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Commentaire biographique

André Leclère naît le 21 janvier 1858 à Paris, au 64, rue du Cherche-Midi. Il est le fils d’un imprimeur-libraire, Henri Louis Emmanuel Leclère, et de Céline Marie Hélène Gerard, sans profession. André Leclère suit une formation d’ingénieur et se spécialise dans la géologie. Pierre Termier (1859-1930), qui a étudié la tectonique des plaques dans le massif alpin, évoque le souvenir d’un homme « simple », modeste, aimable et droit, mais aussi « sage », intelligent, « travailleur acharné qui ne savait pas se reposer », « qui avait l’air de savoir tout », et dont la « grande qualité était de savoir à fond ce qu’il savait ». D’un naturel curieux, André Leclère était « tour à tour chimiste, agronome, géologue, pétrographe, micrographe, toujours fonctionnaire zélé, prêt à prodiguer son temps et ses conseils, avec un absolu désintéressement », toujours selon Pierre Termier (1916, p. 33).

L’opportunité du rail

André Leclère reçoit le titre d’élève ingénieur des Mines après deux ans d’études à l’École Polytechnique. Il continue sa formation à l’École supérieure des Mines, le 1er octobre 1880. D’Ingénieur Ordinaire des Mines de 3e classe, le 1er novembre 1883, il franchit les échelons, passant le 1er juillet 1886 à la 2e classe, et le 1er novembre 1894 à la première, pour être finalement promu le 16 septembre 1899 Ingénieur en chef de 2e classe. Tout d’abord à Rennes, il prend du service au Mans.

Après son professorat à l’École des Mines de Saint-Etienne, où il prodigue la chimie et la métallurgie, André Leclère profite de sa prise de fonction à Chalon-sur-Saône pour « se familiariser avec la pratique des mines de houille » (Dougados J., 1916, p. 31). Après avoir été rattaché au Service du contrôle du Chemin de fer de l’Ouest dans ses postes précédents, il exerce à Marseille, où le PLM entre dans ses attributions. Comme le souligne l’inspecteur général Jules Dougados (1855-?), dans le discours qu’il fit à ses funérailles, André Leclère comprend assez vite l’aubaine que représente pour sa carrière le développement des chemins de fer. Aussi, à sa demande, il est mis « au service de la Compagnie des chemins de fer économiques du Sud-Est comme ingénieur attaché à la construction et à l’exploitation » (Dougados J., 1916, p. 31). Pour autant, l’ingénieur délaisse vite le mercantilisme industriel, « pour revenir à la science, vers laquelle le portaient ses goûts », comme le souligne l’inspecteur (1916, p. 31). Il retourne ainsi au Mans, où il œuvre au service de la Carte géologique de France.

La mission en Chine : études préparatoires pour la construction du chemin de fer du Yunnan雲南

En 1897, il est mis à disposition du Ministère des Colonies, pressenti par le Ministère des Affaires Étrangères, Gabriel Hanotaux (1853-1944), pour une mission spéciale au Tonkin et en Chine. Chargé de mission, il rejoint sur le tard la mission technique Guillemoto pour la construction du chemin de fer du Yunnan, déjà sur place.

L’ingénieur des Ponts et Chaussées Charles Marie Guillemoto (1857-1907) est le chef d’une mission chargée de déterminer le tracé de la future voie de chemin de fer du Yunnan, qui doit relier le Tonkin à la Chine centrale. Une mission de prospection préalable, sur le terrain depuis février 1897, avait permis de déterminer les différentes routes à envisager ; ses résultats étaient condensés dans une « Note très succincte sur les lignes de pénétration dans la Chine méridionale » adressée au Ministre des Colonies, André Lebon (1859-1938), le 1er juin 1897. À la suite, l’administration coloniale décrète le 27 septembre 1897 la création de la mission, comme relevant de l’intérêt général.

André Leclère représente la dimension scientifique de cette mission ; il est chargé plus spécifiquement de sonder le terrain et de dresser une carte géologique de la zone envisagée. Il s’agit d’étudier les ressources minérales de la Chine méridionale, en particulier du Yunnan et de ses régions frontalières, le Guangxi 廣西 et le Guangdong 廣東, mais aussi de déterminer les conditions d’exploitabilité des différents gisements. Une étude des populations de ce bassin minier, dont on suppose d’ores et déjà les nombreuses richesses, est également envisagée, avec une évaluation de la valeur travail des potentiels ouvriers de la région. Leclère a l’ordre de rester discret dans ses enquêtes de terrain. Sa mission est confidentielle, que ce soit vis-à-vis du gouvernement chinois, ou auprès de ses compatriotes. Leclère évoque ainsi dans ses écrits une marche lente et sans escorte, pour éviter d’éveiller les soupçons des mandarins.

L’ingénieur embarque le 5 décembre 1897, à bord du paquebot « Armand Béhic », du nom d’un des fondateurs de la Compagnie des Messageries Maritimes. Il arrive à Hanoï le 6 janvier 1898, fiévreux, et rejoint Guillemoto. Ils embarquent tous deux sur le Fleuve Rouge à bord d’un petit bateau de la Compagnie des Correspondances Fluviales, qui les conduit jusqu’à Lào Cai, où ils arrivent le 20 janvier. Leclère commence ses prospections par une exploration dans la région du Tonkin, dans les environs de Lào Cai, avec Théophile Pennequin (1849-1916), Commandant du Territoire militaire concerné. Une deuxième étape, menée avec le concours du lieutenant-colonel d’artillerie de la Marine Charles Gosselin (1852-1929), l’amène à franchir la frontière sino-annamite, au niveau de Wenlan 文瀾. Ils ont à subir une attaque de mineurs de Tse-men-tong [lieu non identifié], qui ne cause pas de dommages sérieux. Le 1er février, pour visiter Wenlan, André Leclère, s’associe avec les membres de la mission – Kerler, conducteur des Ponts et Chaussées, Surcouf, sous-lieutenant de cavalerie, et le capitaine d’artillerie Bourguignon, qui s’occupe de prendre des vues photographiques, en plus des observations astronomiques et météorologiques –. À la fin du mois, l’ingénieur rejoint Guillemoto. Le mois suivant, la mission travaille à l’élaboration du tronçon Wenlan-Lào Cai. Le 11 mars 1898, un premier rapport fait état du degré d’avancement de la mission technique en Chine. Le 12 mars, Guillemoto informe d’incidents engendrés par des rebellions locales, excitées par les autorités chinoises du Yunnan, dont le but est d’arrêter les travaux de la mission. Le 13, Leclère se prononce sur la situation géologique de la zone traversée jusque-là. Finalement, le traité franco-chinois du 10 avril octroie à la France les terrains du chemin de fer entre le Tonkin et Kunming 昆明. Le mois suivant, la mission pousse ainsi jusqu’à la capitale du Yunnan, atteinte le 6 juin.

André Leclère entreprend de sonder la région environnante et prend congé de Guillemoto le 10 août 1898. Le 24, il adresse un nouveau rapport au Ministère. La mission part de Dongchuan 東川, après une visite des mines de cuivre, et atteint l’embouchure du Yalong 雅礱, par Huili 會理, dans le district des Liang shan 凉山, au sud du Sichuan 四川. Le 12 octobre, la traversée du Fleuve Bleu s’effectue à Mongkou [ville non identifiée]. La mission suit la route mandarine, qui passe à l’extrémité sud des Liang shan. Elle atteint le 10 novembre la ville de Dali 大理, où Leclère fait la rencontre fortuite du capitaine de cavalerie de réserve Bruno de Corbel Corbeau de Vaulserre (1853-19 ?), cousin et beau-frère d’un de Wendel, industriel de la métallurgie de l’Est de la France, associé avec la Compagnie du Creusot. Bruno de Vaulserre a quitté la mission Bonin dans des circonstances obscures. L’explorateur et diplomate Charles-Eudes Bonin (1865-1929) est en effet suspecté de profiter de sa position et de maltraiter les indigènes. Leclère défend de Vaulserre de toute implication et constate avec lui que la région est en proie à la révolte, des suites du passage du fonctionnaire. La mission continue ainsi en sa compagnie. L’officier s’occupera des questions de diffusion des connaissances acquises auprès du grand public. La mission entreprend l’étude du bassin du Fleuve Bleu, dont de Vaulserre fait le relevé topographique. Elle rejoint Kunming le 29 novembre, rectifiant au passage la position de la saline de Heijing 黑井. Le 19 janvier 1899, l’ingénieur et son compagnon arrivent à Xingyi 興義 et poursuivent leur route en passant par Guiyang 貴陽, Guilin 桂林 et Nanning 南寧. De là, ils rentrent à Hanoï, où s’achève leur mission.

Cette dernière étape est l’occasion pour André Leclère d’explorer les régions visées par les Anglais dans leur projet de pénétration en Chine depuis la Birmanie. Il faut noter en effet le climat de tension dans lequel évolue la mission. La course aux concessions est rude entre l’Angleterre et la France, qui voit la mission Davis parcourir le territoire frontalier en novembre 1898.

Soulignant la valeur des provinces de la Chine méridionale, les observations de l’ingénieur suscitent, avant même leur publication, la controverse. Leclère étant tenu au secret, il s’agit certainement de positions empiriques énoncées avant le départ, qu’il confirmera plus avant sur le terrain. Il subit les attaques acerbes de ses collègues. Il se voit déclassé dans le tableau d’avancement, recalé dans le Corps des Mines. Découragé, attendant de reprendre du service en tant qu’ingénieur ordinaire, il s’en ouvre à Guillemoto, dont nous n’avons pas trace de la réponse dans les archives (ANOM, GGI 6632).

Résultats scientifiques de la mission et sollicitation pour expertises commerciales

André Leclère débarque à Marseille à bord du paquebot Ville de la Ciotat, le 16 juillet 1899. Ayant dépassé les termes de son contrat, il obtient du Ministère des Colonies une prorogation pour l’examen des échantillons (ANOM, INDO AF 42). Le 10 décembre 1899, il termine un nouveau rapport, portant sur la « Législation des Mines en Chine au point de vue de la pénétration industrielle ». Il est également chargé de plusieurs négociations auprès d’organismes miniers. Paul Doumer (1857-1932), Gouverneur Général de l’Indochine de 1897 à 1902, lui demande d’aider le Syndicat minier du Yunnan, alors sous la présidence du Comte de Bondy, en vue de l’exploitation des gisements de la province. Le 15 mars 1899, le Syndicat adresse au Zongli yamen 總理衙 (organisme gouvernemental alors chargé de la politique étrangère de la Chine) une demande de concession de « tous les gisements d’étain et de charbon actuellement inexploités de la région de Ko-tiou [Gejiu 個舊] », contre l’avis d’André Leclère. Les négociations échouent, ce qui aboutit à la dissolution du Syndicat, le 9 novembre. À la suite, demande est faite à Leclère d’entrer en contact avec la Compagnie Générale des Tractions, dirigée par l’ingénieur en chef des Mines Albert Olry (1847-1913), qui bénéficie du soutien des Ministères des Affaires Étrangères et des Colonies. Leclère attire son attention sur des gisements de valeur différente.

Une fin de carrière au Mans

Sa mission achevée, un congé de convalescence de trois mois lui est accordé. Le 3 mai 1900, il retrouve ses fonctions au sein du Ministère des Travaux Publics, et le 1er juin, il est affecté au Service de l’arrondissement minéralogique du Mans, où il termine sa carrière. Il s’intègre dans la société de cette ville. Ainsi, le 3 mars 1886, il est reçu à la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe comme membre titulaire ; il en devient le Vice-président en 1903.

Pendant les premiers mois qui suivent sa prise de fonction, il persévère dans le travail de vulgarisation des données scientifiques recueillies au cours de sa mission en Chine. Il intervient dans le cadre du 2e Congrès des Sociétés Françaises de Géographie, à la séance du 22 août 1900. Il gagne ainsi l’estime de son ministre de tutelle, qui appuie ses observations. S’il a droit à sa solde, prélevée sur le budget du Ministère des Travaux Publics, auquel il est rattaché en tant qu’ingénieur, André Leclère avait dû financer lui-même une partie de sa mission. En reconnaissance de ses travaux, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur, par décret du 23 janvier 1901, sur proposition du Ministre des colonies Albert Decrais (1838-1915). Leclère présente ses résultats devant l’Académie des sciences et d’autres sociétés savantes, comme la Société de Géographie de Paris. Bruno de Vaulserre, lui, communique auprès des lecteurs du Tour du Monde. Des conférences avec projections d’images présentent de façon vivante ses observations, qu’il est désormais autorisé à divulguer. Il avait ainsi pris soin de demander cette autorisation aux autorités en recevant l’invitation du prince Roland Bonaparte (1858-1924), président de la Société de Géographie de Paris, à donner une conférence sur la géographie hydrique du Haut Tonkin et de la Chine au Congrès de l’Avancement des Sciences (ANOM, INDO AF 42). Le sujet évolue entre temps. Ainsi, lors de la 26e session du Congrès organisée en 1900, André Leclère évoque son exploration dans la Chine méridionale et présente ses constats sur la constitution géologique et géographiques de la région (1900b et 1900c).

Notons que l’Imprimerie nationale avait été réquisitionnée le 26 juin 1901 pour travail de nuit par Paul Doumer, pour l’impression du « Rapport sur les ressources minières du Yunnan », contrevenant de fait à la loi de réglementation du travail. Au directeur de l’Imprimerie, interloqué, le Ministre de la Justice, Ernest Monis (1846-1929), représentait l’urgence de la situation, s’agissant d’une « impression intéressant la sécurité de l’État ». C’est dire la sensibilité des données exposées dans cet ouvrage. Le 4 juillet 1901, le directeur déclarait être toujours en attente d’une justification formelle lui permettant de « [mettre] à couvert la responsabilité de l’Imprimerie nationale » (ANOM, INDO AF 42)

André Leclère publie enfin son « Étude géologique et minière des provinces chinoises voisines du Tonkin » dans les Annales des Mines en deux livraisons, en octobre et novembre 1901, rééditées l’année suivantes chez Dunod.

Au Mans, il se livre à un travail plus tranquille, consistant en l’analyses d’échantillons dans le laboratoire de la ville. Il s’intéresse à de nouveaux terrains. La découverte d’algues fossiles dans de nombreux sédiments modifie « un grand nombre de déterminations géologiques » (Leclère A., août 1913). Selon ses pairs, ces dernières recherches ont un grand retentissement auprès de l’Académie des sciences et relèvent de plus d’une « interprétation nouvelle, qui lui est propre » (Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1915, p. 231). Il s’intéresse aussi à la genèse du granite. On le dit auteur de « savantes communications », la « grande autorité » leur attribuant « une valeur appréciable » (Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1915, p. 231). La mission géologique effectuée en Chine a certainement contribué à faire accroître cette aura scientifique. Il s’exprime aussi sur d’autres sujets, délivrant « un aperçu des transformations économiques qui peuvent résulter des évènements actuels à l’Est de la Méditerranée » (Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Sarthe, 1915, p. 229).

En 1913, avec l’appui de Pierre Termier, André Leclère rejoint l’Association amicale des élèves de l’École des Mines. La guerre suspend ses études en cours. Si son âge l’empêche de combattre sur le front, il est mobilisé à l’arrière, chargé par le Ministère de la Guerre de préparer « les travaux d’adduction d’eau potable et d’évacuation des eaux usées pour l’aménagement du camp d’Auveurs » (Dougados J., 1916, p. 32). Le l5 octobre 1915, il décède subitement à l’âge de 58 ans, « victime indirecte de la guerre », selon l’inspecteur général (Dougados J., 1916, p. 33).

Constitution de la collection

L’explorateur aura parcouru plus de 6 000 km, du Tonkin jusqu’en Chine. Son enquête de terrain repose ainsi sur plusieurs matériaux de travail, qui seront analysés par la suite, à son retour en métropole.

La collecte des matériaux bruts de la recherche

Le prélèvement d’échantillons minéralogiques représente une part importante des sources considérées par le géologue, qui s’appuie également sur les témoignages oraux, recueillis auprès des mandarins locaux, et aussi sur la photographie. Cette dernière s’inscrit dans le processus de recherche et de collecte de l’information. Si l’on connaît la chaîne de traitement des spécimens de terres et de roches, il est difficile de retracer la genèse de la pratique photographique.

Le processus de traitement des matériaux bruts

Ainsi, au cours de la mission, les échantillons sont envoyés régulièrement à Guillemoto, qui les conserve dans sa résidence à Hanoï. Les caisses sont ensuite remises au Ministère des Colonies, par l’intermédiaire du Gouverneur Général d’Indochine. Six caisses sont ouvertes le 23 août 1899, sous la supervision des membres de la mission – André Leclère, Bruno de Vaulserre et Guillaume-Henri Monod (1875-1946), chef-adjoint du Service géologique de l’Indochine, qui participe un temps à l’expédition (fin 1898-début 1899) – accompagnés d’une délégation scientifique, constituée de Tannière, délégué du Magasin central et d’Antony, délégué du Service géographique des missions. Dix-sept autres caisses sont mises à part et transportées au Pavillon de Flore, au Louvre, pour examen et catalogage, en vue d’une exposition à la Société de géographie de Paris (ANOM, INDO AF 42).

Les correspondances demeurent elliptiques sur les modalités de conservation et de conditionnement des photographies. Pour autant, à la lecture des articles publiés, et notamment du rapport publié dans les Annales des Mines, la photographie tient une grande place dans l’argumentation, considérée comme démonstrative des faits énoncés. Une centaine d’images vient ainsi illustrer les articles.

La pratique photographique au sein de la mission Guillemoto

La fonction de photographe fait certes partie intégrante de la mission technique Guillemoto, avec le rôle tenu par Bourguignon et Roques, nommé soldat-photographe (ANOM, GGI 24722). En revanche, la pratique s’avère éludée dans les archives. Nous ignorons le nombre d’appareils photographiques emporté par la mission. Sans doute plusieurs, ne serait-ce que pour en équiper les deux branches constitutives de celle-ci.

L’appareil appartient au Service géographique du Ministère des Colonies, tandis que les plaques sont fournies par la mission (ANOM, GGI 6632). La prise de vue est collective, Bruno de Vaulserre y contribuant, surtout dans son expédition solitaire sur les bords du Fleuve Bleu. André Leclère s’occupe de développer les clichés, mais ne peut supporter seul le coût du tirage des épreuves positives sur papier. Pour toutes ces manipulations, il demande un crédit de 250 francs au chef du Service géographique du Ministère ; ce qui lui est accordé le 7 octobre 1899 (ANOM, INDO AF 42).

Une analyse différentielle des matériaux

Il s’agit de fixer l’âge des dépôts observés et de dresser une nouvelle carte géologique de la région du Yunnan et de ses régions limitrophes. Or, André Leclère revendique une expertise indépendante, souhaitant « fournir à l’Administration française des bases d’appréciation indépendante des compétitions industrielles » (ANOM, INDO AF 43 / 116). Aussi, pour garantir l’authenticité et la viabilité de ses résultats, et pour parer à toutes critiques, dont il a eu à subir les conséquences malgré tout, il confie l’expertise des échantillons à deux laboratoires distincts : le Bureau d’essais de l’École supérieure des Mines, le laboratoire de la Compagnie des Mines de Nœux, agissant à l’aveugle, sans connaissance des provenances. Les résultats sont ensuite discutés par un groupe de scientifiques, et présentés sous forme de quatre notes à l’Académie des sciences par le premier.

Les photographies sont étrangères à ce processus. Si elles respectent une logique de prélèvement, elles ne se conforment pas à cette éthique de travail. Celles-ci sont prises en charge par le géologue lui-même.

Les apports de la photographie pour la géologie

Dans les sciences naturelles, la photographie a une utilité. Le botaniste et photographe Eugène Trutat (1840-1910), auteur d’un manuel sur La photographie appliquée à l’histoire naturelle, en est convaincu. La photographie y est jugée comme une « autorité indiscutable », dotée d’une « précision mathématique » (Trutat E., 1884, p. VI). La géologie est une science de terrain. Elle vise à reconstituer, par l’étude des roches, la formation du paysage. En cela, la stratigraphie en constitue une composante majeure. La photographie répond logiquement à cet intérêt accordé au visible. La photographie constitue ainsi un outil d’analyse supplémentaire, s’ajoutant aux cartes, plans et profils paysagers.

Une systématisation du regard

André Leclère décortique le paysage qui se déploie sous ses yeux et met en place différentes approches : paysages, gros plans, vues frontales, vues plongeantes. Les photographies se présentent comme des relevés géologiques, proche des coupes géologiques schématiques. De même, le regard semble se conformer à un certain nombre de codes. Il est possible ainsi de relever une systématisation de l’observation, mettant en valeur l’horizontalité du paysage, composé de ses différentes strates, le photographe cherchant à prendre de la distance, et donc de la hauteur, tout en s’évertuant à varier les points de vue. La construction demeure rigoureuse et répond aux besoins de la géologie.

Un paysage déshumanisé

André Leclère observe minutieusement l’érection de ces pitons rencontrés sur la route de Xinyi 信宜, dans le Guangdong, et traverse la région du karst, dont il retient l’image de ces roches brutes, sculptées naturellement, dans les environs de Lufu 鹿阜, dans la province du Yunnan, district de Kunming, phénomène géologique remarquable aussi dans le Guizhou 貴州, le Guangxi, et la région de Chongqing 重慶. Il relève la topographie de la saline de Heijing, dans le Yunnan, située sur les bords de la Longchuan jiang 龍川江. Il s’intéresse également aux gisements de houille et à ses dépôts, marquant le paysage, aux lieux de production – les forges, les haut-fourneaux et les fours. Les photographies de ces bassins miniers s’avèrent étrangement vides, en l’absence des ouvriers qui les font vivre. Le caractère confidentiel de la mission et les précautions qui doivent en résulter, expliquent certainement cet aspect désertique. Si bien que l’accent est mis sur le paysage, sa configuration et son modelé. Les photographies nous en donnent un aperçu, par fragments. L’étude de cet ensemble iconographique doit prendre en compte le cadrage donné dans les publications, cautionné par un éditeur, qui diffère sans doute du cadrage originel, choisi par le photographe.

La question des photographies originales

Si les documents rapportés de la mission sont la propriété du Ministère qui en a fait la commande, les photographies devraient en principe être versées aux archives. Or, c’est rarement le cas. Elles demeurent en possession de leur auteur. Après les avoir montrées au Pavillon de l’Indochine, lors de l’Exposition universelle de 1900, à Paris, avec les levés topographiques et les échantillons minéralogiques, classés par erreur dans la catégorie « Échantillons du bois du Tonkin », André Leclère s’interroge. « Que faire des photographies ? Il n’est sans doute plus question d’aucune exposition publique. À qui devrais-je les remettre ? » (ANOM, INDO AF 42).

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