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Frère de la galeriste Marie Touzain, Pouget est impliqué dans l’affaire des tapisseries de Sèze convoitées par Albert Bourdariat et Margot Jansson pour la Reichsbank de Berlin.

Eugène Pouget et sa sœur Marie Touzain

Eugène Pouget est né dans le XVIIIe arrondissement de Paris le 15 janvier 18891. Il est le fils d’Eugène Pouget et de Nathalie Jalbert, et le frère de Marie Touzain, née Pouget le 26 mai 1876. Il porte aussi les prénoms Maurice et Frédéric. Il se marie dans le XXe arrondissement de Paris avec Marie Trinckvel, le 14 octobre 19202.

Lors de son mariage, il est domicilié au 5 rue de Beaune, dans le VIIe arrondissement, avec sa mère Nathalie Jalbert et est donc voisin de son beau-frère et de sa sœur, qui ont leur galerie au 27 quai Voltaire3. La profession qu’il a déclarée au moment de cette union est celle d’antiquaire4. En effet, lors d’un interrogatoire en date du 9 avril 1942, il a affirmé être expert en art depuis 19195.

Dans l’entre-deux-guerres, il est fondé de pouvoir de la maison située 27 quai Voltaire, où il est entré en 1907, et voyage pour cette maison en Allemagne et en Amérique6. Il n’est pas inscrit au registre du commerce et quand il fait des achats, c’est au nom de sa sœur, Marie Touzain7. Il a par ailleurs une hypothèque sur le premier bureau sur immeuble au 27 quai Voltaire et une maison de campagne à Écouché en indivision avec Marie Touzain, ce qui montre la force de la relation entre les deux, frère et sœur8.

Les tapisseries de Sèze

C’est dans le dossier constitué par le Comité de confiscation des profits illicites conservé aux Archives de Paris qu’il est possible de trouver des informations concernant l’activité d’Eugène Pouget pendant l’Occupation. Pouget est cité devant le 3e Comité de confiscation des profits illicites « pour opérations réalisées avec l’ennemi » (art. 1-1° de l’ordonnance du 18 octobre 1944) à la date du 15 novembre 1946. Le motif de citation retenu est son implication dans l’affaire dite des tapisseries de Sèze. Le dossier en effet spécifie :

« En 1942, M. POUGET, mandaté par GOERING s’est offert pour l’acquisition de tapisseries anciennes appartenant au Vicomte de SEZE domicilié dans la HTE VIENNE. Après de multiples tractations dont le détail est exposé dans le N° ci joint de la « GAZETTE du PALAIS », cette opération a été réalisée mais sous l’intervention de M. POUGET et de son complice BOURDARIAT. L’intéressé a affirmé n’avoir perçu aucune rémunération pour son intervention initiale1. »

Le bulletin de renseignement concernant Pouget issu de la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration, lié au jugement du 15 octobre 1945, affirme que Pouget et Bourdariat « devaient toucher 800 000 F de commission pour cette opération (qui n’a pas été réalisée)2 ».

Dans l’affaire des tapisseries de Sèze, le rôle de Pouget et d’Albert Bourdariat laisse peu de place au doute, même s’il semble qu’ils n’aient pas touché la commission qu’il était prévu qu’ils perçoivent. En 1941, Bourdariat est mandaté par Margot Jansson pour acheter deux tapisseries se trouvant au château de Bort à Saint-Priest-Taurion dans la Haute-Vienne, propriété des époux de Sèze, ceci pour le compte de la Reichsbank et à la demande du Dr Wolff, architecte en chef de la Reichsbank. C’est alors qu’il fait appel à Pouget pour qu’il l’aide dans cette mission.

En effet, Pouget connaissait selon lui l’existence de ces tapisseries depuis 1919 ou 1920, moment où il a essayé de les acheter à leur propriétaire. En septembre ou octobre 1941, Pouget et Bourdariat se rendent au château de Bort. Selon Pouget, les deux hommes s’y rendent sous le prétexte, fallacieux, d’écrire un ouvrage sur les tapisseries3. Selon Madame de Sèze, les deux hommes se sont fait passer pour des fonctionnaires du secrétariat général des Beaux-Arts, ce qui est récusé par Bourdariat4.

Pouget retourne au château trois mois après (selon sa déclaration de 1945) ou trois semaines plus tard (selon sa déclaration de 1942) avec un photographe pour prendre des images des deux tapisseries. C’est alors que les deux hommes se rendent de nouveau régulièrement au château de Bort afin de convaincre les époux de Sèze de vendre les deux objets, et plus particulièrement Madame de Sèze, propriétaire des tapisseries5.

Monsieur de Sèze accepte finalement la vente. Cependant, il s’agit selon toute vraisemblance d’un piège afin de faire arrêter les deux hommes, ce qui est confirmé par André Castier, le commissaire chargé de l’arrestation de Pouget et Bourdariat le 9 avril 1942. Ces derniers sont arrêtés en possession de 20 millions de francs, la somme allouée par le Dr Wolff et confiée par Jansson pour l’achat des deux tapisseries, un montant considérable pour l’époque. Lors de leurs interrogatoires, ils affirment qu’il s’agissait d’un cadeau de la Reichsbank pour le maréchal Göring6. Les deux hommes sont alors bloqués à Limoges une quinzaine de jours avant d’être relâchés7.

Selon Pouget, il a rencontré Jansson grâce à Bourdariat en mars 19418. En 1945, il explique qu’il savait que la famille de Sèze ne vendrait pas les tapisseries mais que c’était une bonne occasion pour aller en zone libre et « rendre service à pas mal de gens9 ».

Les autres ventes

D’après son dossier au Comité de confiscation des profits illicites, c’est la seule transaction où Pouget a fait « affaire avec des Allemands ». Il déclare quelques autres ventes, une vente de mobilier le 20 décembre 1940 qui a rapporté 22 275 F, une vente de mobilier le 27 décembre 1940 qui a rapporté 16 770 F, une vente de mobilier le 23 février 1942 qui a rapporté 201 345 F, une vente de mobilier le 16 juin 1942 qui a rapporté 89 125 F, et une vente de documents historiques à la Bibliothèque nationale pour un montant de 80 000 F le 4 juillet 1944. Il ajoute : « Nota : Tous ces biens étaient en ma possession antérieurement au 1er septembre 19391. » Son dossier est classé sans suite le 9 septembre 19482. Aucune confiscation n’a lieu car il n’a pas déclaré de revenu pendant la période de l’Occupation3.

Il décède à son domicile dans le VIIe arrondissement de Paris, au 1 rue de Beaune, le 9 février 19494. L’accusation publique qui pèse contre lui est alors éteinte avec sa mort, et l’adjoint au commissaire du gouvernement de la Cour de justice du département de la Seine écrit le 11 avril 1949 au président du Comité de confiscation des profits illicites pour demander la levée du séquestre qui frappe les biens de Pouget5.