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Depuis 1937, Paul Graupe a quitté l’Allemagne nazie pour trouver refuge à Paris où il détient, 16 place Vendôme dans le Ier arrondissement, la société « Paul Graupe et Cie ». Son stock est pillé par Josef Angerer et l’ERR au début de l’Occupation et sa société placée sous séquestre par les autorités françaises, tandis qu’Arthur Goldschmidt, associé de la société, continue d’effectuer des ventes, notamment à Karl Haberstock.

Un libraire et marchand d’art berlinois exilé à Paris

Né en 1881 à Neutrebbin, Paul Graupe fait son apprentissage du métier de libraire ancien auprès de plusieurs maisons allemandes renommées1. Établi à son compte à Berlin en 1907, il fait prospérer ses affaires et les diversifie grâce à un sens commercial affirmé. Il organise des ventes aux enchères présentées dans des catalogues qui allient rigueur de la tradition bibliographique allemande et sobre élégance.

Ses activités prennent de l’ampleur à partir de 1927, date à laquelle il commence à collaborer avec la galerie Hermann Ball de Dresde pour monter des ventes de tableaux et d’objets d’art. La réputation internationale des ventes aux enchères qu’il organise à Bellevuestrasse et l’intérêt qu’elles présentent pour l’économie allemande font qu’il peut continuer à exercer à Berlin après les premières mesures d’exclusion raciale, et cela alors même qu’il est juif. Il est ainsi amené à procéder à la dispersion des stocks de plusieurs maisons qui font l’objet de procédures d’aryanisation : Van Diemen, Otto Burchard, Silberberg, Flatow et Priemer en 1935, et, en 1936, A.S. Drey.

Sous la pression des lois raciales, Paul Graupe doit cependant quitter l’Allemagne en 1937 pour gagner la France, où il reste jusqu’en 1939. La loi française ne permet pas alors aux ressortissants étrangers d’exercer la profession de commissaire-priseur, Graupe crée ainsi le 8 juillet 1937 une société anonyme à responsabilité limitée (SARL), dénommée « Paul Graupe et compagnie », dont le capital de 200 000 F est réparti entre cinq associés : Isidor Riemer, un juriste zurichois (220 parts), Paul Graupe (80 parts), Arthur Goldschmidt (50 parts), Alice Reis (25 parts) et Käthe Simon (25 parts). La société est administrée par trois gérants, Paul Graupe, Arthur Goldschmidt et Alice Reis (remplacée par Käthe Simon au printemps 1938)2. Le siège social a une belle adresse parisienne, au numéro 16 de la place Vendôme, en face de l’hôtel Ritz et à proximité de nombre de galeries renommées.

Comme bien d’autres marchands exilés, Graupe a dû laisser une grande partie de ses biens en Allemagne. Il doit donc s’efforcer de négocier des ventes pour des œuvres qu’il détient en compte partagé avec d’autres marchands ou agir parfois en simple courtier. On connaît peu de ventes qu’il ait faites pendant son séjour à Paris. Parmi celles-ci, une Tentation du Christ, esquisse de Rubens pour l’église des Jésuites d’Anvers, vendue en 1937 au comte Antoine Seilern, ou encore une toile de Van Gogh, le Portrait d’Armand Roulin, détenu en compte à demi avec Hans Wendland, acquis à l’automne 1938 par le collectionneur hollandais Daniel van Beuningen. Graupe prend aussi en dépôt des objets appartenant à des collectionneurs privés comme le banquier berlinois Hans Arnhold (1888-1966) ou le collectionneur d’Amsterdam Fritz Gutmann (1886-1944), à charge pour lui de trouver des acheteurs3.

Saisie et ventes des collections par Arthur Goldschmidt

En septembre 1939, alors que survient la guerre, Paul Graupe est de passage en Suisse. La France prévoyant l’internement des ressortissants ennemis présents sur son territoire, il choisit de ne pas retourner à Paris et reste en Suisse jusqu’à la fin de l’année 1940, avant de gagner les États-Unis via Lisbonne. Il n’est donc pas présent à Paris durant l’Occupation.

À la fin de juin 1940, peu de temps après l’entrée des Allemands dans Paris, Josef Angerer, employé de la société Quantmeyer & Eicke, se fait ouvrir les locaux de la place Vendôme et y prend plusieurs objets dont un tableau de « Pleydendurf », qui est envoyé à Hermann Göring1. Arthur Goldschmidt, un des gérants de la société, réfugié à Cannes et en situation précaire, doit accepter de faire remettre à Karl Haberstock une partie des objets confiés en dépôt par Fritz Gutmann ; il cède en outre au marchand berlinois quatre tableaux du stock de la société, dont trois sont destinés au futur musée de Linz. C’est probablement grâce à l’argent reçu lors de cette transaction qu’Arthur Goldschmidt put financer son départ pour Cuba2.

D’autres œuvres encore ont été saisies par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR). Le 29 octobre 1942, l’ERR s’empare de 23 tableaux et objets d’art déposés par Graupe dans un garde-meubles parisien. Un Portrait de jeune homme, par Dosso Dossi (1479-1560), est envoyé à Göring avec un paysage hollandais, trois autres tableaux sont transférés dans le château de Neuschwanstein, qui abrite un dépôt de l’ERR, et le reste dans un autre dépôt de l’ERR, à l’abbaye de Buxheim3.

Les ventes et saisies des œuvres détenues par Paul Graupe – qu’elles lui appartiennent, qu’il les ait en compte partagé ou qu’elles lui aient été remises en dépôt – témoignent de la grande diversité des situations que l’on peut observer en France durant l’Occupation.

Il en va de même des différentes procédures engagées à l’encontre de la société « Paul Graupe et compagnie ». Les autorités françaises la placent sous séquestre en octobre 1939 car une partie du capital est détenue par des actionnaires allemands, elle le reste jusqu’au 6 août 1940, date à laquelle le séquestre est levé à la demande des autorités allemandes. Un nouvel administrateur provisoire est nommé le 9 février 1943, cette fois-ci à l’initiative du Commissariat général aux questions juives ; l’instruction du dossier demeure cependant en l’état car l’administration militaire allemande le déclare de son ressort, arguant du fait que Graupe est allemand. La liquidation n’intervient pourtant pas, du fait de la présence au capital d’un citoyen helvétique, Isidor Riemer, et un nouvel administrateur provisoire, l’expert-comptable suisse Ermenegildo Snozzi (1906-1966), est nommé en février 1944 pour défendre les intérêts de celui-ci4.

Revenu de New York quelque temps après la fin de la guerre, Paul Graupe s’est installé à Paris et a repris quelques activités commerciales. Il mourut à Baden-Baden en février 1953.

Il avait auparavant obtenu des indemnisations de l’Allemagne et certaines restitutions avaient pu lui être faites en France par la Commission de récupération artistique5.