Marie Stuart (1542-1587), reine de France et d'Écosse
Collections de S.M. Elizabeth II
Ce portrait est une miniature rectangulaire sur fond bleu outremer. Le modèle est présenté de trois quarts tourné vers la droite, cadré à mi-corps, avec les mains. Elle est vêtue d'une robe de soie rose framboise brodée de passements d'or, très resserrée à la taille, avec un simple col blanc haut et largement ouvert, le visage idéalisé et le regard abstrait et lointain, les deux mains occupées à enfiler à l'annulaire de la main droite un anneau tenu de la main gauche. Elle porte une garniture de perles, composée d'un touret dans les cheveux, d'une boucle d'oreille, d'une cottoire et d'une ceinture; toutes ces perles lui furent offertes par Catherine de Médicis au moment de son mariage ou au décès d'Henri II en 1559 et vendues par le comte de Moray en 1568 (Caldwell 1987, Bimbenet-Privat 2008). Ses cheveux auburn ondulent de part et d'autre d'une raie médiane. Une baguette feinte (double bande ocre et dorée) encadre le portrait et donne l'illusion d'une fenêtre s'ouvrant sur le modèle.
L'identité du modèle découle de la comparaison avec un dessin conservé à la Bibliothèque nationale de France (BnF, Estampes & Photographies, Réserve, NA 22 (17), cf. sources en ligne), aujourd'hui attribué à Jean Decourt et généralement daté vers 1558, mais sans doute légèrement antérieur, qui présente non seulement le même modèle et avec la même physionomie, mais dans la même mise en page, de trois quart vers la droite, le coude droit tronqué. Le costume est cependant légèrement différent, le ruché entourant son cou ayant été remplacé ici par un col ouvert.
Le geste de Marie Stuart, enfilant elle-même un anneau qu'on peut imaginer être de fiançailles ou de mariage bien qu'il s'agisse de la main droite, donne au portrait une dimension symbolique inhabituelle dans le portrait en miniature produit en France. En effet, seule une autre miniature figurant une dame inconnue est de forme rectangulaire (Portland Collection). Aussi, un seul autre portrait sur vélin est comparable à Mary Stuart par la présence des mains, celui de Catherine de Médicis tenant un éventail, dépeint vers 1555 (Londres, V&A, P.26-1954). La majeure partie de l'historiographie a de ce fait rattaché l’œuvre à son mariage avec le dauphin François, futur François II, le 24 avril 1558. On pourrait aussi se poser la question d'une exécution du portrait autour de son second mariage avec Henry Stuart, Lord Darnley, en 1565, à un moment où Marie Stuart a regagné l’Ecosse (et où son peintre Jean Decourt l’y a rejointe). Toutefois, on peut raisonnablement exclure cette hypothèse puisqu'un deuxième dessin, cette fois-ci donné à François Clouet, peut avec toute confiance être daté de 1560-1561 puisqu'il représente Mary Stuart plus âgée encore, en deuil blanc à la suite de la mort de François II le 5 décembre 1560.
On peut donc suggérer, pour la miniature étudiée ici, une datation extrêmement resserrée, entre le mariage avec François II le 24 avril 1558 et la mort de ce dernier deux ans et demi plus tard. Peut-être même est-elle en lien avec un éventuel portrait de couronnement. Cette hypothèse pourrait être corroborée par l'existence d'un autre portrait où Marie Stuart est associée à son premier époux, François II, dans le Livre d'heures de Catherine de Médicis, datable de 1572 et également à la BnF (Manuscrits, NAL 82, f. 154v). Ce portrait reprend exactement le visage et en grande partie le costume de la miniature des collections royales anglaises, mais avec quelques différences : « robe d’écarlate surmontée d’un plastron à jaseran achevé par un haut col largement ouvert encadrant le cou » (Bimbenet-Privat 2008). Il est évidemment possible que l'artiste ait pu changer des détails des costumes pour la miniature insérée dans le livre d'heures, mais cela nous semble peu probable, l'artiste ayant produit la série des portraits pour le livre d'heures ayant la plupart du temps copié littéralement divers modèles bien identifiés.
avec cadre
Attribution traditionnelle, dès la collection de Charles Ier ( "Janet"), elle est aujourd'hui retenue par l'ensemble de la critique.
Dans sa présentation, en particulier dans le cadrage de la figure, avec les mains "parlantes" et le bras droit du modèle tronqué - ce qui brise le caractère officiel de la figure en génèrant une sorte de dynamisme -, cette miniature est exceptionnelle et son originalité s'accorde bien avec l'inventivité de François Clouet.
La qualité picturale des deux mains, de leur modelé et de leur savante articulation, prélude parfaitement à celle des mains d'Elisabeth d'Autriche, épouse de Charles IX, dans son portrait peint à l'huile conservé au Louvre. L'expression très distante et idéale du visage est plus inhabituelle, mais le détail de la facture, où transparaissent les traits de contours et de modelés essentiels , librement notés dans les yeux en particulier et sur la tempe droite, confirment la qualité remarquable de cette effigie symbolique et politique ( C. Scailliérez, mai 2022).
Entre 1558 et 1560.
Selon Dimier (1924-26), ce portrait, tout comme le dessin qui lui est associé (op. cit., description) est l'œuvre du "Présumé Jean Decourt, l'attribution à Janet "inscrite au catalogue de Charles Ier, ne [pouvant] être défendue". L'auteur propose cette hypothèse sans doute du fait que cet artiste est connu pour avoir travaillé au service de Marie Stuart, et qu'il situait l'œuvre vers 1560. On sait que Decourt va en Ecosse vers 1565 et cette datation aurait pu être envisageable aussi, indépendamment de l'attribution (op. cit., description pour cette hypothèse).
[Collections d'Elisabeth I ?: hypothèse avancée par Jennifer Scott (2011) sur la base d'une relation par l'ambassadeur de Mary, Sir James Melville, à qui Elizabeth Ière montra en 1564 des miniatures, et "en sortit une de la reine d'Ecosse et l'embrassa"] ; collections de Charles Ier ; inventaire Abraham van der Doort 1649 ; collections de Charles II; par la suite, collections de la couronne d'Angleterre.
Plusieurs versions de ce portrait sont connues, une, datée du XVIIe siècle, étant au Victoria & Albert Museum, citée par Louis Dimier (inv. 625-1882 ; Dimier 1924, II n° 754)
p. 43 n° 33 ( "Janet")
II p. 182 n° 759 ("Jean Decourt")
n° 16 ("François Clouet")