MALINET Nicolas Joseph (FR)
Commentaire biographique
Nicolas Joseph Malinet est une figure incontournable de la vente d’objets d’Extrême-Orient à Paris. Quoiqu’étant entré que tardivement dans le monde de la curiosité, il est l’un des premiers à se spécialiser dans le commerce de l’art asiatique et gardera, sa longue carrière durant, une place centrale dans l’expertise et la diffusion de ces objets.
Du tailleur au marchand de tableaux
Nicolas Joseph Malinet est né à Paris, le 31 mars 1805.Fils de Nicolas François Malinet, artisan, et de Marie Reine Crèvecœur, il commence sa carrière comme tailleur. Si l’on en croit le commissaire-priseur Charles Pillet, auteur d’un des rares témoignages dont on dispose à son sujet, Malinet nourrissait déjà une passion pour l’art, acceptant volontiers un tableau comme rémunération de ses travaux d’aiguille (Pillet C., 1887, p. II). Il fait peu à peu la connaissance d’experts, de marchands et de collectionneurs, et enrichit au fil de ses conversations avec ces cercles éclairés, sa connaissance des arts et de la curiosité. Parmi ces premiers contacts avec le monde de l’art se trouve l’expert Alexis Joseph Febvre (1810-1881), le marchand de tableaux et expert François, l’expert en tableaux anciens François Adolphe Warneck (père du fameux collectionneur Édouard Warneck [1834-1924]), le marchand Jean-Jacques Meffre, lequel l’introduit auprès du comte de Morny dont il était l’un des intermédiaires (Emlein R., 2008, p. 80-81). Comme le montre ce réseau, les premières amours artistiques de Malinet étaient plutôt dans le domaine de la peinture.
Le répertoire des ventes de Fritz Lugt mentionne plusieurs ventes entre 1841 et 1842 au cours desquelles Nicolas Joseph Malinet fait ses débuts comme expert de tableau en compagnie des commissaires-priseurs Bierfuhrer, Benou et Devilliers (16068, 16391, 16421, 16613), toutes étant principalement composées de tableaux.
Il délaisse progressivement le métier de tailleur pour le commerce des tableaux et, en quelques années, il parvient à ouvrir une boutique de curiosités au 25, quai Voltaire à l’âge de trente-sept ans. La boutique Malinet sera inscrite à la rubrique des « curiosités » du Bottin de 1854 à 1890 (Prost L. et Valluy C., 1975, p. 233). Le choix de l’adresse n’a rien d’anodin, il s’installe au beau milieu du quartier des antiquaires sur « ce quai qu’on pourrait appeler le quai de la curiosité et du bibelot » (Pillet C., 1887, p. I). Au fur et à mesure que son œil s’aiguise, il acquiert la confiance de grands collectionneurs pour lesquels il joue le rôle d’intermédiaire. Il participe pour grande part à l’enrichissement de la collection de tableaux du lieutenant-général Hyacinthe François Joseph, comte Despinoy (1764-1848), vendue après la mort de ce dernier en 1850 (Lugt 19609). Le 25, quai Voltaire devient vite fréquenté par les amateurs de marque parmi les plus férus d’art et de curiosité, Charles Pillet mentionne le juge Jacquinot-Godard (voir les multiples ventes après décès de 1858 à 1859 : Lugt 24537, 24598, 24622, 24666, 24727, 24776), l’homme d’État et futur président de la Troisième République Adophe Thiers (1797-1877), le duc Hubert de Cambacérès (1798-1881), pair de France et grand maître des cérémonies de la maison de Napoléon III, le baron Thibon (mort en 1875 ?, vente après décès Lugt 35344), Eugène Tondu (mort en 1865, vente après décès Lugt 28424, 28445, 28476, 28513) et l’abbé Dufouleur (mort en 1856, vente après décès : Lugt 22786 et 25853). Parmi ces collections d’envergure, les arts décoratifs occupent désormais une place de premier plan : celle d’Adolphe Thiers, léguée au Louvre, en est une des illustrations les plus fameuses (Blanc C., 1884). Pour répondre à la demande de ses clients, celui-ci s’oriente de plus en plus vers l’acquisition d’objets d’art de toute nature. Il aurait ainsi fourni une grande partie des émaux de la collection du baron de Theïs (mort en 1874 ?), laquelle comprenait au moment de la mort du baron pas moins de 181 émaux de Limoges, byzantins et vénitiens (Lugt 34861) ; des faïences italiennes du marquis d’Azeglio (quelque 122 lots vendus en 1868, Lugt 30333) ; des ivoires de la collection Dufouleur (plus de 300 pièces en ivoire sculpté datant des XVe au XVIIIe siècle sont vendues à la mort de l’abbé en 1856, Lugt 22786) ; des miniatures de Jacquinot-Godard (une centaine de lots, Lugt 24622) ainsi que des sifflets du professeur au conservatoire de musique et membre de l’Institut Louis Clapisson (1808-1866 ; le catalogue de sa vente après décès en recense plus de 150 exemplaires, Lugt 29126). Cette énumération donne un aperçu de la diversité des objets recherchés par Malinet autant qu’elle illustre sa capacité à répondre à la demande de ses clients d’un goût sûr.
Les arts d’Extrême-Orient
En 1857, les ventes après décès de Louise Antoinette Scholastique Guéheneux, maréchale de Lannes, duchesse de Montebello (1782-1856 ; Lugt 23338, 23368, 23407, 23417, 23441, 23493, 23507) marquent un tournant dans la carrière de Nicolas Joseph Malinet. Il s’agit d’une des plus importantes ventes du XIXe siècle pour les arts de l’Extrême-Orient : étalées sur plusieurs jours entre les mois de février et avril 1857, ces ventes comprennent en tout près de 120 lots de porcelaines japonaises, 372 de porcelaines de Chine (certains de ces lots dépassant la centaine d’objets) dont 86 monté en bronze doré, plusieurs dizaines de meubles en laque du Japon, quelque 219 lots d’objet en laques de la Chine et du Japon, 44 bronzes de la Chine et du Japon, des jades, soieries, etc. Chargé de nombreuses acquisitions pour ses clients, il en fait également pour lui-même. Edmond de Goncourt se remémore dans son Journal « un petit cabinet en laque de la vente Montebello, acheté par Mallinet [sic] » pour le compte d’Adolphe Thiers 2 700 francs (Goncourt E., 17 octobre 1884, p. 1108). Le procès-verbal de cette vente, malheureusement absent des archives de Paris, ne permet pas de saisir l’ampleur des acquisitions de Malinet, mais pour Charles Pillet le mal était fait et « dès lors, les objets de Chine devinrent la principale source de son commerce et en même temps de sa fortune » (Pillet C., 1887, p. V). Malinet acquiert alors une place incontestable dans le commerce de la curiosité : « Il sut donner à ce commerce des objets de l’Extrême-Orient une vive impulsion, il forma des clients et devint le fournisseur attitré de tous ceux qui recherchaient les assiettes coquille d’œuf, les bleus turquoise et les jaspés, il était l’âme de toutes les ventes qui se faisaient en ce genre » (id.). La place de Nicolas Joseph Malinet dans les ventes d’art asiatiques à partir des années 1860 est considérable. D’après Léa Saint-Raymond dans sa remarquable étude sur les ventes d’art asiatique au XIXe siècle, ce dernier « se porta acquéreur de 10 % des lots de ce segment, en volume, pour un total de 336 114 francs, soit 20 % du produit global du marché » (Saint-Raymond L., 2021, p. 247).
Malinet vend une fois des objets de son stock – ou bien de sa collection, il est difficile de le déterminer – en vente publique le 28 novembre 1863 sous le marteau de Charles Pillet (Lugt 27560). Celle-ci rassemble des porcelaines, des laques, des jades et autres objets de la Chine et du Japon. La vente ne rencontre un succès tout relatif : la somme d’adjudication totale de 10 660 francs seulement donne un prix de revient moyen d’environ 83 francs par lot, peu d’entre eux dépassent plusieurs centaines de francs, et nombreux sont ceux récupérés par Malinet lui-même lors de la vente, lequel jugeait sans doute le prix d’adjudication trop bas (AP, D48E3 54). Il est donc difficile d’interpréter cette vente dans le parcours du marchand, est-ce un moyen d’écouler des objets de qualité modeste pour se débarrasser d’une partie de son stock ? Toujours est-il qu’il s’agit de la seule vente publique d’art d’Extrême-Orient qu’on lui connaît, l’expérience peu concluante l’a peut-être redirigé définitivement vers sa boutique et le contact direct avec les collectionneurs.
Certaines archives permettent de mettre en évidence son rôle d’intermédiaire. Ainsi, le carnet de vente de Salomon de Rothschild tenu entre 1862 et 1864 mentionne maintes fois le nom de Malinet, à qui Salomon versa la somme 58 108,45 francs en seulement deux ans pour ses nombreuses acquisitions (Abrigeon d’ P., 2019, n. 11). Charles Pillet signale aussi que « le duc de Morny [Charles Auguste Louis Joseph Demorny, dit duc de Morny 1811-1865] lui donna toute sa confiance, et ne manqua pas de lui envoyer toute une clientèle princière » (Pillet C., 1887, p. V).
C’est d’ailleurs très probablement le duc de Morny qui le recommanda à l’impératrice Eugénie en personne afin d’effectuer l’expertise de son musée chinois installé à Fontainebleau en 1863. C’est effectivement Malinet qui est mandaté pour donner la valeur aux différentes « collections » qui compose ce musée, à savoir, les objets donnés par l’ambassade du Siam de juin 1861, le butin de guerre – près de 500 pièces – rapporté après le pillage du palais d’Été (Yuanmingyuan [圓明園]) par les troupes franco-britanniques en Chine en 1860 (ACF, 1C160/1 et 2). À cela s’ajoutent des œuvres, que l’impératrice Eugénie avait elle-même acquises auprès de Malinet pour compléter son musée chinois (Droguet V., 2018, p. 144-145), telles que des lais de soie brodée (kesi) ou des panneaux de bois sculpté, lesquels viennent se fondre dans le décor, ou un ensemble de vases en bronze (Granger, 2005, p. 143). Le musée comprend enfin des objets acquis au moment des ventes après décès du duc de Morny en 1865, ventes pour lesquelles Malinet fut également mandaté comme expert (Lugt, 28746). La valeur totale atteint la somme imposante de 1 808 129,50 francs, avec, parmi les lots les plus onéreux, les émaux cloisonnés monumentaux (Thomas G. M., 2018, p. 154).
Le musée chinois de Fontainebleau n’est pas le seul lien de Malinet avec les ventes du palais d’Été. Ainsi que l’a montré Léa Saint-Raymond, il est aussi le principal acquéreur des ventes du Yuanmingyuan qui se sont déroulées à Paris dans les années 1860-1870 (Saint-Raymond L., 2021, p. 232-233 ; Howald C. et Saint Raymond L., 2018, p. 15).
Nicolas Joseph Malinet et ses clients
Parmi ses clients les plus fidèles, Charles Pillet cite encore le banquier et ancien consul général de Perse à Paris Hermann Oppenheim (vers 1821-1876) et « M. Dutuit ». La très riche collection Oppenheim fait l’objet d’une vente de succession sur plusieurs jours entre le 23 et le 28 avril 1877. D’après Charles Pillet, Malinet aurait acheté pour lui le Portrait du sergent d’Ernest Meissonnier, lot phare de cette vente attribué à Lurville pour la somme colossale de 100 000 francs (AP, D48E3 67). Edmond de Goncourt réalisa lui aussi quelques acquisitions de « bronzes et de laques […] chez Mallinet [sic] » (Emery E., 2020, p. 36, n. 88, voir également p. 58). Les carnets du collectionneur de porcelaines chinoises Ernest Grandidier (1833-1912) abondent de mention d’achat au nom de Malinet quoiqu’il ne fût pas son principal fournisseur (AN, 20144787/13 ; Chopard, 2020, p. 7, n. 30),
Les archives des frères Dutuit sont à ce jour les plus à même de faire état de son rôle de marchand et d’intermédiaire. Son principal interlocuteur semble être Eugène Dutuit (1807-1886) qui rassemble une immense collection d’art – plus de 18 000 pièces, dont une partie d’art asiatique – avec son frère Auguste (1812-1902) et sa sœur Héloïse (1810-1874) [De Los Llanos J., notice Dutuit]. La première trace de leur collaboration remonte à 1861, comme l’indique une quittance de 1 400 francs datée du 2 juillet, la dernière de 1888, soit deux ans après la mort de Nicolas Joseph, est une quittance de 1 000 francs signée par le neveux et successeur de ce dernier, Henry Grimberghs (AD 76, 220 JP 2119). La correspondance des Dutuit, conservée aux archives départementales de Seine-Maritime, offre un rare témoignage des rapports entre un marchand et son client au XIXe siècle. Non seulement Malinet effectuait des achats sur commandes dans des ventes aux enchères, se rendant parfois jusqu’à Londres dans ce seul but, mais il entreposait aussi certains objets des Dutuit et en assurait la surveillance et l’emballage en vue d’une exposition (AD 76, 220 JP 2068). Il n’était pas rare que les frères Dutuit – en particulier Auguste qui suit les acquisitions depuis Rome – exprimassent entre eux leurs déconvenues face aux choix d’achat de Malinet lors d’une vente aux enchères à laquelle ils avaient passé commission : Auguste Dutuit écrivant à son frère Eugène « regrette [ainsi] que M. Mallinet [sic] ait cru devoir prendre un perse à la vente Larderel, en place d’un hispano-arabe. Il me semble qu’il y en avait quelques-uns de fort beaux », plus tard, le même se plaint que « Mr Mallinet [sic] m’a acheté une robe qu’il a payée les yeux de la tête et qui ne vaut rien attendu qu’elle est de facture moderne » (AD 76, 220 JP 2068, transcription par José de Los Lanos). Leurs échanges montrent que les commissions données à Malinet ne concernaient pas un type d’objets spécifique, mais pouvaient se porter sur toutes sortes d’œuvres des hauts reliefs de Luca della Robbia aux candélabres de style Louis XIV (AD 76, 220 JP 2068).
La liste des très nombreux clients de Malinet serait encore longue à énumérer. Une notice nécrologique parue dans Le Gaulois du 1er avril 1836 parle encore du comte de Mniszeck, du duc de Perigny, de Khalil-Bey LL (Bloche, A., 1886, n.p.). Léa Ponchel a par ailleurs démontré que Philippe Burty avait fait l’acquisition de miniatures chez Malinet (Ponchel L., 2016, vol. II, p.) .
Vie personnelle
Nicolas Joseph Malinet se marie le 20 juillet 1830 à Marie Antoinette Schlotterer (1811-1881) (AP, 5Mil 2060 2945-2947). Le couple eut une fille du nom de Marie Élisa Camille, laquelle meurt prématurément à l’âge de neuf ans en 1851 (AN, MC/ET/XXVI/1427). Le portrait de Camille, jeune fille au visage encore poupon, deux nattes rabattues derrière les oreilles, est représenté dans un médaillon sur la sépulture familiale au cimetière Montmartre (33e division). Il s’agit du seul portrait familial connu à ce jour. Lors de la Commune, Malinet et sa femme se réfugient à Bruxelles, laissant la boutique sous la surveillance d’Henry Grimberghs (Vogt G., 2018, p. 105). Celle-ci ne subira aucun dommage (AD 76, 220 JP 2068). Peu après la mort de sa femme en 1881, Nicolas Joseph Malinet adopte Louise Molas-Page (née le 26 octobre 1851 à Gaillard, AN, MC/ET/XXVI/1386), laquelle a épousé son neveu et collaborateur Henry Grimberghs (AP, V4E 1954). Le couple habite à la même adresse que Malinet, au 43, rue de la Chaussée-d’Antin. Louise est la fille naturelle de Marie Molas dite Page, une femme célibataire demeurant rue de Verneuil no 40 et de père inconnu. Sa mère ne l’avait reconnu que tardivement le 15 février 1860. Comme Nicolas Joseph Malinet l’indique dans son testament, lui et sa femme considéraient Louise comme leur propre fille, car ils l’élevaient chez eux depuis ses cinq ans (AN, MC/ET/XXVI/1427). Nicolas Joseph en fait sa légataire universelle et lègue à son neveu Henry la moitié de sa succession. Il semblerait que la cohabitation avec son neveu n’ait pas toujours été facile, dans une lettre adressée à son notaire datée du 6 septembre 1882, il s’exprime en ces termes : « Mon neveu me rend la vie si pénible depuis si longtemps que je prends toutes les précautions possibles pour assurer à ceux que j’aime les legs que je leur laisse » (AN, MC/ET/XXVI/1427).
Le nom de Malinet reste très présent dans les ventes aux enchères parisiennes jusque dans les années 1880. On le trouve dans toutes les grandes ventes de porcelaines chinoises de cette période telles que les ventes d’Octave Frémin du Sartel (1882, cf.Abrigeon d’ P., notice du Sartel), de Marie Nanine Labrousse, veuve d’Étienne Anne Escudier (1883, AP, D48E3 71), François Philibert Marquis (1883, cf. Abrigeon d’ P., notice Marquis), etc. Alors âgé de plus soixante-dix ans, il ne s’agit vraisemblablement pas de Nicolas Joseph Malinet lui-même, mais de son neveu Henry Grimberghs qui prend la relève sous le nom de son oncle (Bloche A., 1886, n.p.). Nicolas Joseph Malinet s’éteint à la veille de ses quatre-vingt-un ans le 27 mars 1886 au sommet de sa fortune, après avoir fréquenté tous les grands de son temps, enrichi leurs collections, enchéri pour les lots les plus recherchés et ouvert la voie à un marché spécialisé d’art extrême-oriental. Son neveu, Henry Grimberghs, assure un temps la continuité de son commerce, mais déménage l’adresse professionnelle au 34, rue Taitbout (AD 76, 220 JP 2119).
Constitution de la collection
Dans la mesure où il existe un inventaire après décès très fourni des œuvres laissé par Malinet chez lui et dans sa boutique, il est possible, fait assez rare, de distinguer les œuvres faisant partie de son stock de marchand, des œuvres appartenant à sa collection personnelle. Les œuvres de sa collection personnelle sont partiellement vendues, ce qui permet de se reporter aux catalogues de vente dont les descriptions sont bien plus fournies que l’inventaire après décès.
La collection personnelle de Nicolas Joseph Malinet
Une partie de la collection de Nicolas Joseph Malinet est écoulée lors de trois ventes à l’hôtel Drouot sous les marteaux d’Escribe et Maurice Delestre entre la fin de l’année 1886 et le début de l’année 1887. La première concerne les objets d’art et de curiosité qui inclut un certain nombre d’objets extrême-orientaux (Lugt 46067), puis en janvier 1887 est vendue la très riche collection d’estampes (Lugt 46213), enfin en mars 1887, ce sont plus de 300 médailles qui s’écoulent sur le marché de l’art (Lugt 46374).
La vente d’objets d’art de 1886 contient des œuvres de nature très variée. On y trouve des meubles, ivoires, des faïences italiennes, hollandaises, des émaux de Limoges, des objets d’orfèvrerie et des miniatures ou encore des terres cuites. Les porcelaines chinoises rassemblées entre les numéros 71 à 120 semblent fort peu nombreuses si on les compare aux quelque 400 numéros contenus dans le catalogue de son épouse en 1862 (Abrigeon d’ P., notice Marie Antoinette Malinet). Sans doute faut-il se référer là encore à Charles Pillet qui indique que la « collection d’objet de haute curiosité et objets de Chine » est conservée par ses héritiers (Pillet C., 1887, p. VII). Cette vente ne serait donc qu’une partie limitée des longues énumérations contenues dans l’inventaire après décès. Le catalogue comprend néanmoins 188 lots pour une vente qui s’élève en tout à 16 436,50 francs.
La collection d’estampes est très largement tournée vers le XVIIIe siècle français avec de nombreuses estampes d’après François Boucher, Jean-Honoré Fragonard, Greuze, Nicolas Lancret, Antoine Watteau, mais aussi certaines épreuves de Chardin, Cochin, toute une série de gravures d’après peinture pour illustrer les contes de Jean de la Fontaine, etc. La Renaissance est également représentée avec une vingtaine d’estampes d’Albrecht Durer. Les estampes modernes, quoi que beaucoup moins nombreuses, font aussi partie de la collection. Malinet collectionne en particulier les eaux-fortes – Delacroix, Barquemond, Manet, Millet, etc. – parmi lesquelles dominent en nombre celles de Jules Jacquemart (1827-1880). Les mentions fréquentes de qualificatif mélioratif sur la qualité de l’épreuve ou la présence de marge témoigne de la bonne tenue de la collection. La prisée des estampes et gravures lors de l’inventaire après décès est de 26 815 francs ; leur vente aux enchères publiques atteint la somme de 47 559 francs (AP, D60E3 49).
Au même titre que sa collection d’estampes, la collection de médailles est caractéristique de la seconde moitié du XIXe siècle, avec un intérêt fort pour les médailles Renaissance (Legé A. S., 2019). Les provenances géographiques sont variées : Allemagne, Angleterre, Danemark, Espagne, France, Hongrie, Italie, Malte, Pays-Bas, Suède, Suisse. Si la grande majorité des lots concerne les médailles, la fin du catalogue recense également quelques plaquettes (lots 207-300) et monnaies (lots 301-304). Le préfacier du catalogue de vente insiste sur l’aspect particulier de cette collection de médailles « installées magnifiquement, rue de la Chaussée-d’Antin, dans un beau meuble Louis XV, [où] peu de personnes étaient admises à les lui envier » (Lugt 46374, n.p.). La collection de médailles se vend pour la somme totale de 14 741 francs (AP, D60E3 49).
Ce que ces ventes ne révèlent pas, c’est la très grande collection de tableaux de Nicolas Malinet. On trouve, dans son appartement, une remarquable collection de peintures, qui correspondent pour certaines aux artistes les plus cotés de son temps. C’est le cas du peintre réaliste Ernest Meissonier (1815-1891), dont les œuvres, très présentes aux ventes aux enchères publiques, atteignent des prix record (Saint-Raymond L., 2021, p. 280-281), mais aussi du peintre Constant Troyon (1810-1865) autre « valeur sûre » du marché de l’époque (id., p. 278). Malinet montre une appétence particulière pour les peintres de nature morte tels que Victor Leclaire (1830-1885), Antoine Vollon (1833-1900), Jules Félix Ragot (dates inconnues), mais aussi Alexis Kreyder (1839-1912) qu’il semble tenir en très haute estime. Il possède également de nombreuses œuvres de John-Lewis Brown (1829-1890), peintre, graveur et lithographe d’origine anglaise, né à Bordeaux. Sa collection renferme également quelques œuvres de peintres orientalistes tels que Narcisse Berchère (1819-1891), Félix Ziem (1821-1911), Édouard Frédéric Wilhem Richter (1844-1913), ainsi que des peintres de l’école de Barbizon comme Narcisse Díaz de la Peña (1807-1876), Théodore Rousseau (1812-1867), Charles Jacque (1813-1894), Charles-François Daubigny (1817-1878), Léon Germain Pelouse (1838-1891). Les paysages et les marines occupent une place importante dans la collection, notamment ceux d’Eugène Isabey (1803-1886), Antoine Émile Plassan (1817-1903), Eugène Boudin (1824-1898), Pierre-Eugène Grandsire (1825-1905), Stanislas Victor Edmond Lépine (1835-1892), Étienne Prosper Berne-Bellecour (1838-1910), Paul Clays (1817-1900), etc. Le courant réaliste est également bien représenté par des œuvres de Théodule Ribot (1823-1891), Amand Gautier (1825-1894), Gustave Courbet (1819-1877), etc.
Nicolas Joseph Malinet avait aussi acquis des œuvres de peintres au parcours plus modeste tels que Jean-Baptiste Fauvelet (1819-1883), Henri René Gaume (né en 1834), Joseph Urbain Melin (1814-1886), ainsi que celle de jeunes artistes tels que Karl Daubigny (1846-1886), le fils de Charles-François. On trouve parmi les précurseurs de l’impressionnisme le nom de Johan Barthold Jongking (1819-1891) dont il possédait quatre œuvres. Le XVIIIe siècle est aussi représenté dans sa collection à travers les œuvres de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), François Boucher, Jean-François Hue (1751-1823), Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823).
L’inventaire après décès nous apprend enfin que Malinet avait fait réaliser des portraits de famille par les peintres de son temps, par exemple celui de sa fille peint par Alexis Joseph Pérignon (1886-1882).
Un inventaire de marchand en 1886
La boutique Malinet du 25, quai Voltaire se compose d’un rez-de-chaussée, de deux salons, une boutique et une arrière-boutique, d’un entresol, un « magasin au fond » (difficile de savoir s’il s’agit d’un magasin en fond de cours ou dans le même alignement que les autres pièces) [AN MC/ET/XXVII/1427]. Force est de constater l’extrême similitude entre la collection personnelle de Malinet et ce qui était en vente dans sa boutique. Dans chaque pièce les œuvres chinoises et japonaises côtoient des porcelaines de Saxe, des médailles, des peintures françaises et hollandaises ou encore des miniatures indiennes, le tout dans un mobilier de style XVIIIe. Un rapide survol de l’inventaire permet d’observer que les objets extra-européens occupent approximativement la moitié des prisées et sont largement dominés par les porcelaines chinoises (plus de 200). Quant à la peinture, ce sont les peintres français du XIXe siècle qui occupent la place la plus importante en nombre, avec en tête de liste, les œuvres d’Alexis Kreyder.
Je remercie monsieur José de Los Llanos, conservateur en chef au musée Carnavalet, pour m’avoir généreusement transmis les archives Dutuit en lien avec l’activité de Nicolas Joseph Malinet, Antoine Chatelain et Ludovic Jouvet pour leur éclairage sur les collections d’estampes et de médailles, et enfin Elizabeth Emery pour sa précieuse relecture.
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