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Panneaux de carreaux de céramique à décor de lustre métallique, provenant de Varamine (Victoria & Albert Museum)

Élargir le puzzle, poser le décor : enquête dans les collections publiques françaises

05/04/2023 Medieval Kāshi Online

Les débuts : objectifs d'un recensement

Dès l'arrivée de « Medieval Kâshi » à l'Institut national d'histoire de l'art, au mois d'octobre 2020, la question s'est posée de la présence des collections publiques françaises « mineures » au sein de la future base de données. Précurseur de Medieval Kâshi Online (MKO), le « Medieval Kâshi Project » (2015-2017) avait rassemblé une masse de données autour des carreaux de Kashân inscrits en forme de croix et d'étoile provenant de plusieurs grandes collections internationales : Victoria & Albert Museum, British Museum, Hermitage Museum, Museum of Fine Arts, Freer Gallery of Art, The Metropolitan Museum, Brooklyn Museum, Musée d’art islamique de Berlin, Musée National d’Iran, Musée Rezâ-e Abbassi, Musée Astaneh à Qom. Les collections du musée du Louvre et du musée national de Céramique de Sèvres (Cité de la Céramique Sèvres et Limoges) venaient tout naturellement s'ajouter aux corpus déjà prospectés, en raison du partenariat sur lequel repose le programme de recherche dès 2020.

Avec l'entrée de l'INHA dans ce partenariat, d'autres missions et objectifs venaient s'associer aux questionnements scientifiques de la base « Medieval Kâshi » : entre autres, la diffusion des connaissances en histoire de l’art et l’animation de réseaux sur le plan national et international, ainsi que la mise en valeur des acteurs et des recherches en histoire de l'art opérant sur le territoire national. Comme l'équipe l'a vite compris, la dimension internationale, qui imprégnait le projet dès l'origine par la nature même des corpus prospectés, suggérait aussi un volet national, français, de la recherche - et ce pour deux raisons. D'un côté, la mission culturelle propre à l'INHA imposait de fournir aux professionnelles et professionnels de la recherche et des musées à l'international un panorama le plus complet possible des carreaux kâshi présents dans les collections françaises, sur la totalité du territoire national : sachant d’autant plus leur absence de visibilité en ligne ou dans les bases de recherche. De l'autre côté, des collections connues et relativement bien documentées, telles celles du Louvre et de Sèvres, pouvaient permettre une meilleure contextualisation et documentation des cas moins étudiés, et vice versa bénéficier d'une contrepoint comparatif inédit.

La démarche

Avec ces objectifs à l'esprit, l'enquête a démarré en même temps que le deuxième confinement en France. Notre démarche s'est ainsi déployée, plusieurs mois durant et jusqu'à la réouverture des musées, entièrement à distance.Il s'agissait tout d'abord d'établir une liste des musées de région susceptibles de conserver (dans les salles comme dans les réserves) des carreaux kâshi inscrits. Si certains corpus étaient déjà connus (Musée des Beaux-Arts de Lyon, Musée Granet à Aix-en-Provence), la première base du répertoire en voie de constitution a été fournie par la cartographie RAIF(Réseau d'art islamique en France)1, impulsée dès 2016 par le Département des arts de l'Islam du Musée du Louvre, à l'époque sous la direction de Yannick Lintz.

Le Réseau d’Art Islamique en France (RAIF)

La carte RAIF n'indiquant pas de noms d'institutions (mais seulement les villes concernées), elle a été croisée avec la base Muséofile, ou répertoire des Musées de France, consultable sur la Plateforme Ouverte du Patrimoine (POP)1.

De ce croisement est issu un tableur Excel listant une centaine de musées, classés par région, au sein desquels des objets islamiques avaient au préalable été identifiés.

Il était ensuite question de savoir si ce « patrimoine islamique » non autrement précisé pouvait inclure des carreaux ilkhanides à décor de lustre métallique. Les dénominations ont souvent posé problème, révélant aussi une histoire des collections et des classifications2. Pour avoir une idée générale - et à distance - du contenu des collections, nous avons parcouru autant que possible la base Joconde (Collections des Musées de France), bien conscientes du fait que, à chaque passage, venait se rajouter un biais de recherche : les seuls musées répertoriés sur Muséofile sont ceux qui portent le label « Musée de France » ; parmi ces derniers, seuls ceux qui auront versé toute ou une partie de leur documentation en ligne pourront être prospectés via Joconde... et ainsi de suite. Pour pallier ces biais successifs, des campagnes de contact parallèles ont été lancées auprès des Conseillers Musées des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et du Service Musées de France : ces interlocuteurs ont pu relayer l'annonce de l'enquête en cours, et atteindre davantage d'institutions muséales3.

Collecte et signification

Les premiers retours à nos très nombreux courriels ont été très variés : envoi direct d'un dossier d'œuvre et de visuels, refus de communiquer autour des collections, ou encore - le plus souvent - des interrogations. C'est le cas d'une des plus belles « découvertes » de la base, venue du Musée des Confluences de Lyon, qui conserve un assemblage sur panneau de plusieurs carreaux inscrits, témoin d'une pratique jadis très affirmée parmi les collections privées et attestée par ailleurs dans des photos d'époque (collection Homberg, reproduite dans : Gaston Migeon, « Collection de M. Octave Homberg », Les Arts, n°36, décembre 1904), p. 32-48 : 32,44).

La collection de Octave Homberg

Sur le plan du chiffrage, les corpus français « mineurs » ne représentent pour l'instant que 29 notices de type « œuvre » au sein de la base, ainsi distribuées :

La piste d'un don de Louis Carrand (1821-1899), peintre et collectionneur lyonnais, a permis de faire le lien avec les collections du Museo del Bargello à Florence, Italie, dont le corpus de carreaux kâshi (5) a également intégré la base suite à la même enquête.

Ainsi, si le résultat quantitatif de ce recensement inédit reste limité, nous ne saurions pas en négliger les apports qualitatifs. Premièrement, un certain nombre de visuels et données matérielles, destiné auparavant au seul usage interne des musées, est désormais mis à disposition d'une communauté chercheuse internationale : aujourd'hui il est ainsi possible de comparer par dimensions, iconographie et inscriptions les carreaux conservés dans les réserves du MNAD de Limoges ou du Musée des Confluences de Lyon avec leurs homologues de Berlin et Londres. Deuxièmement, une série de noms de collectionneurs d'art islamique (et asiatique), plus ou moins connus, sont mis à l'honneur : c'est le cas de Louis Carrand, susmentionné, mais également d'Adrien Dubouché, Jules Maciet, de l'antiquaire Pickert de Nuremberg et de l'antiquaire Rouveyre, d'Eugène Chevalier, Henriette et Jeanne Bardey, Joseph Étienne Gautier, Édouard Aynard, Georges et Raoul Duseigneur, Jean-Baptiste Giraud, Joseph Émir.
Aux futures recherches la tâche de creuser l'histoire, le profil, le goût de ces collectionneurs privés qui sont à l'origine des collections publiques d'art islamique actuelles, en lien également avec la base "Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939"1 développée à l’INHA et source de nombreux croisements potentiels avec la base MKO, tant sur le plan des noms de collectionneurs que des enjeux quant à l’histoire des dénominations et des collections.

Virginia Grossi et l’équipe MKO tiennent à remercier ici pour leur précieuse collaboration : Mireille Bienvenu (Musée des Beaux-Arts et d'Histoire Naturelle, Châteaudun), Marino Marini (Museo del Bargello, Florence), Ariane Aujoulat (Musée national Adrien Dubouché, Limoges), Marie-Paule Imberti et Olivier Garcin (Musée des Confluences, Lyon), Marion Falaise et Romy Schäfer (Musée des Tissus, Lyon), Salima Hellal et Henrique Simoes (Musée des Beaux-Arts de Lyon), Dominique Samanni (Musées de Marseille), Mireille Jacotin (Mucem, Marseille), Fabienne Texier (Musées de Niort), Farhad Kazemi (Musée du Louvre), Nathalie Pascarel et Louise Flouquet (Musée des Arts Décoratifs, Strasbourg).