La corne à boire : un présent de l’un des trois Mages. L’apport du Répertoire des sculptures allemandes des musées de France
Introduction
Lors de l’exposition consacrée aux Rois Mages, qui s’est tenue à Cologne en 2014-2015, les analogies entre les objets d’orfèvrerie, dits « cornes à boire », et les représentations de l’un des présents des Mages ont été soulignées1. À cette association visuelle et formelle s’ajoute la connaissance d’inscriptions gravées sur la monture de dix cornes à boire qui citent les noms des Mages : Gaspard, Melchior, Balthazar2. Dans le cadre d’un mémoire sur la corne à boire au Moyen Âge (XIIIe-XVIe siècle), mené à l’université Panthéon-Sorbonne en 2024 sous la direction de Monsieur Philippe Plagnieux et de Madame Christine Descatoire, nous avons tenté d’approfondir ce rapprochement entre l’objet d’orfèvrerie et le thème de l’Adoration des Mages3. Nous avons notamment consulté le Répertoire des sculptures allemandes des musées de France (bois et bois polychromé, vers 1460-1530) qui présente deux Adorations des Mages conservées au musée Unterlinden de Colmar.
L’iconographie de l’Adoration des Mages dans les derniers siècles du Moyen Âge
L’évangile de Mathieu relate l’épisode de la visite des Mages à Bethléem : « Et voici, l'étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu'à ce qu'étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s'arrêta. Quand ils aperçurent l'étoile, ils furent saisis d'une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l'adorèrent ; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe. » (2, 9-11). À partir du XVe siècle, la représentation de l’Adoration des Mages s’enrichit de multiples détails1. Sculpteurs, peintres, enlumineurs ou orfèvres contemporanéisent les motifs iconographiques. Les Mages sont individualisés, ils incarnent les trois âges de la vie et les trois régions de l’œkoumène médiéval, l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Ils reçoivent des noms, Melchior, Gaspard et Balthazar, qui ne sont pas encore entièrement fixés durant le Moyen Âge. Leurs costumes s’inspirent de ceux des riches marchands venus d’Orient et leurs offrandes diversifiées font référence à des pièces d’orfèvrerie comme des calices, monstrances, nautiles ou cornes à boire.
Les deux représentations de l’Adoration des Mages au musée Unterlinden de Colmar
Au cours du XIIIe siècle, la corne à boire voit ses usages évoluer. Cet objet de vaisselle présent sur la table des festins nordiques quitte peu à peu le répertoire des objets communs et devient un objet d’orfèvrerie luxueux. La corne à boire se trouve aux mains de riches seigneurs pour exprimer leur magnificence, au sein des trésors d’églises en tant que reliquaires mais aussi comme l’un des présents que les Mages apportent à l’Enfant Jésus. Parmi les trois offrandes de l’or, l’encens et la myrrhe, la corne à boire pourrait évoquer la myrrhe. Cette résine aromatique, qui servait à embaumer les morts, s’emploie sous différentes formes, en huile ou en baume. Elle peut ainsi être contenue dans un récipient comme un vase d’orfèvrerie ou une corne à boire.
Une Adoration des Mages conservée au musée Unterlinden de Colmar présente ce détail iconographique. Le bas-relief a été réalisé vers 1500-1510 dans le sud de l’Allemagne. Le Mage noir s’avance vers la Vierge et offre à l’Enfant une corne à boire ornée d’une monture dorée. Cette pièce d’orfèvrerie se compose d’une corne blanche de petite taille montée sur un socle. Cette représentation de corne à boire s’apparente aux productions contemporaines de ces objets d’orfèvrerie.
Une autre Adoration des Mages au musée Unterlinden, attribuée à l’entourage de Martin Hoffmann et réalisée vers 1520, reprend les traits d’une gravure de Dürer de 1503. Les trois Mages se trouvent devant l’étable de la Nativité et apportent à l’Enfant trois offrandes : une cassette remplie de pièces d’or, un vase ovoïde à couvercle et une corne à boire. Sur le bas-relief endommagé, l’arrière-plan est presque entièrement manquant et la partie supérieure du présent du Mage noir a disparu. Nous ne pouvons donc pas attester avec certitude qu’il s’agit là d’une corne à boire. Néanmoins, les similitudes de la composition du bas-relief et de la gravure de Dürer laissent évoquer le pied d’une corne à boire.
Dans ces images de l’Adoration des Mages, la corne à boire est l’offrande du Mage noir. Elle peut néanmoins se trouver aussi aux mains d’un autre Mage, comme nous l’avons observé sur deux enluminures1. Dans d’autres représentations le Mage noir peut également apporter comme offrande un précieux vase d’orfèvrerie, notamment sur les reliefs de l’Adoration des Mages du musée des Beaux-Arts de Lyon, de l’Adoration des Mages du musée de La Cour d’Or de Metz, et de l’Adoration des Mages du musée Unterlinden de Colmar.
Un exemple mentionnant les noms des Mages : l’Ongle de griffon (Trinkhorn sog. Greifenklaue) des Staatliche Museen de Berlin
Les Staatliche Museen de Berlin conservent une corne à boire dont l’inscription cite les noms des Mages. Cette pièce d’orfèvrerie se compose d’une corne de bison et d’une monture en cuivre doré. Elle a été réalisée en Allemagne du Nord dans la deuxième moitié du XVe siècle1. Sur le pourtour de son embouchure est gravée une inscription : « melchior baltasar caspar ». Une inscription postérieure, gravée directement sur la corne, indique un nom suivi d’une date : « Jochumus Dannewollt 1564 ». La corne est soutenue par deux pieds, le cuivre ciselé évoque un plumage sur leur tranche et une série de griffes à leur extrémité. Ces deux éléments permettent d’identifier cet objet comme un « ongle de griffon ». L’ongle de griffon est une pièce d’orfèvrerie similaire dans sa composition à la corne à boire. Il se différencie néanmoins par la signification merveilleuse que l’on donne à ces objets perçus comme une griffe de griffon (en allemand, Greifenklaue ; en anglais, griffin’s claw ; traduit en français par ongle de griffon). Les deux pattes d’aigles lui servant de pieds renforcent son lien avec l’animal légendaire mi-aigle mi-lion2. Reconnus pour leurs propriétés prophylactiques et apotropaïques, les ongles de griffon se retrouvent sur les tables des banquets ou exposés sur des dressoirs.
Comme le Mage noir, le griffon est également originaire d’Arabie. Cette parenté géographique pourrait alors expliquer le choix du motif iconographique de l’ongle de griffon comme présent du Mage noir. L’ongle de griffon ainsi que les autres offrandes des Mages illustrent ainsi les richesses de l’Orient et l’hommage de personnes souveraines prosternées devant l’humble Enfant.
Conclusion
L’iconographie de l’Adoration des Mages et le motif particulier de la corne à boire, comme présent de l’un des Mages, offrent l’exemple des nombreux thèmes d’étude qui peuvent être abordés au travers du Répertoire des sculptures allemandes des musées de France. Grâce à une analyse approfondie des œuvres et aux facilités de requêtes, cette base de données peut ainsi contribuer à de nouvelles découvertes dans le domaine de la sculpture, mais aussi s’ouvrir à la recherche dans d’autres domaines artistiques, ainsi en orfèvrerie médiévale.
Œuvres citées
Oeuvre / bas-relief
Oeuvre / bas-relief
Oeuvre / bas-relief