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Bellérophon Geladakis développe son activité commerciale grâce à la boutique tenue par son père Élie, installée rue de Valois au début du XXe siècle. En 1941, son épouse, Aïda Valdman, considérée comme juive du côté paternel, est obligée de lui céder son fonds de commerce situé à Saint-Ouen. Cependant, Bellérophon Geladakis poursuit son activité durant la période de l’Occupation.

Un couple d’antiquaires

Bellérophon Geladakis naît à Athènes le 21 janvier 18971. Son père, Élie Geladakis (1858- ?), antiquaire actif depuis 1883, installé à Paris au 117-118 place du Palais-Royal2 et au 39 rue de Valois, fournit au début du XXe siècle le musée du Louvre3 et plusieurs artistes comme Antoine Bourdelle4 et Auguste Rodin5 en antiquités principalement grecques. Il est également proche de Jean Mikas, antiquaire de nationalité grecque installé à Paris6, et de Joseph Brummer7. Après son décès à la fin des années 1910 ou au début des années 19208, c’est sa femme Catherine Aïtinopoulo et son fils Bellérophon en tant qu’associé9, sculpteur10, qui reprennent la boutique du 39 rue de Valois11, installée à cette adresse entre 1922 et 193712. Le 16 août 1934, Bellérophon épouse Aïda Valdman, née le 27 avril 1911 à Paris13, fille du brocanteur Itsic Haïm Valdman14 et de Marguerite Weyl. Leur boutique est située au marché de Saint-Ouen, 2 rue Voltaire. Résidant d’abord au 6 rue Mayran dans le IXe arrondissement de Paris jusqu’en 1941, ils déménagent ensuite au 1 rue Milton15. Cependant, le père d’Aïda Geladakis étant de confession juive, sa fille doit faire abandon du fonds à Bellérophon le 10 juin 1941.

En effet, au début de l’année 1941, le fonds de commerce est pourvu d’un commissaire-gérant16. Le 4 mai 1941, le Service du contrôle des administrateurs provisoires reçoit une lettre de Marcel Schuttler, administrateur provisoire du marché de Saint-Ouen, qui lui signale l’entreprise d’Henri « Waldman », située rue des Rosiers, à l’angle de la rue Voltaire à Saint-Ouen17. Il est indiqué qu’Henri Waldman est « grec juif » et qu’il y a un acheteur possible pour la société, « M. Rebaud », ancien sous-officier comptable de Xavier Vallat18. En effet, Antoine Rebaud (né le 23 décembre 1891 à Saint-Étienne), 16 rue Voltaire, espère une « solution rapide de l’affaire ». Cependant, Henri Valdman avait cédé le fonds à sa fille, par donation, le 15 décembre 1938 et la société avait été inscrite par Aïda Geladakis au registre du commerce le 14 décembre 193819. Le 10 juin 1941, en la présence de Marcel Schuttler, commissaire-gérant de l’entreprise Geladakis, Aïda Geladakis déclare cesser son commerce et vend à Bellérophon Geladakis les marchandises qu’elle possède et le stock d’objets qui se trouve au 2 rue Voltaire, la boutique ne pouvant être vendue, étant place de marché20. Ainsi, entre 1941 et 1944, Bellérophon Geladakis poursuit son activité d’antiquaire, au 2 rue Voltaire à Saint-Ouen et au 1 rue Milton à Paris, même si, durant cette période, lors des ventes à l’Hôtel Drouot, figurent parfois les noms de « M. Geladakis » et de « Mme Geladakis »21.

L’activité de Bellérophon Geladakis durant l’Occupation

Bellérophon Geladakis figure sur la liste des marchands ayant vendu à Walter Bornheim à Paris1. Le montant total des ventes réalisées à Walter Bornheim s’élève alors à 1 151 000 F2. Deux œuvres achetées à Geladakis et trois ayant pu être acquises auprès de ce marchand sont ainsi conservées sous la désignation « Musées Nationaux Récupération » au musée du Louvre. Il s’agit d’une statue de sainte Barbe3, d’un groupe sculpté représentant saint Georges à cheval4, d’une Vierge de Calvaire5, et de statues de saint Jean du Calvaire6 et de saint Jean l’Évangéliste7. De plus, Geladakis semble avoir réalisé plusieurs ventes en collaboration avec d’autres antiquaires. C’est le cas pour 16 vases grecs et romains ainsi que deux statues de Tanagra achetés par Walter Bornheim auprès de « Geladakis, Brimo et Garabed », et ensuite vendus en 1943 au musée Wallraf-Richartz de Cologne8. Par ailleurs, onze œuvres que Walter Bornheim avait achetées à Geladakis ont été détruites dans la galerie Für Alte Kunst le 24 avril 19449.

Au début de l’année 1944, la Gestapo effectue une perquisition du commerce, causant un préjudice à Geladakis de 600 000 F10. Le couple se retire alors en Ariège jusqu’en novembre 1944. Cet événement constitue un traumatisme important pour Aïda Geladakis et sa famille11. En mars 1946, elle crée une société « Gela et Cie » pour reprendre son fonds de commerce, au 2 rue Voltaire à Saint-Ouen12. Cependant, le 12 juillet 1946, Bellérophon Geladakis est averti qu’il sera cité devant la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration13. Dans le rapport de la Préfecture de police du 13 février 1946, des inspecteurs Lelong et Thibault, Geladakis explique que Walter Bornheim est le seul Allemand à qui il aurait vendu des œuvres sous l’Occupation14. De plus, dans une lettre du 25 juillet 1946, de Geladakis aux membres de la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration, il mentionne la situation dans laquelle il se trouvait : « subir la pression de Bornheim et lui vendre les marchandises qu’il désirait », ou refuser la vente et craindre les mesures qui seraient appliquées envers sa femme15. Il explique alors que les ventes auraient été réalisées sous contrainte morale, « dans des conditions proches même de la spoliation16 ». Michel Martin, dans son rapport du 5 juin 1947, confirme les déclarations faites par Geladakis17. Ainsi, le 28 juillet 1947, la Commission interprofessionnelle d’épuration décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’enquête. Cependant, en 1947, les Geladakis sont également cités par le Comité de confiscation des profits illicites. Le montant de la confiscation s’élève alors à 230 200 F18.

Une demande de restitution

Le 9 février 1959, le Service fédéral des restitutions externes fait part à l’ambassade de France du résultat des recherches concernant deux statues grecques et chypriotes1.

En effet, en 1942, Bornheim se rend au domicile de Geladakis et achète deux sculptures antiques en pierre, provenant de Chypre : une Tête de Zeus du Ve siècle av. J.-C. et une Tête avec couronne de lierre. La première sculpture a été retrouvée à Cologne, chez le professeur Klotz. Celui-ci l’avait achetée à Munich chez Walter Bornheim. Geladakis indique qu’il ne peut préciser à quelle date il s’est rendu acquéreur de cette statue, ses livres commerciaux ayant été enlevés lors du pillage de son appartement en février 1944 par la Gestapo2. Mais il confirme que ces objets se trouvaient en France « avant le 17 mai 1940 ». La Tête de Zeus ayant été retrouvée chez le professeur Klotz, elle fait l’objet d’une demande de restitution par les Services français en 1959. Cependant, Klotz ne souhaite pas restituer la statue car il considère qu’il l’a acquise de bonne foi, en Allemagne, sans savoir ce qui s’était passé auparavant, et qu’aucune loi fédérale ne permet d’actionner une procédure de confiscation3. De plus, aucune preuve ne pouvant confirmer la présence de cette statue en France avant la guerre, les Services français furent dans l’obligation de renoncer à cette restitution en juin 1961.

L’autre sculpture également achetée par le professeur Klotz à Walter Bornheim n’a pas été retrouvée. En raison de la guerre, la sculpture avait été enterrée dans le jardin et, l’immeuble appartenant à Klotz ayant été vendu, la sculpture a disparu4.

Très peu d’informations permettent de connaître l’activité commerciale de Bellérophon Geladakis après 1961 et le devenir de sa collection.