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Marchand réputé pendant l’entre-deux-guerres, Édouard Larcade est proche d’Yves Perdoux durant l’Occupation, pour qui il recherche des œuvres à Nice. Il est impliqué dans des transactions avec Maria Almas-Dietrich et Walter Andreas Hofer.

Un marchand réputé dans l’entre-deux-guerres

Édouard Larcade naît à Bordeaux le 25 juillet 18711. Il emprunte un chemin professionnel éloigné de celui de son père, Félix Marie Larcade, employé à la marine, puisqu’il choisit d’abord d’embrasser une carrière artistique. En 1890, il est en effet inscrit au cours de sculpture statuaire de l’École des Beaux-arts de Bordeaux2. Édouard Larcade est le petit-cousin3 de la collectionneuse Laurentine-Françoise Bernage, épouse de Camille Lelong. À sa mort, il hérite d’une partie de ses biens et participe à la rédaction du catalogue de la vente de ses collections qui se tient à la galerie Georges Petit à Paris en 19024.

Au milieu des années 1900, Larcade ouvre au 140 rue du Faubourg-Saint-Honoré une galerie spécialisée dans l’art ancien et les porcelaines chinoises. Dans les années 1920, le marchand ouvre une seconde adresse 17 place Vendôme, près du Ritz. Il est personnellement domicilié 102 rue du Bac à partir de 1925, où il organise en faveur de la Société des amis du Louvre une grande exposition consacrée à la céramique chinoise en 19285. Pour l’occasion, il fait remonter dans la cour de son immeuble une maison gothique achetée à Abbeville vingt-cinq ans plus tôt6. L’antiquaire est également propriétaire d’une grande villa à Nice. Dans les années 1930, il y fait poser des éléments d’un cloître médiéval en marbre et baptise le lieu abbaye de Roseland7. Il possède par ailleurs une grande villa, aujourd’hui disparue, au 39 avenue du Maréchal-Joffre à Saint-Germain-en-Laye, ville dont il est un temps le conseiller municipal8.

Pendant l’entre-deux-guerres, la maison d’Édouard Larcade est une maison reconnue, tant sur la place parisienne qu’à l’étranger. Le marchand sert par exemple d’intermédiaire entre l’industriel américain John D. Rockefeller et le comte Aimery de La Rochefoucauld dans la vente de cinq tapisseries de la tenture La Chasse à la licorne en 19239. Ses efforts constants pour aider à la reprise des affaires sur le marché de l’art parisien et développer le goût français à l’étranger, et plus particulièrement aux États-Unis, après la Première Guerre mondiale, lui valent d’être fait chevalier de la Légion d’honneur le 8 août 192110. À cette date, il est vice-président de la Chambre syndicale de la curiosité et des beaux-arts. Mobilisé en 1914 et réformé en 1916, le marchand d’art avait par ailleurs pris une part très active dans l’évacuation des objets d’art au moment des raids de gothas sur Paris en 1918.

Les ventes réalisées par Larcade sous l’Occupation

Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, Édouard Larcade est déjà âgé de 68 ans. Devant la Cour de justice du département de la Seine, sa femme affirme qu’il a cessé ses activités commerciales depuis 19321. Sous l’Occupation, il partage donc son temps entre son hôtel parisien du 38 avenue Gabriel, sa résidence de Saint-Germain-en-Laye et sa villa niçoise2. Les rapports de la Roberts Commission assurent qu’il pratiquait des prix extrêmement élevés3. Sa principale cliente est la marchande d’art munichoise Maria Almas-Dietrich. Dans une lettre à la galeriste allemande datée du 29 janvier 1941, Yves Perdoux4, qui sert d’intermédiaire entre elle et Larcade, lui fait d’ailleurs savoir qu’elle est la seule personne avec laquelle le collectionneur consent encore à réaliser des ventes5. C’est justement en 1941 que Larcade réalise le plus de ventes avec elle.

Le 10 avril 1941, la marchande acquiert auprès de lui un tableau destiné à Heinrich Hoffmann, représentant Diane de Poitiers en Diane, pour la somme de 140 000 F6. Le mois suivant, elle obtient un tableau de Christian Wilhelm Ernst Dietrich, représentant un rendez-vous au clair de lune, pour la somme de 180 000 F, ainsi que deux autres tableaux pour 800 000 F7 et un « collier or Raghès » pour 120 000 F8. La plus grosse vente réalisée par Larcade à Maria Almas-Dietrich est celle de six panneaux du polyptyque Crespi de Marco d’Oggiono. Cette vente est accomplie en deux temps. Le 17 janvier 1941, le galeriste vend ainsi pour un million de francs « un tableau primitif de Marc Oggione signé, représentant la vierge, les anges et deux donateurs9 ». Il s’agit certainement des trois panneaux inférieurs du polyptyque. Les trois panneaux supérieurs qui représentent saint Augustin, saint Antoine et sainte Claire sont vendus le 11 septembre de cette même année pour 600 000 F10. Les tableaux sont ensuite revendus par Almas-Dietrich au musée de Linz. La dernière vente attestée de Larcade à Almas-Dietrich est un tableau de Lagrenée, signé et daté de 1747, représentant la Pompadour en pèlerine pour la somme de 200 000 F11. Le marchand se rend également à Nice afin d’acquérir pour elle deux statues-colonnes du XIIe siècle12.

Parmi les ventes d’Édouard Larcade sous l’Occupation, on retrouve également deux scènes galantes de François Boucher13. L’antiquaire les vend d’abord à Maria Almas-Dietrich en janvier 1941. Cette dernière les lui renvoie cependant et en demande le remboursement, estimant qu’il s’agit en réalité de deux copies14. Lui faisant savoir qu’elle sera à Paris entre le 15 et le 18 février suivant, elle espère qu’ils pourront alors se rencontrer. Les deux œuvres figurant des couples d’amoureux sont finalement vendues en 1942 à Walter Andreas Hofer pour la collection personnelle de Göring. Dans une note datée du mois de novembre de cette même année, l’ancien directeur des Musées nationaux et de l’École du Louvre, Henri Verne, détaille d’ailleurs la provenance de ces deux tableaux commandés par la marquise de Pompadour pour le château de Versailles15. Ils avaient été acquis à la fin du XIXe siècle par Madame Lelong, dont Larcade fut l’héritier. L’ami de Larcade, Louis Guiraud, lui avait confirmé en février 1941 l’authenticité des tableaux16. Le collectionneur français aurait également été en contact avec le marchand de Hermann Göring, Walter Bornheim, pour la vente d’une statue en bois polychrome du XVe siècle s’élevant à 120 000 F17. Sur une liste de novembre 1943, le nom d’Édouard Larcade est assorti de deux étoiles, signifiant qu’il est alors considéré comme fiable18.

Le collectionneur profite d’ailleurs des mesures qui visent à garantir la protection des collections nationales en confiant à la Direction des musées nationaux une partie de ses collections. En octobre 1942, deux caisses d’œuvres d’art, six chaises et trois tapisseries sont expédiées vers le dépôt de Valençay, et rejoignent ainsi des œuvres mises à l’abri antérieurement19. En avril 1941, le collectionneur avait  déjà requis l’autorisation de dérouler une de ses tapisseries déposée dans l’Indre20. En octobre de la même année, il avait sollicité l’autorisation de pouvoir ramener à Paris des porcelaines et bronzes de Chine, deux caisses d’objets d’art ainsi que dix tableaux21. Aux conservateurs du musée du Louvre qui manifestent un vif intérêt pour les tapisseries déposées à Valençay en octobre 1942, le collectionneur fait part de son espoir de pouvoir en faire don au musée à l’issue du conflit. Dans une lettre adressée à Jacques Jaujard, datée du 12 octobre 1942, un responsable du dépôt de Valençay écrit : « Mon cher directeur et ami, Je veux vous rendre compte de ma conversation avec Larcade, qui est venu passer 48h ici. Une fois de plus, je lui ai dit combien je serais désireux de voir ses tapisseries entrer au Louvre. Il m’a répondu une fois de plus qu’il ne voulait pas nous les vendre et que son espoir était de pouvoir nous les donner un jour. Il a ajouté qu’en ce moment, il ne les vendrait à aucun prix »22.  En février et mars 1944, de nouvelles caisses sont mises à l’abri au musée du Louvre. Le 17 mai suivant, ce sont à nouveau une caisse et six colis numérotés de 52 à 58 et quatre marbres non emballés qui gagnent les salles du musée parisien. Édouard Larcade récupère les caisses déposées à Valençay dès le mois de novembre 1944. Celles déposées au musée du Louvre sont récupérées par sa femme et son fils en 1947.

Édouard Larcade s’éteint en son domicile parisien le 19 janvier 1945. Il avait institué sa femme Alice Berthe Magnien légataire universelle23. Certaines œuvres de sa collection entrent en tant que legs dans les collections du musée du Louvre, dont une salle du département des objets d’art porte aujourd’hui son nom24.

Son fils, Jean Larcade, évolue également sur le marché de l’art mais se spécialise quant à lui dans la peinture moderne. Dans les années 1950, il ouvre ainsi la galerie Rive droite à Paris et la galerie Jean Larcade25, et expose Georges Mathieu, Jean-Paul Riopelle, Jaroslav Serpan, Karel Appel ou César.