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Antonio Pereda y Salgado, Portrait d'homme, 1655, Paris, Musée du Louvre © 2016 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux

La France à l’heure ibérique : introduction au RETIB

Introduction

Après plusieurs années de recherches menées par les équipes du département des Peintures du musée du Louvre, en collaboration avec l’Institut national d’histoire de l’art, le programme RETIB se révèle enfin cet automne au grand public sur la plateforme AGORHA.

Le programme de recherche

Le Recensement des tableaux ibériques dans les collections publiques françaises (RETIB) a été entrepris en 2021 sous la direction de Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice du patrimoine en charge des peintres ibériques et latino-américaines au musée du Louvre. Ce projet poursuit celui initié en 2011 par Guillaume Kientz sous le titre de BAILA (Base d’art ibérique et latino-américain) et qui s’intéressait aux productions artistiques, tous domaines confondus, conservées dans les musées et les monuments ouverts au public (églises et châteaux). Ce recensement se concentre désormais exclusivement sur la peinture de chevalet produite dans la péninsule ibérique entre 1300 et 1870, y compris par des artistes étrangers à l’instar du célèbre Greco. Contrairement à sa version antérieure, il a également été décidé d’exclure les œuvres anciennement attribuées aux écoles espagnoles et portugaises, de même que les tableaux aujourd’hui perdus.

Description de la base

Se voulant tant un outil destiné aux chercheurs qu’un objet de découverte pour le grand public, la base RETIB recense l’ensemble des informations nécessaires à l’appréhension d’un tableau : dimensions, support, technique… L’état de conservation et l’historique des restaurations n’ont pas été traités, dans une volonté de porter d’avantage l’accent sur les questions d’attribution et de provenance des œuvres, avec une attention particulière accordée aux collectionneurs. Une bibliographie sommaire mais représentative a aussi été incluse de manière systématique.

Le choix a également été fait de relier les ensembles entre eux, qu’il s’agisse de pendants ou d’éléments de retables plus complexes, le plus souvent démembrés et répartis dans différents musées de France, voire du monde.

Les copies avant 1870 ont également été intégrées au corpus, celles-ci reflétant le goût d’une époque. En effet, à partir du deuxième tiers du XIXe siècle, les Français découvrent la peinture espagnole et s’en éprennent, à la suite notamment de la présentation au Louvre de l’éphémère Galerie espagnole (1838-1848) du roi Louis-Philippe (BATICLE et MARINAS, 1981). Le peintre qui rencontre le plus grand succès est alors sans conteste Bartolomé Estéban Murillo (1617-1682) dont les œuvres sont reproduites tant sur les objets du quotidien, que nous retrouvons aujourd’hui en brocante, que sur les murs des églises de tout l’Hexagone. La première campagne de recensement menée en Ile-de-France a ainsi permis de répertorier, dans certains départements, plusieurs copies destinées à différentes paroisses. Les copies de l’Immaculée Conception et de la Vierge du Rosaire se retrouvent ainsi par dizaines, comme l’attestent notamment les réserves de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles (COARC) de la Ville de Paris.

La publication

L’ensemble des fiches, publiées région par région au fur et à mesure des campagnes de recherches, se veulent un véritable vivier de nouvelles informations, tant sur des acquisitions récentes que sur des œuvres déjà connues ou redécouvertes dans les réserves des musées ou les églises. Un exemple intéressant est celui d’une Sainte Face anonyme, conservée en réserve par le musée du Louvre, qui avait été considérée comme espagnole du XVe siècle (Claudie Ressort dans BREJON DE LAVERGNÉE et THIÉBAUT, 1981). Le rattachement à l’école espagnole avait été abandonné mais l’identification restait problématique du fait, notamment, de remaniements subis au XIXe siècle (GERARD POWELL et RESSORT, 2002). Un nouvel examen du dossier d’imagerie scientifique incite à conclure qu’il s’agit en réalité d’une contrefaçon exécutée au XIXe siècle dans un style ibérique de la fin du XVe siècle, sur un panneau représentant une Pietà du début du XVIe siècle, d’après un modèle diffusé par le peintre flamand Gérard David. Ce remploi d’un panneau ancien relève en fait d’une astuce fort commune chez les faussaires pour « vieillir » l’œuvre et ainsi augmenter sa valeur marchande.

Des découvertes

Ce recensement, réalisé en étroite collaboration avec des spécialistes de la peinture espagnole, a aussi permis de découvrir des tableaux inédits, tels qu’une Dormition (Paris, église Saint-Joseph des Nations), anciennement donnée à l’école parisienne autour des années 1420 et qui revient en réalité au peintre aragonais Joan de la Rua, un maître formé au contact de Joan Reixach et actif dans le dernier quart du XVe siècle en Catalogne. Cela a également été l’occasion de révéler la présence de quelques grands noms de la peinture dans les collections publiques franciliennes, comme par exemple celui de Fernando de Llanos (vers 1470-1525) pour un Saint Roch (Domaine de Chaalis, Musée Jacquemart-André), jusqu’alors simple anonyme valencien.

Des questions

Malgré les importants travaux menés, certaines œuvres continuent de susciter des questions. C’est notamment le cas d’un élégant Portrait d’homme conservé au musée du Louvre. Longtemps resté anonyme, le tableau a récemment été attribué à Antonio de Pereda (1611-1678), sans toutefois convaincre l’ensemble de la communauté scientifique (KIENTZ, 2019). Le cas est en effet complexe puisqu’il n’existe aucun portrait documenté peint par cet artiste et donc pas d’élément de comparaison permettant de confirmer ou d’infirmer avec certitude cette hypothèse. Ces énigmes soulignent ainsi la nécessité de poursuivre les investigations entreprises dans le cadre du RETIB. Il est alors à espérer que les défis qu’offrent de telles œuvres suscitent l’intérêt des chercheurs et des amateurs et ravivent l’intérêt pour la peinture ibérique en France.

Conclusion

Avec la publication en ligne des fiches des peintures conservées en Ile-de-France, le RETIB espère ainsi faire redécouvrir tout un pan méconnu des collections publiques françaises. Rendez-vous est d’ailleurs donné le 6 octobre pour une table ronde à l’INHA présentant les premiers résultats de ce recensement qui se poursuivra dans les années à venir en Nouvelle Aquitaine puis en Occitanie.

Table ronde : La peinture espagnole en Île-de-France : premiers résultats du recensement des peintures ibériques en France

Bibliographie sommaire

  • Baticle, Jeannine, Marinas, Cristina. La Galerie espagnole de Louis-Philippe au Louvre. Paris : Éditions de la Réunions des musées nationaux, 1981.
  • Brejon de Lavergnée, Arnaud, Thiébaut, Dominique (dir.). Catalogue sommaire illustré des peintures du Musée du Louvre. II. Italie, Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne et divers. Paris : Éditions de la Réunions des musées nationaux, 1981.
  • Gerard Powell, Véronique, Ressort, Claudie. Écoles espagnoles et portugaises. Paris : Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2002.
  • Kientz, Guillaume. « Un Pereda en el Louvre », Ars Magazine, 41 (janvier-mars 2019).