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10/11/2021 Répertoire des acteurs du marché de l'art en France sous l'Occupation, 1940-1945, RAMA (FR)

En tant que maire de Francfort, Friedrich Krebs a fait campagne avec énergie pour que les directeurs des musées de sa ville puissent réaliser d’importants achats dans la France occupée. Il s’est efforcé de leur obtenir l’accès au dépôt de confiscation parisien de l’ERR et a veillé à ce que la ville de Francfort tire profit de la « M-Aktion » [« action meubles »].

Maire de la ville de Francfort

Friedrich Krebs, docteur en droit et conseiller auprès du Tribunal régional, est entré à la NSDAP dès 1929. Après les élections communales du 12 mars 1933, à l’issue desquelles la NSDAP était devenue la fraction politique la plus puissante de la Chambre des députés municipaux, Hermann Göring l’a nommé maire provisoire de Francfort. Krebs succédait à ce poste au socialiste Ludwig Landmann (1868-1945), qui avait été contraint de démissionner. Il allait occuper cette fonction jusqu’en mars 1945, tout en étant « NSDAP-Kreisleiter » [chef de district] d’août 1933 à octobre 1937. En 1937, il rejoignait en outre les rangs de la SA1. En tant que maire, Krebs a voulu rompre avec la tradition démocratique, civique et libérale, en même temps qu’il a cherché à faire table rase de tout ce qui avait rapport avec la judéité. Les mesures de politique culturelle qu’il a prises à cet égard dès le début de sa carrière ont eu des incidences directes sur les programmes artistiques et la gestion du personnel dans les musées de Francfort. Il a pu s’appuyer pour ce faire sur une collaboration sans accroc avec les directeurs, les conservatrices et conservateurs de ces institutions2.

Acquisitions pour les musées de Francfort dans les territoires occidentaux occupés

Après la campagne victorieuse de la Wehrmacht sur le front de l’Ouest, Krebst notait que s’offraient, notamment sur le marché parisien de l’art, « des opportunités qui ne se représenteraient plus de pouvoir enrichir par de précieux apports, de manière raisonnée et à des conditions avantageuses, les importantes collections francfortoises1 ». Entre 1940 et 1944, le maire de Francfort allait allouer, au bénéfice des musées de la ville, des crédits spéciaux considérables, au total des centaines de milliers de RM, pour l’achat d’objets d’art dans les pays étrangers occupés par les troupes allemandes2. Ainsi le Völkerkundemuseum, la Städtische Galerie, le Museum für Kunsthandwerk, le Museum für heimische Vor- und Frühgeschichte et le Stadtgeschichtliches Museum ont-ils pu tirer profit de la politique culturelle de Krebs. Avec l’appui du Dr Wilhelm Grau (1910-2000), qui organisait à Paris, pour le compte de l’ERR, la spoliation des bibliothèques juives et franc-maçonnes, Krebs a réussi en outre à élargir substantiellement la collection de manuscrits et de livres de tradition juive et hébraïque en possession de la ville de Francfort. Cette bibliothèque devait finalement rejoindre l’Institut de recherche sur la question juive, qui fut officiellement inauguré à Francfort en 1941, en tant que premier département externe de la « Hohe Schule » [école supérieure] de la NSDAP dirigée par Alfred Rosenberg3. Avant de se rendre en France, les directeurs de musée mandatés par Krebs, parmi lesquels Walter Mannowsky (Museum für Kunsthandwerk), le comte Ernstotto zu Solms-Laubach (Stadtgeschichtliches Museum) et Ernst Holzinger (Städelsches Kunstinstitut et Städtische Galerie), ont d’abord visité la Belgique et les Pays-Bas, où ils ont effectué d’importants achats d’œuvres d’art pour le compte du maire4.

« Ramener les objets d’art qui ont quitté Francfort pour l’étranger »

Walter Mannowsky et Ernstotto zu Solms-Laubach ont été les premiers directeurs de musée francfortois à se rendre à Paris en décembre 1940. Sur ordre de Krebs, ils devaient « empêcher que les biens culturels appartenant à Francfort et se trouvant sur le marché de l’art tombent dans d’autres mains1 ». C’est dans ce même esprit que le maire fit également part à Hermann Göring, dans une lettre du début de l’année 1941, de sa volonté d’acquérir des tableaux « anciennement en la possession de la famille Rothschild » qui avaient été saisis et entreposés au Louvre. Ces œuvres, argumentait-il, se trouvaient autrefois au château de Grüneburg, que le baron Albert von Goldschmidt-Rothschild (1879-1941) avait dû céder en 1935 à la ville de Francfort2. Krebs ajoutait qu’il avait toujours été soucieux de « ramener les objets d’art qui ont quitté Francfort pour l’étranger » et d’assurer aussi à la ville la possession de toute autre œuvre d’art « provenant en substance d’ici ».

Afin d’organiser les voyages d’affaires à Paris des directeurs de musée francfortois, le maire eut d’abord à solliciter l’agrément du ministère de la Propagande et du ministère des Affaires étrangères, qui était indispensable pour obtenir ensuite de la Passierscheinhauptstelle [bureau central des laissez-passer] à Berlin les autorisations d’entrée sur le territoire français3. Était requis en outre l’accord du ministère de la Science, de l’Instruction et l’Éducation du peuple4. Après avoir effectué ces démarches, Krebs écrivit aussi aux généraux nazis en poste à Paris, en les priant de bien vouloir prêter assistance sur place aux directeurs mandatés5. Dans le même temps, il demandait à la chambre de la Culture du Reich et au ministère de l’Économie que les crédits qu’il avait alloués pour les voyages à Paris soient changés en bons de la Caisse de crédit du Reich6. En février 1941, Krebs se rendit en personne à Paris pour se convaincre que le marché de l’art offrait l’opportunité d’y réaliser de très bonnes affaires7. Lorsque Mannowsky et Solms-Laubach revinrent quelque temps plus tard dans la capitale française, cette fois-ci en compagnie de Holzinger, le maire de Francfort les mit en contact avec Franz Wolff-Metternich (1893-1978), qui dirigeait le Kunstschutz [service allemand pour la « protection du patrimoine » dans le territoire occupé de la France] au sein de la Wehrmacht8. Sur ordre de Krebs, les trois directeurs de musée devaient également se mettre en rapport avec Günther Schiedlausky au musée du Jeu de Paume, le point de collecte et de transfert des œuvres spoliées9.

À la fin mars 1941, lors d’une séance du conseil municipal, le maire Krebs tirait de la campagne d’acquisitions menée à Paris le bilan provisoire suivant : « De telles opportunités d’acheter à prix avantageux doivent être utilisées pour la ville de Francfort. Après tout, nous payons en bons de la Caisse de crédit du Reich. Au final, les payeurs, ce sont les Français eux-mêmes10. » Il faisait allusion au système mis en place par l’occupant : la monnaie émise par l’Allemagne devait être échangée contre de la monnaie nationale par les banques centrales des pays occupés – à leur désavantage. « Là, il faut être malin », résumait Krebs, « et arriver le premier sur le marché. » Vers la fin 1941, le maire de Francfort donnait par ailleurs ordre à ses directeurs de musée de partir explorer aussi le marché de l’art en Italie, en Grèce et en Russie11. À partir de mai 1942, Krebs a caressé l’ambition d’acquérir pour la ville de Francfort la bibliothèque du collectionneur d’art et bibliophile parisien David David-Weill (1871-1952), persécuté à cause de ses origines juives, mais ses efforts devaient finalement rester vains12.

Profiteurs de la M-Aktion

Entre 1942 et 1944, l’administration municipale de Francfort a tiré profit de la dite « Möbel-Aktion » mise en œuvre à Paris, la saisie et le transfert dans des villes allemandes des meubles et autres objets et accessoires domestiques confisqués à des familles juives. Au cours de cette période, 159 wagons de marchandises ont rejoint Francfort en provenance de Paris1. Dans les premiers jours de mars 1944, le maire Krebs organisa à Paris une rencontre entre Mannowsky et le colonel Kurt von Behr, qui dirigeait la Dienstelle Westen [le bureau Ouest]2 et coordonnait à ce titre la M-Aktion. Lors de cet entretien, Mannowsky négocia au nom des autorités francfortoises l’acheminement, début avril, de meubles et d’ustensiles de ménage pour la ville qui avait été bombardée3. À la fin mars 1944, Francfort eut à subir de nouveaux bombardements, qui la laissèrent en partie détruite. On ne sait pas exactement si la livraison prévue a bien eu lieu en avril. En 1947, le tribunal en charge des procédures de dénazification jugea que Krebs était seulement coupable de délits mineurs.