Actualités du RETIF: le Répertoire des tableaux italiens en France (XIIIe-XIXe siècles)
À Michel Laclotte
L'entreprise du Répertoire des tableaux italiens en France (XIIIe-XIXe) est née de la volonté et de la vision de Michel Laclotte, disparu en 2021, auquel nous souhaitons rendre hommage par cet article.
Ce répertoire fait partie des programmes de recherche concernant l’histoire du goût menés au sein de l’Institut National d’Histoire de l’Art : il est consultable dans la base de données AGORHA1 et comporte à ce jour plus de 14000 notices.
Par ses missions sur le terrain à la recherche excitante de peintures oubliées voire inédites et dispersées sur tout le territoire, dans les réserves des musées ou dans les églises, ce programme a suscité un renouveau d’intérêt enthousiaste, notamment de la part de jeunes chercheurs, pour cette école de peinture. Ces dernières années, de nombreuses expositions se sont succédé dans les musées d’Ajaccio ou de Montpellier ou encore directement issues du RETIF, dans le cadre d’Heures italiennes2 à Amiens, Beauvais, Chantilly et Compiègne, mettant à l’honneur le patrimoine italien conservé en France. Des catalogues raisonnés de collections muséales ont été entrepris: Besançon (Nicolas Joyeux), Dijon (musée Magnin, Virginia Comoletti), Montpellier (Benjamin Couilleaux), Le Mans et Orléans (Corentin Dury), Jacquemart-André à Paris et Chaalis (Pierre Curie et Giancarla Cilmi) ou le Louvre (Stéphane Loire, pour le Settecento).
La vitalité, le nombre et la qualité de ces études imposent de poursuivre l’enrichissement des notices déjà publiées et la création de nouvelles à l’occasion des acquisitions, des changements d’attribution et des découvertes qui nous sont signalées par des collègues et des chercheurs, tous également passionnés. C’est grâce à l’initiative d’Isabelle Dubois-Brinkmann, pensionnaire à l’INHA depuis novembre 2019, qu’ont pu être à nouveau organisées en 2021, deux réunions du comité d’attribution où ont été examinées par des spécialistes les photos nouvellement reçues. C’est grâce aussi à Michel Litwinowicz3 , que les fiches d’œuvres sont peu à peu mises à jour par le dépouillement des publications, catalogues, monographies ou articles. La revue ArtItalies offre généreusement au RETIF l’occasion de rendre compte de l’actualité de la recherche sur la peinture italienne en France et de démontrer, si besoin était, l’attrait toujours renouvelé pour cette école. Les découvertes sont très nombreuses et nous avons dû faire des choix. Ce premier article propose une synthèse des nouveautés concernant les écoles florentines et romaines pour inaugurer une rubrique qui, nous l’espérons, deviendra pérenne.
Nathalie Volle, conservateur général honoraire du patrimoine, pensionnaire à l’INHA, chargée du RETIF (2009-2016)
École florentine
Au cours des dernières années, l'école florentine a bénéficié en effet de plusieurs identifications importantes concernant des œuvres des XIVe et XVe siècles, ainsi que du XVIIe siècle.
Après l’exposition Heures Italiennes en Picardie, Richard Schuler, conservateur des Antiquités et Objets d’art de l’Oise, a découvert dans l’église Saint-Sulpice à Machemont (Oise)1trois panneaux florentins (fig. 1) présentés dans un cadre formant un triptyque sommé de croix latines. Dans ces panneaux considérés comme des imitations de la Renaissance italienne, Corentin Dury a justement repéré la main de Niccolò di Pietro Gerini (avant 1368-vers 1414) dans la représentation de saint Jacques le Majeur à l’extrémité gauche et dans celle du saint identifié sans certitude avec Barthélemy au centre du pseudo-polyptyque. Il reconnaît la paternité de Jacopo del Casentino2 (1279- vers 1349) dans le panneau de l’extrémité droite représentant saint Barthélemy, que l’on pourrait dater des années 1340 alors que ceux exécutés par Gerini3, plus tardifs, datent du tout début du XVe siècle. Ajoutons que l’auteur de la découverte s’appuie sur la comparaison avec le Saint Barthélemy par del Casentino de la Galleria dell’Accademia à Florence. Concernant le panneau de Gerini, Corentin Dury rapproche le sol aux motifs à l’or guilloché évoquant des aigles héraldiques des panneaux de Machemont avec celui représenté sous les pieds des saints Pierre et Paul du polyptyque du Baptême du Christ de la National Gallery à Londres4.
Matteo Gianeselli, quant à lui, a fait récemment quelques identifications importantes concernant des peintures de l’école florentine du Quattrocento. Il a étudié le panneau représentant L’Adoration des Mages du musée Baron Gérard à Bayeux1 (fig. 2) longtemps attribué à un anonyme florentin du XVe siècle2. Il est arrivé à la conclusion qu’il s’agit d’une œuvre de Cosimo Rosselli (1439-1507), en s’appuyant sur l’ancienne attribution de Bernard Berenson (1932) qui pensait à la période de jeunesse de l’artiste3. Matteo Gianeselli la date vers 1475-1480 et indique qu’elle devait être disposée sur la prédelle d’un retable représentant peut-être une « Sainte Conversation », commandé pour une église de la cité ou du contado4 par un client florentin non identifié probablement proche des Médicis. Il souligne de nombreuses analogies entre les personnages et ceux des autres représentations de l’Adoration de l’Enfant du peintre conservées à la Ruskin Gallery de Sheffield, à l’église paroissiale Notre-Dame de Martinvast (Manche), à la Gemäldegalerie de Berlin5 et au Fitzwilliam Museum de Cambridge6. Il note aussi que les visages de Balthazar et de Gaspard s’apparentent aux saints d’une œuvre conservée au musée des Arts décoratifs à Paris7. Rosselli, dans l’Adoration des Mages de Bayeux, montre sa connaissance de la tradition florentine des représentations de cette scène (Lorenzo Monaco, Gentile de Fabriano, Botticelli et Filippino Lippi) où la composition est tripartite, en frise et non centrée sur la Vierge et l’Enfant8.
Le chercheur a également attribué quelques autres œuvres appartenant à des ateliers de la même école. Les deux panneaux en pendant du musée Jacquemart-André1 à Paris, le premier représentant La Bataille de Pydna et le second Le Triomphe d’Æmilius Paulus avec le triomphe de l’Amour, reviennent à l’atelier de Verrocchio. Ces œuvres sont néanmoins encore aujourd’hui difficiles à attribuer et les récents avis des spécialistes sont partagés. Pour Luciano Bellosi (2002) et pour Nicolas Sainte Fare Garnot, il s’agit de cassoni de Verrocchio, alors que Vincent Delieuvin2 (2019) y voit plutôt la main de Pollaiuolo. En revanche, Pierre Curie3 (2021) hésite entre l’atelier de Verrocchio ou celui de Piero del Pollaiuolo (1441-1496) et remarque qu’elles sont peintes à plusieurs mains en raison des disparités de qualité entre les différents personnages. Il les date vers 1470-1475. À son tour, Laurence Kanter (2018) penche pour une attribution généreuse à Léonard aidé d’un assistant.
La très grande Adoration des Mages du musée du Petit Palais à Avignon1, est une autre attribution nouvelle de Matteo Gianeselli, qui y voit une production de l’atelier de Cosimo Rosselli (avec une participation du maître) en collaboration avec l’atelier de Davide Ghirlandaio, peinte en 1495. Rappelons également que ce chercheur, alors chargé d’étude à l’INHA pour le RETIF, avait reconnu, en 2011, que La Vierge et l’Enfant avec le petit saint Jean-Baptiste de l’église Saint-Félix à Champigny-en-Beauce (Loir-et-Cher), considérée jusque-là comme une copie du XIXe siècle, avait été exécutée, vers 1500, dans l’atelier de Sandro Botticelli2.
Évoquons à présent deux précieux tableaux du Seicento découverts, en 2016, par Anetta Palonka-Cohin dans l’église Notre-Dame à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe). Il s’agit d’un Saint Michel pesant les âmes (fig. 3) du peintre de la Contre-Réforme Francesco Curradi1 (1570-1661) et d’un Saint Jean-Baptiste au désert (fig. 4) de son contemporain à Florence, Matteo Rosselli2 (1578-1650)3. La première œuvre est datée après 1633, date de l’obtention par Curradi de la distinction de chevalier de l’Ordre du Christ à l’occasion de son voyage à Rome. La seconde, celle de Rosselli, est datée des années 1620. La conservatrice avait avancé l’attribution de la peinture représentant saint Michel à Francesco Curradi. Par la suite, lors d’une restauration, la signature du peintre est apparue et a confirmé cette hypothèse. Les inscriptions anciennes sur des cachets du même type sur les revers des deux toiles ont également été utiles dans cette découverte. La chercheuse a comparé de manière convaincante l’attitude et le physique du personnage de saint Michel à ceux du bourreau de la Décollation de saint Paul de Curradi conservée dans la chapelle Inghirami de la cathédrale Santa Maria Assunta à Volterra4 (datée de 1627). Anetta Palonka-Cohin observe que « les formats sensiblement identiques de ces tableaux et leurs compositions relativement proches, permettent d’y voir, semble-t-il, une paire ainsi conçue dès l’origine » ; elle suppose une commande de Marie de Médicis et un don à Urbain de Bois-Dauphin, marquis de Sablé, ancien Ligueur au grade de maréchal qui passa dans le camp royal et devint un des favoris de la reine5. Elle souligne aussi leurs inscriptions similaires datant du Settecento qui témoignent de leur appartenance à la même collection italienne au moins depuis 17636. Les deux œuvres se distinguent par le raffinement de leur composition et la qualité du clair-obscur des personnages.
L’identification par nous-même de l’auteur de la Nature morte à la guitare du musée Grobet-Labadié à Marseille1 (fig. 5) constitue une découverte intéressante. L’œuvre est actuellement déposée à la Villa Provençale dans la même ville et provient du don Grobet de janvier 1919. La toile était cataloguée dans le RETIF en tant qu’anonyme du XVIIIe siècle et avait été précédemment attribuée de manière incertaine à Paolo Guidotti (vers 1560-1629) dit Il Cavaliere Borghese, peintre maniériste tardif, originaire de Lucques et actif à Rome. Cette attribution n’étant pas satisfaisante, nous avons entrepris une étude complémentaire et un examen direct de l’œuvre2, ce qui nous a permis de préciser son auteur. Il s’agit en réalité d’un peintre de natures mortes, Cristoforo Munari3 (1667-1720), né à Reggio Emilia et actif principalement à Rome (vers 1697-1707) et à Florence (mars/avril 1707-1716)4. Le tableau de Marseille présente un répertoire typique du peintre : les instruments de musique (guitare5, flûte), le melon découpé et arrangé d’une façon caractéristique ainsi que le bol en porcelaine chinoise (contemporain de l’artiste)6, l’objet en verre (bonbonnière ?) et un búcaro7 de provenance mexicaine. Nous pourrions le rapprocher des natures mortes exécutées par Munari pendant sa période florentine, vers 1712, dont celle du Museo Civico de Montepulciano et sa version avec variantes du Szépművészeti Múzeum de Budapest8. On repère un langage pictural identique, jusqu’aux détails des instruments de musique comme les cordes sinueuses interrompues (ou dépassant les limites de la guitare), aux décorations du centre de la guitare ou bien à la manière de poser les reflets blancs sur la surface de la flûte. Un clair-obscur puissant est employé dans tous ces tableaux et trahit la même main. Notre attribution a été soutenue par la spécialiste du peintre Francesca Baldassari (décembre 2021)9. Rappelons qu’il s’agit de la deuxième identification en l’espace de quelques années d’une œuvre de Munari en France. En 2011, nous avions déjà identifié la Nature morte au melon ouvert, fruits sur un plat d’étain, verre et porcelaine de la Fondation Custodia10 à Paris comme étant de la main de Munari. Ce nom a été également confirmé dans les publications apparues après cette date11.
École romaine
Le RETIF s’est notamment enrichi de quelques nouvelles identifications de tableaux de l’école romaine du XVIe au XIXe siècle.
Une copie de très haute qualité du Saint Jean-Baptiste de Raphaël de la Galleria degli Uffizi1 conservée à l’Archevêché de Rouen était datée dans le RETIF du Seicento ; elle pourrait être attribuée à Giulio Romano (vers 1499-1546), son élève le plus fameux2. Le tableau normand, peint vers 1520, provient de la collection d’Edmond Frédéric Fuzet (1839-1915) qui était archevêque de Rouen entre 1899 et 1915. Publiée pour la première fois par Matteo Gianeselli, dans l’avant-dernier numéro de la revue ArtItalies, elle démontre l’influence de Léonard de Vinci (et en particulier de son Saint Jean-Baptiste du Louvre) sur Raphaël et son entourage le plus proche, dont Giulio Romano. Mais d’autres recherches seront nécessaires afin de préciser sa provenance et le contexte de réalisation. Notons que de nombreuses autres copies d’après l’original du Saint Jean-Baptiste des Uffizi sont conservées dans les collections publiques françaises (musée des Beaux-Arts de Rennes3 ; deux petites versions du musée Granet d’Aix-en-Provence4 ; musée des Beaux-Arts d’Agen5) dont certaines ont été réalisées au XIXe siècle6.
Annick Le Marrec et Francesco Petrucci ont apporté plusieurs nouveautés sur le tableau du Palais Fesch d’Ajaccio7 autrefois connu sous le titre La Magicienne et anciennement attribué à Johann Liss (1597-1631). La restauration de 2015 a facilité l’identification du sujet correct par Élisabeth Mognetti comme une Allégorie de l’Expérience, telle que décrite dans L’Iconologie de Cesare Ripa. Quant à son auteur, Daniele Benati (2015) l’avait d’abord rapproché de l’entourage de Francesco Mola (1612-1666), avant que Francesco Petrucci ne l’attribue à Mola lui-même. Andrea de Marchi a été favorable à cette proposition, sans en être toutefois certain. En outre, Annick Le Marrec a suggéré que la toile formerait un pendant avec le Diogène jetant son écuelle attribué à Mola du même musée8. La proposition a été acceptée par Francesco Petrucci qui a indiqué que la paire d’œuvres pourrait correspondre à celle présentée, en 1736, à l’exposition dans le cloître de l’église San Giovanni Decollato à Rome9. La datation reste à préciser, mais devrait se situer vers deuxième quart du XVIIe siècle.
Nous voudrions à présent évoquer l’identification d’une œuvre romaine du XVIIe siècle. Benoît Berger et Melissa Rey ont proposé d’attribuer à l’atelier de Carlo Maratti le tableau conservé dans la cathédrale Saint-Pierre à Annecy. Les chercheurs ont précisé l’iconographie de l’œuvre qui représente en réalité Sainte Françoise Romaine10 et non une scène d’Annonciation. Une version autographe, de 1654, de cette composition et de dimensions presque identiques, provenant de l’église romaine Santa Maria della Pace, est conservée à la Pinacoteca d’Ascoli Piceno. Cette dernière a été commandée par Giovanni Belardino Monterselli et citée par Lione Pascoli dans la vie de Maratti11. Comme le souligne Vincenzo Mancuso12, en l’état actuel des recherches, nous ne pouvons pas établir s’il s’agit d’une copie d’après le maître ou d’une version peinte dans son atelier.
La majorité des nouvelles identifications d’œuvres romaines concernent toutefois le Settecento. Ainsi, une belle découverte vient de Jean-Christophe Stuccilli et de Mario Epifani1 qui ont identifié, en 2018, un tableau représentant Saint Joseph couronné par l’Enfant-Jésus de Sebastiano Conca à l’église Saint-Didier à Bassy (Haute-Savoie)2 (fig. 6). Cet artiste, né à Gaète en 1680, formé à Naples dans l’étalier de Solimena, fut longtemps installé à Rome (1706-1752). Le peintre ouvrit, dès 1710, dans sa propre maison, une académie où il enseignait le dessin de nu, puis il devint membre de l’Accademia di San Luca en 1718. Après quelques années, il obtint un appartement dans le célèbre Palazzo Farnese3. Il effectuait de courts séjours à Sienne et à Turin et décéda en 1764 à Naples. Le maître obtint un grand succès de
son vivant, travaillant pour de grands mécènes européens (anglais, allemands, espagnols, portugais et français) et il était protégé par le cardinal Ottoboni (1667-1740)4. L’art de Conca se situe entre celui de Maratti et celui de Pompeo Batoni. En outre, Jean-Christophe Stuccilli et Mario Epifani identifient l’œuvre de Bassy avec l’une des quatre grandes toiles (12 paumes) peintes, vers 1720-1725, pour le roi de Sardaigne mentionnées par Lione Pascoli5. Deux peintures de cette commande à Conca, La Vierge à l’Enfant et saint Charles Borromée et La Vierge à l’Enfant et Saint François de Sales, sont toujours conservées dans l’église Saint-Hubert de Venaria Reale. Le biographe mentionne aussi une Immaculée Conception entourée de Saint Jean-Baptiste et de l’archange Raphaël (non localisée) et un tableau représentant « S. Giuseppe coronato, alla presenza della Madonna medesima, di gigli dal Bambino » qui correspond à la toile de Bassy6. Ainsi, la datation devrait se situer vers 1726, c’est-à-dire dans la période de maturité du maître. Cette peinture fut exécutée à Rome, puis envoyée à Turin. Notons encore qu’elle est stylistiquement et iconographiquement liée à deux œuvres piémontaises du peintre qui représentent le même sujet (la Vierge remettant l’Enfant-Jésus à saint Joseph) conservées à la collégiale de l’Assomption à Ceva (vers 1718-1720) et à l’église Sainte-Thérèse à Turin (vers 1730)7.
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Conca était le Principe de l’Accademia di San Luca à Rome quand, en 1741, son collègue romain Marco Benefial (1684-1764) fut admis à l’unanimité au sein de l’institution1. Alessandro Agresti a récemment (2017) attribué à Benefial l’imposante composition de presque 3 mètres de largeur représentant le Christ chassant les marchands du Temple conservée au musée de Picardie à Amiens2 (fig. 7). Le spécialiste rapproche le personnage de Jésus d’un dessin du musée de Berlin3. Auparavant, plusieurs attributions avaient été proposées, mais aucune n’était satisfaisante. On a pensé au Vénitien formé à Bologne, Giovanni Antonio Fumiani4 (vers 1645-1733) et à un suiveur émilien du XVIIe siècle de Giovanni Antonio Sirani5 (1610-1670), et plus récemment au peintre français Robert de Séry6 (1686-1733). Benefial montre, dans le tableau d’Amiens, non seulement ses capacités en composition de plusieurs personnages aux mouvements variés, mais aussi sa maîtrise de l’anatomie du corps humain et des raccourcis compliqués. Notons le contraste frappant entre les draperies colorées, le corps musclé en mouvement, les colonnes lisses et les vastes nuages clairs, légèrement en dégradé. La scène est impétueuse et captivante. La manière de représenter les marchandises portées par les personnages témoigne de son observation attentive de la vie quotidienne romaine.
Le peintre romain de natures mortes Pietro Paolo Cennini (1661-1739) était contemporain de Conca et Benefial. Plusieurs nouvelles propositions d’attribution de ses œuvres dans les collections publiques françaises peuvent être avancées. La reconstruction de son corpus de peintures de chevalet a été effectuée de manière convaincante par Alberto Crispo1. La découverte de deux natures mortes2 en pendant passées, le 28 mai 2013, dans la maison de vente Antonina à Rome (lot 724), dont une signée « petrvs . pavlvs cenninvs », a été le point de départ de son travail. Le chercheur considère que La Nature morte aux fleurs, fruits et légumes du musée d’Arts à Nantes3 (fig. 8) est de la main de Cennini et il lui attribue aussi le vase de fleurs dans l’Allégorie de l’Odorat4, également à Nantes, exécutée en collaboration avec un peintre anonyme italien de l’école romaine (?) du XVIIe siècle ou français (?) qui exécuta la figure féminine.
De notre côté, nous rapprochons de Cennini deux belles natures mortes inédites et anonymes, conservées au Palais Fesch à Ajaccio : la Nature morte aux fruits et au gibier à plumes5 (fig. 9) et la Nature morte au panier de fruits6 (fig. 10). Les deux peintures proviennent de la collection du cardinal Fesch. La première, impressionnante par ses fleurs gracieuses, apparaissait dans la base RETIF attribuée par Daniele Benati (2014) à un anonyme toscan du XVIIe siècle. Quant à la seconde, nous l’avions nous-même auparavant cataloguée sous la même attribution en pensant à un artiste de l’entourage du florentin Bartolomeo Ligozzi (1630-1695). Toutefois, le répertoire des motifs représenté dans ces œuvres (chou-fleur typique, oiseau repris presque à la lettre, groupes de pommes, grenades au même profil, raisins caractéristiques, escargots identiques) correspond parfaitement à celui de Cennini.
Conclusion
Pour terminer cette présentation des dernières découvertes du RETIF, citons aussi l’intéressante identification d’une œuvre du XIXe siècle. Jean-Christophe Baudequin (2021) a attribué au peintre romain néoclassique Vincenzo Camuccini (1771-1844) un Portrait du pape Pie VII (pontificat de 1800 à 1823) conservé dans l’abbaye de la Trinité à Fécamp1. Selon Christian Omodeo (2021), spécialiste du peintre, il s’agit d’une « copie d’assez bonne qualité » d’après le portrait par Camuccini2. Il existe de nombreuses copies d’atelier d’après cette œuvre, car l’objectif de la papauté après la chute de Napoléon était de réaffirmer le rôle des pontifes. En fait, l’artiste réalisa trois différentes versions de cette composition. La première, aujourd’hui non localisée, fut commandée en 1814 par le duc Frédéric IV de Saxe-Gotha-Altenbourg à la demande de l’empereur d’Autriche3. On connaît deux autres répliques par Camuccini, représentant le souverain pontife assis sur le trône et tenant une feuille de papier : celle du Kunsthistorisches Museum à Vienne4 et celle de la Pinacoteca Comunale à Cesena (en dépôt à la Biblioteca Malatestiana)5. Ces peintures puisent leur inspiration dans de célèbres portraits, celui de Jules II par Raphaël et celui d’Innocent X par Vélasquez. Un nombre important de copies et de gravures a été exécuté jusqu’à la mort du pape6. Notons que la copie partielle de Fécamp se rapproche des esquisses en tondo, l’une passée en vente, le 6 juin 2006, chez Porro & C. à Milan7 (lot 161) et l’autre conservée dans la collection Lemme à Rome8.
Michel Litwinowicz, docteur de l’EPHE, collaborateur du projet RETIF, INHA
Œuvres citées
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Bibiographie citée, avec rebonds vers les œuvres en références
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