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Peu avant la guerre, Albert Bourdariat est décorateur et exerce une activité d’antiquaire et d’expert en œuvres d’art. Fin 1940, il rencontre le Dr Wolff à l’hôtel Drouot et est impliqué dans l’affaire qui voit Margot Jansson négocier des marchés avec des maisons de décoration, telles que Fabre & Fils, afin d’aménager dans un goût français les pièces de réception du siège de la Reichsbank à Berlin. En tant qu’expert, il est chargé d’estimer la plupart des objets envoyés en Allemagne par Margot Jansson.

Des expertises pour la Reichsbank

Albert Bourdariat est né le 10 mai 1880 dans le VIIIe arrondissement de Paris. Il est le fils de Joseph Bourdariat, coiffeur, et d’Anaïs Louise de Marguerie1. Il se marie le 16 juin 1913 avec Renée Chartier dans le XVIIe arrondissement. Lors de son mariage, il se déclare comme rentier, tandis que son père, domicilié boulevard Malesherbes, exerce comme antiquaire2. Albert Bourdariat est toujours rentier lors de la naissance de son premier fils le 27 octobre 19133, mais en novembre 1941, lors du mariage de son second enfant, il se dit « décorateur4 ». À cette date il est domicilié au 100, rue de l’Université dans le VIIe arrondissement.

Il existe peu de sources sur l’activité d’antiquaire de Bourdariat avant l’Occupation, il est surtout connu pour être le cofondateur de la Fédération française des sociétés de boxe en 1903, et en est président à la Libération. Pour suivre ses activités de marchand et d’expert à l’hôtel Drouot, il est nécessaire de reprendre les dossiers à son encontre au moment de la Libération, notamment celui du Comité de confiscation des profits illicites conservé aux Archives de Paris5.

Dans ces archives se trouve un « Rapport concernant M. BOURDARIAT Albert 100, rue de l’Université PARIS (7°) » datant du 10 octobre 1945, qui s’intéresse à son activité, et contient les réponses prolifiques de ce dernier6. L’enquêteur commence par s’intéresser aux sources de revenus de Bourdariat, qui selon lui étaient assez faibles avant l’Occupation : il parle en effet de « légers bénéfices avant la guerre ». Bourdariat déclare une activité d’antiquaire et d’expert en objets d’art, mais affirme qu’il a cessé son activité pendant la guerre, refusant notamment de commercer avec les Allemands. 

Cependant, le 22 septembre 1942 il achète un immeuble pour la somme de 750 000 F. Il est rappelé que Bourdariat est cité auprès du Comité de confiscation des profits illicites en raison de son implication dans les achats d’objets par la Reichsbank en tant qu’évaluateur et expert de la plupart des objets envoyés en Allemagne par Margot Jansson. Les fiches d’expertise au nom de Bourdariat transmises par l’ancienne secrétaire de Jansson aux autorités prouvent le rôle de Bourdariat dans ces transactions. 

À ce propos, Bourdariat répond aux enquêteurs qu’à la fin de l’année 1940, il a rencontré le Dr Wolff à l’hôtel Drouot, qui lui a demandé des noms d’antiquaires chez qui il pourrait trouver des objets pour meubler le siège de la Reichsbank à Berlin, lui montrant également des photographies d’objets pour avoir son avis. Selon lui, peu de temps après, Jansson lui a proposé de l’accompagner chez Fabre & Fils pour avoir son opinion sur des meubles qu’elle souhaitait acheter. Le 25 janvier 1941, Bourdariat touche deux commissions correspondant aux ventes faites par Fabre & Fils, achats réalisés par Jansson et facturés à Wolff. D’après Fabre, le lot de meubles est apporté chez Bourdariat pour que Jansson puisse faire son choix rue de l’Université.

Un autre point soulevé est celui d’une vente directe de Bourdariat, et non pas pour son rôle d’intermédiaire. En effet, les enquêteurs ont trouvé une fiche d’expertise rédigée le 15 février 1941 en allemand qui concernait une tapisserie, Hercule chassant les oiseaux des lacs de Stymphale. Une tapisserie du même nom se trouvait dans le stock de Bourdariat, qu’il a déclaré perdu, lors de l’exode de 1940, à la mairie du VIIe arrondissement. Les enquêteurs ont accusé Bourdariat d’avoir au moins vendu un objet de son stock personnel aux Allemands, ce que le principal intéressé a démenti, en arguant qu’il existait plusieurs tapisseries portant le même intitulé7

L’affaire des tapisseries de Sèze

Par ailleurs, le rôle de Bourdariat dans l’affaire des tapisseries de Sèze est rappelé dans ce rapport. En 1941, Bourdariat fut mandaté par Jansson pour acheter deux tapisseries se trouvant au château de Bort à Saint Priest Taurion dans la Haute-Vienne, propriété des époux de Sèze, ceci pour le compte de la Reichsbank et à la demande du Dr Wolff, architecte en chef de la Reichsbank. C’est alors qu’il va chercher Eugène Pouget pour qu’il l’aide dans cette mission. En effet, Pouget connaissait selon lui l’existence de ces tapisseries depuis 1919 ou 1920, moment où il avait essayé de les acheter à sa propriétaire. En septembre ou octobre 1941, Pouget et Bourdariat se rendent une première fois au château de Bort. Selon Pouget, les deux hommes s’y rendent au prétexte, faux, d’écrire un ouvrage sur les tapisseries1. Selon Mme de Sèze, les deux hommes se font passer pour des fonctionnaires du secrétariat général des Beaux-Arts, ce qui est récusé par Bourdariat2.

Pouget retourne là-bas trois mois plus tard (selon sa déclaration de 1945), ou trois semaines après (selon sa déclaration de 1942), avec un photographe pour prendre des images des deux tapisseries. C’est à partir de ce moment que les deux hommes se rendent régulièrement au château pour convaincre les époux de Sèze de vendre les deux objets, et plus particulièrement Mme de Sèze, propriétaire des tapisseries3. M. de Sèze accepte finalement la vente. 

Cependant, il s’agit selon toute vraisemblance d’un piège tendu afin de faire arrêter les deux hommes, ce qui est confirmé par André Castier, le commissaire chargé de l’arrestation de Pouget et Bourdariat le 9 avril 1942. Ces derniers sont arrêtés en possession de vingt millions de francs, la somme allouée par le Dr Wolff et confiée par Jansson pour l’achat des deux tapisseries4, un montant considérable pour l’époque. Lors de leurs interrogatoires, ils affirment qu’il s’agit d’un cadeau de la Reichsbank pour le maréchal Göring5. Les deux hommes sont alors bloqués à Limoges une quinzaine de jours avant d’être relâchés6

Selon Pouget, il avait rencontré Jansson grâce à Bourdariat en mars 19417. En 1945, il explique qu’il savait que la famille de Sèze ne vendrait pas les tapisseries mais que c’était une bonne occasion pour aller en zone libre et « de rendre service à pas mal de gens8 ».

Les procédures fiscales d’après-guerre

Par décision du 7 décembre 1945 du Comité de confiscation des profits illicites, le montant des profits confisqués s’élève à 1 142 600 F, celui de l’amende à 2 285 200 F. Par ailleurs, les charges retenues contre lui, les montants de l’amende et de la confiscation, doivent être publiées à sa charge dans les journaux le Front National, Paris-Presse et Le Populaire, ainsi qu’à la mairie du VIIe arrondissement1

Par décision du 10 mai 1946, le Comité rejette la demande d’Albert Bourdariat d’obtenir des délais de paiement2. Le Comité de confiscation des profits illicites a ensuite étudié des éléments nouveaux apportés par Bourdariat et a décidé le 15 avril 1948 de baisser le montant des sommes confisquées à 942 600 F et celui de l’amende à 1 885 000 F3. Par une lettre datant du 26 février 1951, Bourdariat a envoyé de nouveaux éléments en vue d’une demande de révision4

Il apporte notamment des témoignages de proches afin de montrer son attachement à la France et à son patrimoine. Bourdariat rappelle dans ces courriers son rôle dans le don de la collection Schlichting, ainsi que dans celui de la princesse de Polignac, au musée du Louvre. Il explique aussi que grâce à lui, la collection Tissandier appartenant à M. de Dominicis a échappé à la réquisition allemande et à la vente forcée. Il explique aussi qu’il a profité de ses voyages à Limoges dans l’affaire des tapisseries de Sèze pour aider des Juifs et des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO), il a aussi aidé des personnes à passer la ligne de démarcation, a fourni des certificats de travail et des faux papiers. Cependant, il se désiste de cette demande le 18 février 1952. En effet, il a transmis au Comité de confiscation des profits illicites un faux document pour prouver un mouvement financier5

Bourdariat a demandé la révision de la décision du 15 avril 1948 par courrier en date du 17 mai 19546. Il s’est appuyé sur son acquittement par le tribunal militaire le 20 janvier 1954 dans le cadre des poursuites pour intelligence avec l’ennemi. Cette décision du tribunal militaire concernant le rôle de Bourdariat dans l’affaire des tapisseries de Sèze, n’est pas, pour le Comité de confiscation des profits illicites, en lien avec la décision de confiscation. Par ailleurs, il a affirmé avoir reçu le diplôme et la médaille des Passeurs le 14 juin 1953, ce qui tend à prouver son activité de résistant pendant l’Occupation. Cependant ces éléments ne sont pas considérés comme des faits nouveaux, et cette requête est rejetée par la décision du 27 janvier 19557. Un dernier recours auprès du Conseil supérieur de confiscation des profits illicites a été déposé par Bourdariat le 9 mars 1955, mais a aussi été rejeté8

Bourdariat décède à Paris dans le VIe arrondissement le 3 avril 19749