JANSSON Margot (FR)
Margot Jansson est la compagne de Marius Cassagne qui est son secrétaire. Elle sert d’intermédiaire dans la vente d’objets d’art auprès de la Reichsbank de Berlin, notamment pour des maisons de décoration parisiennes.
L’intermédiaire de la Reichsbank de Berlin
Margot Stavenow, épouse Jansson, est née le 25 mai 1895 en Suède à Stockholm1. Elle est la fille d’Ernest Stavenow et de Martha Hulseberg. De son premier mari, mort le 9 janvier 1931, elle a une fille, née en 19202. Elle s’installe avec sa famille à Paris en 19253. Elle rencontre Marius Cassagne en 1937 et ils vivent maritalement ensemble à partir de 19394. Avant la Seconde Guerre mondiale, Jansson tient une maison de lingerie qui fournit une clientèle anglaise et américaine, ainsi que des maisons de haute couture comme Lanvin et Molyneux.
Elle est obligée de fermer sa boutique en mai 19405. À cette date, Jansson est internée, d’abord au Vélodrome d’hiver, puis au camp de Rieucros en Lozère. Elle est libérée en septembre 1940 avec d’autres prisonnières. Selon le rapport de la Surveillance du Territoire, elle a bénéficié d’un passe-droit, ce qui semble en fait ne pas être le cas6. Pendant l’Occupation, elle décide de devenir intermédiaire dans la vente d’objets d’art. Selon son avocat, Maître Riche, elle défend le prestige et le goût français en donnant des interviews à des journaux suédois lors de séjours dans sa terre natale et fait de la propagande profrançaise7.
La plupart des accusations à l’encontre de Jansson et Cassagne sont dues à un rapport envoyé par Marguerite Nungne au ministère des Finances, dans lequel elle accuse ses anciens patrons de collaboration. Elle détaille les ventes dans lesquelles sont impliqués Cassagne et Jansson. Elle était leur secrétaire pendant le printemps 1941 avant de se faire remercier8. Son attitude pose ainsi question car après avoir quitté contre son gré son emploi auprès de Jansson, elle a travaillé auprès d’un ancien colonel d’état-major allemand qui dirigeait un bureau d’achat allemand pendant la guerre.
Dans son rapport, Nungne explique qu’elle était chargée de faire les traductions de descriptions d’objets des devis d’architectes et de décorateurs et que Cassagne et Jansson travaillaient pour la Reichsbank. La Reichsbank payait les commandes avec l’argent de la Banque de France via le Dr Boettcher, délégué de la Reichsbank auprès de la Banque de France. Les expéditions étaient faites par Lemonnier, Knauer et la maison Joffard9.
Il est vrai que, dès le mois de novembre 1940, Jansson a reçu les visites du Dr Heinrich Wolff (1880-1944), architecte en chef de la Reichsbank. Il lui est adressé par Walther Funk (1890-1960), ministre de l’Économie du Troisième Reich et directeur de la Reichsbank, qu’elle connaissait depuis 191910. Le projet de Wolff était d’aménager dans un goût français les pièces de réception du siège de la Reichsbank. Elle était alors chargée de négocier des marchés avec les maisons Jansen, Puiforcat et Cailleux11. La maison Jansen déclare avoir perçu 16 029 223 F (12 479 071 F pour les travaux et 3 550 152 F pour les achats de meubles, tapisseries et objets d’art), Puiforcat, 3 840 359,95 F pour la livraison d’objets d’orfèvrerie, alors même que la commande la plus importante n’a pas été livrée, et Cailleux, 2 707 000 F pour des meubles et tapisseries12.
Les commissions touchées par Jansson et son compagnon Cassagne, à hauteur de 4 375 000 F, étaient selon eux issues seulement des maisons françaises et non de la Reichsbank13. Jansson et Cassagne ont une activité de courtier et de boîte aux lettres selon leur avocat, par conséquent la majorité des commissions ne devraient pas être considérées comme illicites14.
La recherche de fournisseurs en France
Au début de l’année 1941, Jansson et Cassagne ont d’abord pris contact avec la maison Jansen, en venant de la part de Cailleux, afin de lui proposer de faire la décoration des pièces de réception de la Reichsbank1. D’après Roger Thuillier, qui représente Puiforcat, Jansson et Cassagne sont venus voir les membres de la direction de Puiforcat pour leur demander s’ils seraient d’accord pour accepter une commande. La direction de Puiforcat a accepté à condition de conserver tous les employés. La commande consistait en un service complet pour 100 personnes en argent et vermeil. L’argent et l’or étaient issus de la Section des métaux non ferreux2.
D’après Jansson, c’est parfois elle qui transmet l’argent à des marchands alors même qu’elle n’est pas impliquée dans la vente3. Wolff venait tous les deux ou trois mois pour veiller à la réalisation des objets décoratifs et payer les fournisseurs4. Dans le dossier conservé aux Archives nationales, les copies des reçus de la Reichsbank sont présentes. Il y est spécifié à deux reprises le rôle de Jansson : « La contre-valeur de cette somme servira à payer les derniers objets (tapis, meuble, etc.) dont l’acquisition a été faite à Paris sur instruction de M. le directeur Wolff, et devra être mise à la disposition de Madame Jansson qui effectuera les paiements5. »
Quand les achats avaient lieu dans d’autres maisons que Jansen, Puiforcat, Cailleux, Christofle, Woltner et Dupuis, Jansson ne touchait pas de commission. En effet, elle n’était supposément pas considérée comme un intermédiaire effectif dans ces cas, par exemple lors de ventes par Fabre et Fils et par Jean-Louis Souffrice6. Cette dernière vente est soulignée dans le dossier Jansson. Il s’agit d’un groupe en plomb vendu par l’intermédiaire de Souffrice et qui n’était finalement qu’une reconstitution d’un groupe se trouvant à Versailles et apparemment détruit en 17897. Visiblement il existerait un album photographique de tous les objets pour lesquels Jansson serait impliquée dans la vente, mais il n’a pas été retrouvé. C’est Albert Bourdariat qui était l’expert pour la Reichsbank dans la plupart des transactions et qui était rémunéré par Wolff directement8.
Les procédures d'après-guerre
Le but de Jansson et Cassagne tel qu’ils le décrivent après la Libération était de protéger les ouvriers de ces maisons et de favoriser le goût et le savoir-faire français1. Il ressort des témoignages apportés par les maisons de décoration que la protection des ouvriers et du savoir-faire français a été en effet prise en considération par le couple. La maison Jansen écrit le 8 janvier 1945 : « Les projets furent faits sans que nous acceptions la moindre suggestion de style ou de goût de la part des Allemands et nous avons imposé le style français2. » Dans la suite de la lettre, l’auteur explique que pour éviter la réquisition du personnel à des fins militaires et assurer du travail à plusieurs corps de métier de leurs ateliers, cette commande était bienvenue.
Par ailleurs, la pose en Allemagne des éléments décoratifs a été effectuée à la condition que des prisonniers soient libérés. Ceci a échoué en partie car ce ne sont pas les prisonniers de la maison Jansen qui ont obtenu une libération mais d’autres prisonniers3. Une lettre datant de 1941 souligne de nouveau cet état de fait car la direction de la maison Jansen remercie Jansson de lui éviter la réquisition des ouvriers4. En 1942, la direction de Jansen écrit à Jansson : « Votre parfaite connaissance de la question, vos relations, votre goût, nous faciliteraient la tâche au mieux de ce que, comme vous-même, nous souhaitons non seulement une réussite artistique, mais une réussite au point de vue propagande française5. » Puiforcat quant à lui écrit que la commande du service d’argenterie offre du travail aux ouvriers, qui ne sont par conséquent pas obligés d’aller à l’usine, ce qui leur permet de conserver leur savoir-faire6. Une deuxième commande d’envergure assure par ailleurs un an et demi de travail supplémentaire aux ouvriers artisans d’art7.
Le rôle de Jansson et Cassagne dans l’affaire des tapisseries de Sèze n’est pas du tout évoqué dans les dossiers concernant les poursuites dont Jansson a été l’objet. Il semble que, comme elle l’explique pour d’autres cas, elle ait juste servi de boîte aux lettres à Wolff, Bourdariat et Eugène Pouget8. Elle est domiciliée au 6 rue du Général-Lambert dans le VIIe arrondissement de Paris, où se trouve aussi sa boutique de modéliste de lingerie Margot-Paris jusqu’en 1941 ou 19429. Cependant, à partir de 1941 ou 1942, elle habite au 41 avenue Charles-Floquet à Paris, ancien logement de Gerstlé, décrit comme étant juif et qui aurait quitté son logement suite aux persécutions allemandes. Cassagne et Jansson admettent avoir reçu la visite d’officiers allemands, cependant ils affirment que ce sont les secrétaires de Wolff affectés aux armées après le débarquement10.
En septembre 1944, Jansson est arrêtée par les policiers du commissariat du Gros-Caillou et internée à Drancy avec Cassagne. Ils font l’objet d’une inculpation d’intelligence avec l’ennemi devant la Cour de justice de la Seine et sont amenés à Fresnes, l’affaire est finalement classée11.
Cassagne est également cité auprès du Comité de confiscation des profits illicites le 14 mars 194512. Une première décision du 30 novembre 1945 fixe le montant des profits confisqués à 806 900 F et celui de l’amende à 2 418 000 F. Jansson est déclarée solidaire du paiement à concurrence de 3 224 900 F13. Jansson épouse Cassagne le 5 décembre 1945 à Rueil-Malmaison14. Une décision du 9 janvier 1947 vient abaisser les montants de l’amende et des profits confisqués fixés en 1945, et par décision du 16 avril 1947, le désistement de Cassagne est accepté15.