaillant en partie en collaboration avec des informateurs locaux, le service repérait les habitations laissées vacantes par les Juifs déportés. Après quoi, leur contenu était réquisitionné par le Sicherheitsdienst (SD) [Service de la sécurité allemand]. Le « Bureau Ouest » acheminait alors, avec l’aide de sociétés de transport françaises, le mobilier ainsi récupéré dans des entrepôts intermédiaires1. Il y avait, dans Paris, plusieurs entrepôts de ce type. C’était là que les Français contraints au Travail obligatoire sortaient les biens mobiliers livrés ainsi que d’autres appareils ménagers. Ils séparaient les objets devant être expédiés en Allemagne et ceux voués à être vendus sur place, à Paris. Ces entrepôts comprenaient également des ateliers de réparation2. Au cours de l’année 1942, le « Bureau Ouest » étendit ses réquisitions à la Belgique et aux Pays-Bas3.

Dans le prolongement de l’« Action meubles », les collaborateurs de von Behr réquisitionnèrent également des instruments de musique, des tableaux et des objets d’artisanat. Ils laissèrent à la disposition de l’Unité d’intervention Rosenberg les tableaux et les objets d’artisanat parmi lesquels ce dernier sélectionna les pièces de grande valeur et les réserva pour son dépôt d’art réquisitionné4. Les employés du service transféraient les instruments de musique, notamment les pianos, dans un entrepôt spécial, lui-même dirigé par un collaborateur de l’Unité d’intervention Rosenberg spécialisé dans les questions de musique. L’Unité d’intervention Rosenberg assumait à ce stade la mission d’acheminer les instruments dans le Reich5.

Au départ, les mobiliers réquisitionnés étaient prévus pour l’aménagement des locaux du ministère de l’Est dans les territoires soviétiques occupés, mais Hitler changea de stratégie par la suite. Les attaques aériennes alliées sur les villes allemandes à l’Ouest allant en s’intensifiant, le nombre de victimes civiles ayant perdu tous leurs biens dans cette guerre aérienne fut en constante augmentation. C’est la raison pour laquelle, à partir de la fin du mois d’octobre 1942, le dictateur donna pour instruction définitive de distribuer le mobilier réquisitionné en Allemagne de l’Ouest. Le « Bureau Ouest » se mit donc, à partir du mois de novembre 1942, à vendre aux victimes des bombardements dans les villes de l’Allemagne de l’Ouest du mobilier ménager à des prix très avantageux6. Outre les victimes allemandes de la guerre aérienne, le service attribuait aussi du mobilier aux partisans méritants du système et aux soldats de la Wehrmacht de haut rang. En plus de l’évacuation des habitations des Juifs, l’« Action meubles » étendit aussi ses saisies aux containers de déménagement d’émigrés, restés en plan dans les ports d’Anvers, Rotterdam ou Marseille en raison de la guerre7.

Outre la vente sur place de mobiliers à Paris, von Behr organisa également des ventes d’œuvres d’art par le truchement de l’« Action Meubles » [M-Aktion]. Ce furent dans un premier temps des objets issus des évacuations des habitations, qui n’étaient pas éligibles à une exportation en Allemagne. Il s’agissait avant tout d’œuvres considérées comme « art dégénéré »8. Mais on y trouvait également des objets que l’Unité d’intervention avait récupérés et recensés à la suite de réquisitions de logements, mais dont elle jugeait préférable de se débarrasser, après les avoir dument expertisés. En outre, les enregistrements sur les fiches de l’ERR indiquent que l’« Action Meubles » [M-Aktion] recevait également des œuvres vouées à la vente provenant directement des réquisitions d’art effectuées par les hommes de Rosenberg. Selon les fiches conservées, les collaborateurs du Groupe de travail Louvre avaient recommandé que ces ventes fussent réalisées par l’« Action Meubles » [M-Aktion] ; cela concernait au total plus de trois cent quatre-vingt tableaux et dessins. Parmi ceux-ci, il y avait, par exemple, l’aquarelle de Marc Chagall Vue d’un village, au premier plan, un paysan courant après un coq bleu, 48,5 × 40,5 cm (MA-B 793) ; la lithographie de Raoul Dufy, Trois Voiliers et trois bateaux à vapeur sur la mer, 38 × 46,7 cm (MA-B 791) et le pastel de Max Liebermann, Femmes et cavaliers sur la plage, 12 × 19 cm (MA-B 700). Pour plus de cent autres objets, également manquants à ce jour, les membres de l’Unité d’intervention se prononcèrent pour que l’on procédât par un système d’échange commercial9. Le tableau de Vincent van Gogh, Femme à la robe rouge assise sur une chaise avec homme en arrière-plan (34 × 24 cm), issu de la collection Léonce Bernheim/Brissac faisait partie de ces œuvres destinées à être échangées. Ces œuvres n’ont plus été retrouvées après la guerre. On ne sait pas aujourd’hui combien de ventes et d’échanges de ce type ont été effectivement réalisés par von Behr. On sait, en revanche, qu’en 1943, pour son service, il mit aux enchères à l’Hôtel Drouot des œuvres d’art issues des réquisitions10. Il est, en outre, possible de prouver qu’une vente plus importante encore organisée par l’« Action meubles » eut lieu aux Pays-Bas en 194411.

Fin et bilan de la M-Aktion

Au printemps 1944, von Behr étendit le champ des réquisitions réalisées dans le cadre de l’« Action meubles » au Sud de la France. Le « Bureau Ouest » travailla en cette affaire en collaboration avec les membres de l’Unité d’intervention Rosenberg qui, lors des perquisitions, accordaient une grande attention aux œuvres d’art et aux livres1. Le travail du Service prit fin après le débarquement des Alliés sur la côte normande le 6 juin 1944. Le 14 juillet, Rosenberg donna pour mission à von Behr de transporter tous les biens encore entreposés en France dans le Reich allemand. Le 31 juillet, von Behr mit officiellement un terme aux activités du « Bureau Ouest ». Entre le mois de mai 1942 et la fin du mois de juillet 1944, ses collaborateurs avaient perquisitionné plus de 69 000 logements sur le territoire français. Le 30 août 1944, ce type d’activités cessa aussi en Belgique et aux Pays-Bas. Le 13 septembre 1944, von Behr s’installa dans l’ancien monastère de Banz (Bad Staffelstein), que l’Unité d’intervention utilisait comme réserve. En chemin, il détruisit tous les documents de l’« Action meubles ». Au préalable, avant de quitter Paris, il avait remis à la Croix rouge les meubles et mobiliers ménagers restants2.

Le 15 janvier 1945, von Behr présenta à Rosenberg son rapport final sur l’« Action meubles ». Le « Bureau Ouest » avait perquisitionné au total 71 619 appartements juifs dans les pays occupés de l’Europe de l’Ouest et acheminé dans le Reich un volume de plus de 29 436 wagons de chemin de fer de mobilier ménager. Cela représentait quelque 735 trains de 40 wagons à chaque fois. En outre, son service avait accaparé des devises étrangères à hauteur de onze millions de reichsmarks3. Von Behr et son épouse ne bougèrent plus du monastère de Banz jusqu’à la fin de la guerre. Ils se donnèrent tous deux la mort peu après l’arrivée des troupes américaines4.