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Critique d’art, expert et négociant en tableaux, Alfred Daber était propriétaire d’une galerie spécialisée dans la peinture du XIXe et du XXe siècles, sise 103 boulevard Haussmann dans le VIIIe arrondissement à Paris depuis 1936.

De la galerie Vavin-Raspail à la galerie Daber

Alfred Daber naquit le 20 juin 1900 à Oran en Algérie, de Henri Guillaume et de Jeanne Joly. À la fin de la Première Guerre mondiale, il fut engagé dans l’artillerie coloniale1. On ne sait à quelle date exacte il s’installa en métropole pour suivre des études après sa démobilisation en 1919. D’une première union avec Aimée Pichot, il eut trois enfants : Claire, Jacques et Agnès2. Suite au décès de sa première femme, le 6 avril 1937, le fonds de commerce exploité depuis 1936 au 103 boulevard Haussmann fut mis en vente le 5 août 1937. Daber l’acquit probablement à cette date en son nom3. Veuf, il épousa le 15 novembre 1943 à Paris dans le VIIIe arrondissement Elisabeth Fourrier, née le 22 décembre 1914 à Château-du-Loir dans la Sarthe avec qui il eut une fille, Frédérique4. Les parents de sa femme habitaient à Montadon où Daber se réfugia occasionnellement pendant la guerre, dans une maison aux Beaumontières, en face du cimetière5. À partir de 1943, Daber fut domicilié 16 rue Alfred de Vigny dans le XVIIe arrondissement, ayant demeuré précédemment 85 boulevard de Port-Royal dans le XIIIe arrondissement à Paris6.

Le début de ses activités en tant que galeriste date de la fin de l’année 1924. Il se fit remarquer dans les milieux artistiques par l’organisation d’une rétrospective de la Section d’Or de 1912 lors de l’inauguration de la galerie Vavin-Raspail, le 12 janvier 19257. Cette dernière était située 28 rue Vavin jusqu’en 1934, et Daber la dirigea avec Max Berger, pseudonyme du poète et écrivain suisse Max Eichenberger (1902-1961) jusqu’en 19298. En octobre/novembre 1925, ils furent aussi les promoteurs de l’œuvre de Paul Klee dont ils présentèrent la première exposition personnelle à Paris, ouvrant la voie à sa réception artistique en France9. Ensemble aussi, ils fondèrent la revue Les Arts plastiques qui publiait les œuvres d’artistes représentés par la galerie : Jean Souverbie, Georges Braque, Georges Papazoff, Jean-Francis Laglenne, Maurice Utrillo, Jean Dufy, Raoul Dufy, Jean Chaurard, Jacinto Salvado, Jacques Loutchansky, Maurice Blanchard, Marc Chagall, Robert Delaunay, Albert Gleize, Pierre Hodé, André Lhote, Jean Lurçat, Louis Marcoussis, Jacques Lipchitz, François Pompon, Henri Rousseau, Paul Klee. La revue ouvrait aussi ses pages aux poèmes ou encore à une comédie d’Henri Rousseau et un drame de ce dernier coécrit avec Mme Barkowsky10. Alfred Daber y écrivait des articles sous le pseudonyme de Guillaume Dalbert.

À partir de 1936, Daber, actif sur le marché parisien de l’art moderne, était connu et respecté de ses confrères, avec lesquels il acheta des tableaux en commun. Il acquit par exemple en compte à demi avec Pierre Loeb un Paysage d’Édouard Manet pour 15 000 F en mai 1936, puis en décembre de la même année l’Odalisque au tambourin d’Henri Matisse pour 30 000 F11. Ce dernier tableau, qu’il vendit à Joseph Hessel, fit partie de ceux qui furent spoliés à Paul Rosenberg sous l’Occupation et retrouvés en Suisse dans la collection d’Emile Bührle12. Les deux marchands s’entendirent encore en juillet 1937 pour un paysage de Paul Cézanne, La Carrière et un tableau de Pierre Bonnard, l’Après-midi, achetés respectivement 43 450 F et 21 000 F13. Pour son propre compte, il acquit aussi seul Une jeune fille assise dans un fauteuil de Matisse lors de la vente aux enchères de la collection de l’industriel Bernard Reichenbach le 3 juin 1937, sans que l’on sache à quelle date et à qui il revendit ce tableau, aujourd’hui disparu et qui fut confisqué par la Möbel-Aktion en février 194314.

Daber est officiellement référencé comme marchand de tableaux au Bottin du commerce entre 1937 et 1944 au 85 boulevard de Port-Royal dans le XIIIe arrondissement de Paris, qui est cependant son adresse personnelle, la galerie étant quant à elle située au 103 boulevard Haussmann dès 193615. C’est à partir de 1937 que ses activités s’intensifient, Daber proposant plusieurs expositions dans sa galerie, notamment en mars 1938 et en 1939 des œuvres du peintre Paul Guigou16.

Les activités de la galerie Daber sous l’Occupation

Une cinquantaine d’années plus tard, Daber décrivait l’époque en ces termes :

« Les gens avaient beaucoup d’argent liquide, seulement il n’y avait ni article de mode, ni beaux vêtements, ni voitures neuves à vendre, pas de voyages en vue, pas de restaurants ou de cabarets où aller dépenser cet argent. Tout ce que vous pouviez faire, c’était acheter du beurre au marché noir, à mille francs le kilo ou des tableaux sur le marché de l’art. Alors chacun se mit à faire d’excellents investissements dans le domaine artistique1. »

Muni d’un laissez-passer lui permettant de circuler dans toute la France, il parvint à maintenir son activité pendant la guerre2. En 1940, Édouard Vuillard le représentait avec sa fille, dans son atelier, le tableau étant l’un des derniers du peintre avant son décès le 21 juin3. Proche de l’artiste, d’Albert Henraux et de Jacques Jaujard, Daber aurait arbitré un différend entre un conservateur du musée du Louvre et les héritiers de la collection Vuillard4. Dans le cercle proche du peintre, le marchand fréquentait des confrères, tel que Joseph Hessel, cousin de Josse et Gaston Bernheim, Daber les connaissant depuis l’entre-deux-guerres5.

Daber présenta quelques expositions au 103 boulevard Hausmann, à l’instar de « La tradition française dans l’œuvre de Bonnard et Vuillard » en juillet 1941, du « Petit salon de la nature morte » en janvier 1942 rassemblant des œuvres d’Eugène Boudin, Paul Gauguin, Berthe Morisot, Henri Fantin-Latour, Théodule Ribot, Vuillard et Cézanne ou encore de l’exposition qu’il consacra à Blanche Hoschedé, élève et belle-fille de Claude Monet, en octobre de la même année6.

Pour d’anciens clients, Daber endossa le rôle de courtier et exporta des œuvres en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. La Nationalgalerie de Berlin se procura en septembre 1941 par son intermédiaire un tableau de Corot, La Seine à Chatou (Pêche à l’épervier) pour 1 100 000 F ou 55 000 RM, transaction pour laquelle Daber toucha une commission de 100 000 F7. Ludwig Wilhelm Gutbier était à l’origine de l’acquisition : « Le succès majeur de mon voyage à Paris, c’est le beau paysage que le Dr Rave a acheté pour la Nationalgalerie. Reproduit en novembre dans la Welkunst, j’en suis très fier8 ».  Le tableau est conservé à ce jour à la Nationalgalerie de Berlin, sans que l’on sache auprès de qui Daber et Gutbier se le procurèrent9.

Gutbier était le propriétaire de la galerie Ernst Arnold établie depuis longue date et jusqu’en 1934 à Dresde puis à Munich à partir de 1937. Il fit aussi partie des clients directs de Daber pendant la guerre, auprès de qui il acheta pour 110 000 F le tableau de Courbet, La Loue à Ornans10, et le 17 avril 1942 pour 400 000 F La Maison de Courbet au bord du Lac de Genève11, ainsi qu’un Corot Le Moulin dans les dunes pour 225 000 F12. Ces deux derniers tableaux ont été rapatriés en France après-guerre et font aujourd’hui partie des Musées nationaux récupération13.

Dénonciation d’Adrion et enquêtes après-guerre

En septembre 1944, Daber eut une altercation avec le peintre Lucien Adrion qu’il voulait faire expulser d’un lieu public, ce qui lui aurait valu les menaces de deux inspecteurs de la police spéciale au mois d’octobre suivant, lui reprochant d’avoir dénoncé l’artiste1. Daber avait en effet tenté de le faire arrêter dans un restaurant en le décriant collaborateur et en le traitant de boche, d’où la dispute violente entre les deux hommes.

Devant la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration, Daber déclara qu’ Adrion « jouait incontestablement le rôle d’un fonctionnaire allemand » et qu’il propageait la censure : il avait par exemple demandé à Alveiro Barreiro de décrocher des peintures de Chaïm Soutine et de Moïse Kisling de ses cimaises et il avait invité Charles Vaumousse à faire de même pour une œuvre de Jean-Louis Forain, ces artistes étant vilipendés par les nazis2. Le 19 mars 1946, il le dénonçait à nouveau lors des enquêtes menées par le Comité d’épuration pour les artistes peintres3.

À la Libération, Daber fut lui-même soupçonné d’avoir proposé, sans succès, à Lyon en 1941 ou 1942, des œuvres spoliées qui avaient été confisquées par l’ERR à la galerie Tanner à Zurich4. Elles provenaient de la galerie Bernheim-Jeune et étaient estimées à 1 000 000 F d’après les archives américaines5. Aucune preuve n’est cependant venue corroborer ces faits et son nom est mentionné aux côtés de ceux d’Étienne Bignou, d’Adolf Wüster et de Charles Montag, sans que l’on connaisse le rôle exact de ces acteurs impliqués dans le pillage et/ou l’expertise de la collection Bernheim-Jeune. Il est à noter que Gottfried Tanner (1880-1958) était un cousin des Bernheim-Jeune et le directeur de la branche zurichoise de la galerie Bernheim-Jeune depuis juin 19196.

En raison du faible nombre d’œuvres exportées vers l’Allemagne, Daber ne fut pas inquiété après-guerre par le Comité de confiscation des profits illicites, et la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration conclut rapidement, le 24 mars 1947, qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre les recherches à son encontre7. La galerie reprit ainsi ses activités, organisant plusieurs expositions impressionnistes, notamment « Peinture et impressionnisme : de Géricault à Monet » en 1956, « De Delacroix à Maillol » en 1958, « Peinture 1830-1940 : œuvres de Delacroix à Maillol » en 1962 et « Paysages de Corot à Bonnard » en 1965. Elle présenta aussi des expositions individuelles de Guigou en 1950, Maillol en 1961, Courbet en 1975, Chassériau en 19768.  À partir de 1949, Daber fut épaulé par son fils Jacques (1925-1992) qui devint son associé et contribua à la parution des catalogues d’exposition dans les années 1960. La galerie cesse ses activités au début des années 1980. Daber décéda le 31 octobre 1997 à Paris dans le XVIIe arrondissement9.

Bien qu’éparses et partielles, les archives de la galerie Daber sont une source importante pour établir la provenance des tableaux circulant sur le marché de l’art sous l’Occupation, notamment les correspondances conservées dans différents fonds à l’Institut national d’histoire de l’art à Paris, et les plaques de verre et dossiers d’expositions acquis par la galerie Blondeau & Cie à Genève, qui mériteraient une analyse plus approfondie10.

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