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Michel Florisoone est critique d’art, historien de l’art et conservateur de musée français. Il est un acteur de premier plan dans la récupération artistique qui s’organise à la Libération.

Un critique et historien d’art au Louvre

Né le 7 octobre 1904 à Amiens, Michel Louis Marie Florisoone est le fils de Marie-Élisabeth Laflèche (1876-1945) et de Charles Félix Florisoone (1864-1930), professeur agrégé d’histoire au lycée Henri-IV puis à Janson-de-Sailly. En 1925, il est soldat de réserve dans le 133e régiment, 14e escadron du train1, à Lyon. En 1934, il se marie avec Louise Françoise Andry (1892-1946), employée à la préfecture de la Seine. Après le décès de celle-ci en 1946, il épouse Claude Marchal, avec qui il a deux fils.

Durant l’entre-deux-guerres, Michel Florisoone se distingue par une intense activité de critique d’art : il publie dans des revues comme le Bulletin des musées de France, L’Art et les Artistes (dont il est secrétaire de rédaction), Marianne, L’Art et les Archives, La Revue politique et littéraire, Beaux-Arts ou encore L’Amour de l’art, qu’il codirige avec Germain Bazin et René Huyghe. Michel Florisoone collabore également à la collection « Trésors de la peinture française » (Albert Skira) aux côtés de noms prestigieux tels Henri Focillon, Louis Réau, Paul Valéry, Pierre Francastel, Louis Hautecœur ou André Lhote. Ses travaux l’amènent par ailleurs à échanger avec des conservateurs et universitaires étrangers, comme le Dr Hugo Kebher (1876-1967), du Kunsthistorischen Seminars der Universität, Munich2. Dans les années 1930, il est des grands dîners, vernissages et manifestations, notamment ceux organisés par le Syndicat de la presse artistique française et l’Association française d’action artistique3, où se pressent les personnalités du milieu.

En 1936, Michel Florisoone entre au département des Peintures du musée du Louvre comme chargé de mission et devient l’assistant de René Huyghe4. Ensemble, et avec le concours d’Albert Henraux (1881-1953), alors président de la Société des amis du Louvre (1932-1953), ils travaillent à la grande exposition « La vie et l’œuvre de Vincent van Gogh » organisée au palais de Tokyo à l’occasion de l’Exposition universelle de 19375. La même année, Michel Florisoone publie une biographie en trois volumes de l’artiste, pour laquelle l’Académie française lui décerne le prix Charles Blanc en juillet 1938.

Lorsque la France entre en guerre en 1939, Michel Florisoone, alors âgé de 35 ans, est enrôlé dans l’armée avec le grade de lieutenant, avant de reprendre son poste au Louvre à une date non précisée. Durant cette période, il garde contact avec ses collègues conservateurs du Louvre, notamment René Huyghe et Germain Bazin6, responsables de plusieurs dépôts du Louvre, dont les œuvres ont été évacuées en province. La guerre ne semble d’ailleurs pas entraver l’activité de L’Amour de l’art puisque à l’automne 1939, René Huyghe prend la décision de poursuivre la parution de la revue. En novembre, Michel Florisoone lui écrit, en guise d’approbation :

« Une telle guerre qui n’apporte guère d’exaltation ni guère d’héroïsme risque de sombrer pour l’homme, dans une terrible matérialité […] L’ennui et l’abrutissement submergera avant quelques semaines l’homme moyen : les arrivistes auront joie à patauger dans cette tourbe. Déjà les journaux racontent des âneries et sonnent creux : le refuge de la bêtise et de la bête n’est pas loin, et la civilisation risque de sortir de cette guerre pour la civilisation, terriblement amoindrie. Donc la revue est nécessaire7. »

En dépit de cette initiative en faveur de l’activité culturelle, le musée du Louvre, quant à lui, fonctionne au ralenti. Michel Florisoone pourvoit à l’absence de ses collègues en s’occupant des affaires courantes au département des Peintures. L’instauration du régime de Vichy à l’été 1940 fait cependant bouger les cadres de la fonction publique et, par arrêté du 20 décembre 1940, Michel Florisoone est nommé chef du service d’action artistique à l’étranger en remplacement de Philippe Erlanger, révoqué8. Installé au palais de Chaillot, ce service supervise en particulier les déplacements des artistes français à l’étranger, qui ne sont accordés que sur autorisation signée du directeur général des Beaux-Arts après déclaration des dates et de l’itinéraire de tournée. Il semble que Michel Florisoone cumule cette responsabilité avec celle du département des Peintures, sans doute officieusement et en raison de la confiance que lui accorde René Huyghe.

Les activités de Michel Florisoone pendant le conflit demeurent cependant assez mal connues. Le nombre de ses publications, abondantes avant-guerre, se réduit presque à néant. On note la parution en 1942, avec des illustrations du peintre Yves Bonnat et le journaliste et critique d’art Raymond Cogniat, d’Un an de théâtre, 1940-19419, qui dresse un bilan de l’année théâtrale 1940-1941 à Paris et en zone libre. En 1943, Michel Florisoone est également l’auteur des textes d’un catalogue que la galerie Durand-Ruel édite autour de l’œuvre du peintre Jean Dries (1905-1973).

Un conservateur au service de la récupération artistique en France

À la suite de la capitulation de l’Allemagne nazie, la récupération artistique s’organise pour retrouver les biens culturels français spoliés, pillés ou disparus pendant l’Occupation. La Commission de récupération artistique (CRA) créée à cet effet compte Michel Florisoone parmi ses membres (arrêté du 28 décembre 1944). À partir du 10 février 19451, il en devient le chef des services administratifs, jusqu’au 1er janvier 1949, date à laquelle son détachement des Musées nationaux prend fin. Le poste est alors supprimé et remplacé par celui de conseiller technique, qu’il assure également. À ce titre, il intervient dans les enquêtes et négociations de nombreuses affaires impliquant des œuvres spoliées ou d’origine française, parfois même plusieurs années après la fin officielle de la récupération artistique2.

Ces différentes fonctions le conduisent à entretenir une correspondance suivie avec Rose Valland, alors cheffe du Service de remise en place des œuvres d’art (SRPOA), à Berlin, ainsi qu’avec les nombreuses antennes de la récupération artistique en Allemagne. Les archives de la CRA3, en particulier les dossiers du Bureau d’investigation artistique (BIA), et les Archives nationales américaines, conservent la mémoire de son action, notamment la correspondance échangée avec ses homologues américains tels que Richard F. Howard, chef du programme Monuments, Fine Arts, and Archives (MFA&A), ou Thomas C. Howe Jr., conseiller pour les affaires culturelles au Central Collecting Point de Wiesbaden4. Quoique le périmètre de son action se limite à la France, il arrive que Michel Florisoone rencontre certains officiers du MFA&A, comme le major Mason Hammond lors de sa venue à Versailles en mai 19455. Rose Valland présente alors Michel Florisoone comme un « habitué aux échanges culturels internationaux par un stage de plusieurs années au Quai d’Orsay6 ».

Au cours de cette période, Michel Florisoone rédige plusieurs publications et rapports précieux pour la connaissance de l’organisation, l’action et des résultats de la CRA. Ainsi, dès 1946, l’exposition organisée au musée de l’Orangerie présente Les Chefs-d’œuvre des collections privées françaises retrouvés en Allemagne par la Commission de récupération artistique et les services alliés. Aux côtés du conservateur Carle Dreyfus (1875-1952) et de l’archiviste-paléographe Jeanine Lemoine-Delgove (1917-2017), Michel Florisoone rédige les textes du catalogue concernant les peintures et les dessins7. On lui doit également le rapport de clôture de la CRA8, souvent cité en référence pour l’éclairage qu’il donne sur les quatre années que dure officiellement la récupération artistique. Se pose alors la question du sort des œuvres dont les propriétaires n’ont pas été identifiés. La Commission de choix de la récupération artistique, active de 1949 à 1953, doit décider quels biens seront vendus par l’administration des Domaines et quels livres et œuvres seront répartis entre les bibliothèques et musées français. Michel Florisoone est nommé secrétaire de la Commission de choix avant d’être remplacé par Rose Valland. Ses importantes fonctions dans cette entreprise colossale ne l’empêchent pas de s’engager dans de nouvelles activités : en 1944, Michel Florisoone devient en effet titulaire de la chaire de peinture étrangère de l’École du Louvre, pour laquelle il est assisté entre 1945 et 1955 de l’historienne de l’art Adeline Hulftegger9 (1913-1962).

Devenu parallèlement conservateur en 1947, il est rapidement nommé au musée du Louvre en août 1948 grâce à l’appui de son collègue et ami René Huyghe. Avec sa titularisation s’ouvre une période d’expositions d’envergure, dont celles consacrées en 1948 à Jacques-Louis David10, ainsi qu’à Léonard de Vinci11 et à Toulouse-Lautrec12 en 1951.

Les attaques et promotions de l’après-guerre

Outre la récupération artistique, la sortie de guerre ouvre la voie à une épuration du marché de l’art, notamment mise en œuvre par la Commission nationale interprofessionnelle d’épuration. Près de 80 marchands d’art font ainsi l’objet d’enquêtes, voire de procès, pour leur activité de négoce pendant le conflit. Si Michel Florisoone reste en retrait de ce processus, il est à noter que les membres de la CRA sont parfois sollicités pour apporter leur témoignage ou leur expertise sur certains dossiers en cours. Il est intéressant de constater à ce titre que Michel Florisoone n’est pas étranger au marché de l’art ni à ses pratiques.

À l’occasion du Salon de mai 1945, il avait ainsi mis en cause, dans la revue Arts, la stratégie de certains marchands d’art d’acheter l’ensemble de la production de jeunes peintres, leur interdisant ensuite de participer à des expositions d’envergure nationale, voire internationale. L’article insistait tout particulièrement sur les peintres d’avant-garde Maurice Estève, Jean Bazaine et Charles Lapicque, dont le galeriste Louis Carré était alors le représentant exclusif. Michel Florisoone dénonçait en particulier ces engagements « léonins1 » qui empêchaient la nouvelle génération d’artistes français de rayonner au-delà des frontières. En réponse à cette attaque directe sur sa « rapacité2 », le propriétaire de la célèbre galerie située au 10, avenue de Messine, assigna Michel Florisoone à 100 000 francs de dommages-intérêts devant la 3e chambre du tribunal civil de la Seine, « prétendant que la critique (sic) avait agi de parti pris et que sa chronique avait le caractère préjudiciable du dénigrement commercial3 ».

Lors d’une discussion avec son avocat, Me Pierre Loewel, dont le contenu n’est pas rapporté par les archives, Michel Florisoone indique qui est, à travers lui, visé par Louis Carré et pourquoi ce dernier :

« […] ne s’attaque pas à [Gaston] Diehl ou à [Bernard] Dorival qui ont publié des articles dans le même sens que moi, ou même à ceux qui organisent des expositions. Carré a pensé que j’étais le plus vulnérable et en même temps, il pense atteindre des personnalités plus officielles, ceci à cause de ma position dans la presse et de ma situation de quasi fonctionnaire dans l’administration artistique. Carré n’a d’ailleurs pas caché qu’il englobait beaucoup de personnes en moi, et de plus hauts placés. […] vous voyez les conséquences pour la presse et pour les futures expositions à l’étranger d’une victoire de Carré. […] Il y a là une défense générale à entreprendre contre une prétention inadmissible d’un marchand, et il ne faudrait pas que la perte, pour moi, de ce procès fasse jurisprudence, car il est le premier de ce genre4. »

À partir du milieu des années 1950, Michel Florisoone prend part ponctuellement au Comité consultatif du Conseil international des musées5 en qualité de représentant pour la France des membres associés. Il est particulièrement actif sur le sujet de l’accessibilité des musées : à partir de septembre 1957, il est ainsi chargé de conduire une enquête sur les aspects techniques et juridiques de la préparation d’une réglementation internationale des mesures les plus efficaces pour rendre les musées accessibles à tous6. Dans les mêmes années, il devient secrétaire du Comité national français de l’ICOM7, fonctions qu’il cumule avec celles d’adjoint au directeur des Musées de France (1956-1960) et de secrétaire de l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France.

Michel Florisoone devient administrateur général du Mobilier national, des manufactures des Gobelins et de Beauvais par arrêté du 14 octobre 19608, fonctions qu’il conserve jusqu’en 1963. Il est ensuite nommé directeur du musée des Arts africains et océaniens de Paris, ancêtre du musée du quai Branly - Jacques Chirac, alors installé au palais de la Porte-Dorée. L’époque est à l’indépendance des colonies françaises, et André Malraux, ministre des Affaires culturelles, souhaite en faire un musée en phase avec les enjeux contemporains. C’est à Michel Florisoone qu’échoit la lourde tâche de la restructuration, malgré le manque de moyens qui pèse sur la mise en œuvre du projet. Les actions qu’il entreprend en matière de muséologie ne se montrent cependant pas à la hauteur des attentes du ministre : Michel Florisoone apparaît plutôt en marge des débats intellectuels contemporains associant « arts primitifs » et ethnologie, et la relecture des collections par le prisme de leur valeur artistique intrinsèque, dépouillée de la lecture colonialiste, ne semble pas suffire à remplir le dessein malrucien. Lorsqu’il décède le 28 juin 1973, à l’âge de 68 ans, il lègue toutefois une collection dépouillée de ses artefacts « folkloriques », assortie d’un appareil scientifique renouvelé9.

Michel Florisoone laisse le souvenir d’un historien et critique d’art très prolifique ainsi que d’un conférencier actif dans toute la France10. Il est l’auteur de nombreuses publications, telles que Les Grands Maîtres italiens (1952), Les Grandes Périodes de l’histoire de l’art au musée du Louvre (1955), le Dictionnaire des cathédrales de France (1971) et de monographies sur des artistes notoires comme Goya, Delacroix, Manet, Renoir, Chardin, Gauguin ou encore Cézanne. En tant que vice-président de l’Association des écrivains catholiques, il s’intéresse à la question de l’art sacré11, au sujet duquel il publie notamment dans La Vie catholique et la « Bibliothèque catholique illustrée » (Le Cardinal Dubois, 1929 ; Le Mont-Saint-Michel, 1929). En 1956, il reçoit de l’Académie française le prix Berlier (sic) pour son essai Esthétique et mystique12.