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Commentaire biographique

Auguste Rodin naît le 12 novembre 1840 à Paris. Il est le fils de Jean-Baptiste Rodin (1803-1883), originaire de Normandie, et de Marie Cheffer (1807-1871), lorraine. À 14 ans, il entre à l’École spéciale de dessin et de mathématiques, connue sous le nom de « Petite école » et située rue de l’École de médecine, qu’il quittera en 1857. Parallèlement, il suit les cours du soir à la manufacture des Gobelins où il travaille d’après le modèle vivant. Il découvre la sculpture en 1855 et entre dans un atelier après avoir reçu une médaille de bronze en dessin.

À partir de 1864, Rodin collabore avec le sculpteur-ornemaniste Albert Carrier-Belleuse (1824-1887) qu’il rejoindra, en 1871, en Belgique ; cette coopération s’achèvera l’année suivante. Toutefois, Rodin reste à Bruxelles jusqu’en 1877, travaillant à divers travaux de décoration architecturale (Palais de la Bourse, puis Palais des Académies). Ce séjour est entrecoupé par deux voyages en Italie (mai-juin 1875 et fin 1875-mars 1876). Le plâtre de L’Âge d’airain est exposé en 1877au Cercle artistique de Bruxelles, puis à Paris ; cette œuvre déclenche une polémique, Rodin étant accusé de moulage sur nature, mais ce scandale contribue à établir sa renommée.

De retour en France, appelé par Carrier-Belleuse, il entre, en juin 1879, à la Manufacture de Sèvres pour laquelle il travaillera plus ou moins sporadiquement jusqu’en 1892.

L’État lui commande, en 1880, La Porte de l’Enfer en bronze destinée au futur musée des Arts décoratifs. Celui-ci est inauguré en 1905, mais sans l’œuvre de Rodin, la commande, non réalisée, ayant été annulée l’année précédente. En 1885, la ville de Calais lui passe commande du Monument des Bourgeois de Calais, inauguré en 1895.

En 1887, il est membre de la sous-commission de l’Exposition universelle de 1889 ; il est également nommé Chevalier de la Légion d’honneur (LH//2779/35). En 1889, il est membre fondateur de la Société nationale des Beaux-Arts et membre du jury de l’Exposition universelle. Cette même année, il reçoit la commande d’un Monument à Victor Hugo ; le premier projet est refusé, la sculpture sera finalement installée dans le jardin du Palais royal. À partir de 1891 et jusqu’en 1895, Rodin mène deux projets simultanément, multipliant les études et maquettes pour un Victor Hugo assis et un Victor Hugo nu destiné au Panthéon. La Société des Gens de Lettres lui commande, en 1891, un Monument à Balzac, refusé par le comité en 1898. Il est promu Officier de la Légion d’honneur en 1892 (LH//2779/35).

À deux pas du Champ de Mars où se déroule l’Exposition universelle de 1900, Rodin présente son œuvre sculpté et dessiné dans un espace dit « pavillon de l’Alma ». Un public nombreux le visite, parmi lequel des collectionneurs ainsi que des artistes japonais qui découvrent l’œuvre de Rodin, alors inconnu au Japon. Ce pavillon sera remonté à Meudon l’année suivante et devient son atelier-musée ; sur ses plans, sera construit le futur musée Rodin de Meudon, inauguré le 29 mai 1948.

En 1903, il est nommé Commandeur de la Légion d’honneur, puis Grand Officier en 1910 (LH//2779/35).

Le Penseur,créé en 1880, est exposé dans sa version plâtre et grand format en 1904 à la Société internationale de Londres.

En 1909, un premier projet de donation à l’État est envisagé par Rodin, projet qui aboutira en 1916 à la création du musée consacré à son œuvre et intégrant l’ensemble de ses collections. Le musée national Auguste Rodin est inauguré en 1919.

Rodin meurt le 17 novembre 1917 à Meudon.

Le Japon dans l’œuvre de Rodin versus Rodin et le Japon

Les affinités de Rodin avec l’art japonais sont de natures diverses. À partir de 1885-1890, il fréquente des personnalités japonisantes tels qu’Albert Kahn (1860-1940), Georges Clemenceau (1841-1929), les voyageurs Henri Cernuschi (1821-1896) et Félix Régamey (1844-1907), Edmond de Goncourt (1822-1896) et les habitués du « Grenier d’Auteuil », Félix Bracquemond (1833-1914), Philippe Burty (1830-1890), Gustave Geffroy (1855-1926) et Octave Mirbeau (1848-1917). Il échange artistiquement avec les peintres collectionneurs d’estampes ukiyo-e, dont Claude Monet (1840-1926), Camille Pissarro (1830-1903), Jules Bastien-Lepage, James Mc Neil Whistler (1834-1903), Frits Thaulow (1847-1906) ou encore Raphaël Collin (1850-1916). Rappelons que Rodin a acquis, sans doute sur les conseils d’Octave Mirbeau (1848-1917), Le Père Tanguy de Van Gogh (Paris, musée Rodin, n° inv. P.07302).

Son attrait pour le théâtre japonais se manifeste lors de l’Exposition universelle de 1900 où il assiste au spectacle La Geisha et le Chevalier. Il est séduit par le jeu et l’expression de son interprète, la célèbre actrice japonaise Sada Yacco (川上 貞奴) (1871-1946). Quant à la danse, il est impressionné par la gestuelle et l’expressivité de Hanako 花子(Ôta Hisa, 大田 ひさ, 1868-1945), rencontrée à Marseille lors de l’Exposition coloniale de 1906. Elle posera, entre 1907-1912, pour une série de dessins et de sculptures (cinquante-huit têtes et masques).

Il est encore davantage fasciné par un matériau employé depuis longtemps par les Chinois puis les Japonais : le grès céramique. Balzac ou Jean d’Aire prendront vie dans ce matériau grâce à Paul Jeanneney (1860-1920).

Si ces liens avec l’art japonais sont aisés à retracer, il est plus délicat de caractériser cette relation en ce qui concerne la conception graphique et plastique de son œuvre.

On peut attribuer comme une marque d’un japonisme abouti, c’est-à-dire dans sa dernière étape – l’assimilation –, ses nus dessinés de mémoire qu’il définit en 1900 comme des « instantanés variant entre le grec et le japonais », comme le rapporte C. Judrin dans son article « Le Japon et la naissance du dessin moderne de Rodin » (Rodin le rêve japonais, 2007, p. 11). Le contour pour cerner les volumes et l’exécution rapide à main levée pour surprendre le mouvement évoquent la maîtrise du dessinateur japonais et, selon son expression, c’est « de l’art japonais avec des moyens d’un occidental »(Judrin C., p. 13).

Du vivant même de l’artiste les critiques ont divergé quant au rapprochement de Rodin avec l’esthétique japonaise et les titres japonais dont il gratifie ou annote plusieurs dessins – tels Deux femmes. Beau dessin japonais (D.4526), Vase jap[onais], Psyché japonaise, Japonaise (D.4591), Théâtre japonais (D.3970) – relèvent moins d’une référence iconographique ou stylistique que d’une image précise et furtive de sa pensée toujours en éveil.

À la fin des années 1890, Rodin est sollicité par son ami Octave Mirbeau pour « illustrer » Le Jardin des supplices publié en 1902 par Ambroise Vollard (1866-1939). Il ne s’agit pas d’illustrer mais de transposer graphiquement ce roman, mélange de voluptés et de violences, de meurtre et de sang, de pitié et de douleurs, qualités à rechercher davantage dans la dizaine de dessins non intégrés dans le volume que dans les vingt dessins au trait insérés dans l’ouvrage et reproduits en lithographie par Auguste Clot (1858-1939). Plus expressifs et puissants, ils traduisent le caractère érotique de l’ouvrage – dont l’action se situe en Chine – et intitulés Supplice japonais (D.3958) et Jardin des supplices (D.4258). Dans ces œuvres, Rodin s’attache à représenter les différents supplices : soit un clou enfoncé dans un pied, soit une chevelure féminine d’où s’écoule un filet de sang maculant le sol d’une tache rouge (D.3958). Ce dernier, annoté par Rodin « bas/bas/bas/… 5e acte/supplice/japonais, renvoie à la description d’une scène de Mirbeau : « Je vis défendant l’entrée… » : Une pieuvre, de ses tentacules, enlaçait le corps d’une vierge et, de ses ventouses ardentes et puissantes, pompait l’amour, tout, à la bouche, aux seins, au ventre. Et je crus que j’étais dans un lieu de torture et non dans une maison de joie et d’amour » (p. 158-159). Littérature « fin de siècle » et xylographie japonaise s’entremêlent,la description de Mirbeau renvoie à la célèbre estampe érotique de Katsushika Hokusai 葛飾 北斎 tiré de l’album Kino-e no Komatsu (v. 1814). Cette estampe a d’ailleurs inspiré Rodin pour un dessin aquarellé intitulé La Pieuvre (D.1526), aussi suggestif, plus stylisé et abstrait que la xylographie japonaise.

« J’ai dessiné toute ma vie, mon art rejoint celui du Japon », écrit Rodin en 1910 à Arishima (1883-1974) directeur de la revue Shirakaba.

Numata Kazumasa 沼田 一雅 (1873-1954), Nakamura Fusetsu中村 不折 (1866-1943) et Oka Seiichi (1868-1944), étudiants en peinture et sculpture, admirateurs du sculpteur, sont reçus par le « Maître » à Meudon le 6 octobre 1904 ; Rodin offre à chacun un dessin. Fusetsu commente son cadeau : « […] pour le contour du visage, il obtient cette ligne de toute beauté en la traçant d’un seul jet depuis l’oreille. Quant à la ligne de l’épaule et à la ligne qui part de l’omoplate au muscle trapézoïdal que nous autres ne saurions produire qu’à grand peine, en nous y reprenant dix ou vingt fois il les trace comme de rien, d’un seul coup de crayon » (Judrin C., p. 11). Ce « seul coup de crayon » ne rappelle-t-il pas les dessins cursifs d’un Hokusai dans ses recueils de la Mangwa ou de l’album Ippitsu gafu ?

De même, Takamura Kotaro 高村 光太郎 (1883-1956), sculpteur diplômé de l’École des Beaux-arts de Tokyo, écrit à son ami sculpteur, Ogihara Morie 荻原 守衛 (1879-1910) - se considérant comme élève de Rodin en 1907, à propos de l’exposition de dessins vue à la galerie Devambez en 1908 : « Une ligne fine et étrange […]. En regardant les dessins, j’avais l’impression de sentir l’odeur et la chaleur de la peau humaine. Personne dans l’art du passé, n’a su exprimer à ce point le charme infini du corps féminin à travers la morbidezza de sa chair » (Judrin C., p. 12). Idée corroborée par le secrétaire de Rodin, le poète Rainer Maria Rilke, évoquant « un contour qui cueille la nature à vous en couper le souffle […], des lignes qui n’ont jamais eu une telle force d’expression même sur les très rares croquis japonais » (Rilke R. M., 1903).

Ces personnalités japonaises admiratrices de l’art du « grand maître » sont les ambassadeurs de l’œuvre de Rodin au Japon. Elles diffusent son œuvre par la rédaction d’articles élogieux accompagnés de reproductions dans la revue Shirakaba白樺et par la pratique de leur art marquée du sceau de la sculpture moderne occidentale.

Constitution de la collection

Avant de devenir collectionniste, Rodin voit, observe, admire les collections de ses relations et amis japonisants, en particulier celle d’Edmond de Goncourt qui l’invite en compagnie de Félix Bracquemond pour découvrir ses estampes érotiques. L’écrivain consigne dans son Journal : « Ce sont pour Rodin en pleine faunerie des admirations devant ces dévalements de têtes de femmes en bas [...] » (Journal, 5 janvier 1887, p. 3-4). Mais quelques mois plus tard en octobre 1888, Edmond de Goncourt se méprenant sur les intentions du sculpteur rapporte « un être intelligent et fin, mais avec des côtés complètement bouchés, fermés, murés ». Il rajoute que quand il note sa réaction devant des « impressions japonaises du plus grand style. Il les regarde un moment, puis les referme et s’en éloigne comme peureusement, en disant qu’il ne veut pas les voir plus longtemps de peur d’en être impressionné » (Journal, 28 octobre 1888, p. 171).

Toutefois, visitant en 1893 l’exposition Outamaro et Hiroshigé à la galerie Durand Ruel organisée par Siegfried Bing (1838-1905) en compagnie de Claude Monet (1840-1926) et de Camille Pissarro (1830-1903), Goncourt écrit à son fils : « Admirable l’exposition japonaise. Hiroshigé est un impressionniste merveilleux. Moi, Monet et Rodin en sommes enthousiasmés […] ces artistes japonais me confirment dans notre parti-pris visuel » (Camille Pissarro, 1950, Paris, 3 février 1893, p. 298).

L’état de l’art

Dès 1895, installé à Meudon, Rodin commence à collectionner des œuvres grecques et romaines et quelques objets égyptiens et japonais aux formes archaïques qu’il expose dans la villa des Brillants.

Aujourd’hui, plus de 2 000 pièces sont recensées et conservées au musée de Meudon. Elles composent la collection des « antiques » avec les objets égyptiens (1 000 items), grecs et romains ainsi que ceux du Moyen Âge, quelques pièces du Mexique et d’Inde, enfin, des œuvres de fabrications japonaise et chinoise dont l’origine est difficile à déterminer, même pour les spécialistes. La production date globalement du XIXe siècle. Notons que certains objets ont disparu après la mort de Rodin.

Bien étudiée, la collection d’estampes japonaises, conservée dans les réserves du musée Rodin à Paris, compte à ce jour 288 items : feuilles libres, recueils de gravures, 112 dessins à l’encre de Chine issus de carnets démembrés et de dessins préparatoires à la gravure (hanshita-e), 15 pochoirs pour l’impression des motifs de pièces d’étoffes ainsi que des livres illustrés dont Keisai soga (croquis de Keisai de Masayoshi) et Hokusai Gaen (recueil des dessins de Hokusai). Les estampes datent de la fin de l’époque Edo (1603-1868) et du début de l’ère Meiji (1868-1912) et illustrent les sujets familiers de l’ukiyo-e : acteurs, courtisanes, paysages, poissons, albums érotiques et quelques scènes de la guerre sino-japonaise (1894-95).

Parmi les dessinateurs les plus représentés, citons Utagawa Kunisada 歌川 国貞 (1786-1865) soit 77 épreuves), 44 Utagawa Kuniyoshi 歌川 国芳 (1797-1861), 35 Utagawa Hiroshige 歌川広重(1797-1858), 13 Hashimoto Sadahide 歌川貞秀(1807-1873) et quelques gravures d’Utagawa Toyokuni 歌川豊国 (1769-1825), Utagawa Hiroshige III 歌川広重 (1842-1894), Utagawa Yoshikazu 歌川芳員 (actif vers 1850-70), enfin Utagawa Yoshiiku 歌川芳幾 (1833-1904), sans compter le don de Shirakaba (cf. ci-dessous).

Quant à la Chine, elle est présente avec une soixantaine d’objets en bronze (21 items), qu’ils soient patinés, damasquinés, niellés ou émaillés, sous forme de paires de vases (Co.197-1, Co.197-2), de figures représentant le panthéon bouddhique : Kannon (Co.128) ou Le Dieu de la longévité (Kotobuki) assis sur un daim (Co.124), ce dernier à usage de brûle-parfum. Le recensement d’une dizaine de ces objets révèle le goût des occidentaux pour ce type d’importation : brûle-parfum en forme d’éléphant monté par un enfant (Co.188) ou celui provenant du temple de Kannonji (Co.6361).

Les netsuke (Co.132, Co.13, Co.171), 12 okimono (12 numéros) en ivoire, à sujet bouddhique, soulignent la dextérité des artisans japonais pour sculpter de manière précise et détaillée des groupes de personnages de quelques centimètres de haut (Co.131).

En porcelaine, citons la Paire de potiches couverte d’Imari (Co.151, Co.151-2), décorée de figurines féminines se promenant sous les glycines en fleurs, ou la Paire de vases hexagonaux (Co.155-1, Co .155-2), en porcelaine avec des émaux sous couverte en relief et or sur fond craquelé. Ces pièces étaient disposées dans les vitrines de l’hôtel Biron parmi d’autres antiquités et des œuvres de Rodin.

Le grès céramique est remis à la mode à la fin du XIXe siècle par les artistes de l’Art nouveau : Rodin en apprécie l’aspect brut, rugueux et avec craquelures aléatoires tel Daruma à la chaussure (Co.142), debout les bras croisés sous un ample vêtement qui évoque indéniablement le Balzac monumental (S.3151) en plâtre. Cette statuette lui est offerte par le sculpteur John Tweed (1869-1933) en 1898 après le scandale du Balzac, refusé cette année-là.

Rodin s’entoure de masques expressifs en bois, Masque de bugaku (Co.927) ou Masque hilare (Co.129) en bois laqué, aux yeux en verre et cheveux, contrastant avec le Masque au visage furieux (Co.130). Rappelons son emploi par Rodin depuis L’Homme au nez cassé (S.1431) jusqu’à celui d’Hanako, dit Tête d’angoisse de la Mort (Japon, musée de Nigata).

Bien que minoritaires par rapport aux collections d’antiquités égyptienne, grecque et romaine, les objets provenant de la Chine et du Japon trouvent leur place à Meudon à partir de 1895 comme en témoigne F. Lawson, le secrétaire de Rodin en 1906 : « On one corner is a cupboard filled with tiny statuettes of Japanese or other origin » et le confirme, la même année, Victor Frisch (1876-1939), assistant de Rodin : « He showed me a case of Chinese objets d’art: his words laved with tender discrimination the cloisonnés, porcelains, ivories, and carved wood of the Buddhist art. And in the neighbouring case were flowers of the arts of Japan: exquise booklet, prints, pottery; disc of ivory filet, seamless ball within ball of daintily carved filigree, beyond telling how they were ensphered there » (cité par B. Garnier dans cat. exp. Rodin et le Japon, « Les japonaiseries d’Auguste Rodin », p. 126).

Les acquisitions

Les factures et reçus conservés dans les archives du musée permettent de suivre Rodin au fil de ses acquisitions auprès des marchands parisiens. Durant l’Exposition universelle, il acquiert deux albums d’un ensemble de vingt volumes relatifs aux peintures japonaises « Shinbitaikan »[sic] (facture du 24 octobre 1900 à l’entête du marchand Kiyoshi Ganda). À partir des années 1906 et 1908, et surtout après 1910, ses achats s’accélèrent.

Il serait fastidieux de citer en détail l’ensemble des acquisitions faites par Rodin, travail dont s’est chargé Bénédicte Garnier, responsable de la collection des « antiques » pour le catalogue de l’exposition Rodin et le Japon. Concernant les xylographies japonaises, résumons, pour l’année 1908 : six acquisitions entre février et novembre chez l’antiquaire Gaudens-Fourcadet au Japon artistique, trois albums d’estampes pour 250 francs ; chez Bénard : un album, 250 francs, deux albums (G.7560) et un rouleau érotique (G.7562), l’ensemble pour 356 francs. Il se rend à trois reprises chez Léon Isidore et acquiert 20 estampes pour 800 francs trois estampes, 20 francs et deux cahiers japonais sans prix.

Quant aux objets acquis majoritairement entre 1910 et 1913, il se rend à quatre reprises chez Seris entre février et décembre 1910. Cette même année chez Pierre-Ferdinand Monel où il repart avec une divinité en bronze, deux masques sur tableaux et le masque avec cheveux (Co.129) et, le 29 décembre, il achète deux potiches chez Léon Isidore et une paire de vases du Japon blanc à figures claires (Co.151-1 et Co.151-2). Chez Paul Terce, il achète un brûle-parfum en bronze identifié comme le dieu de la longévité (Co.124). Il faut encore citer, pour les années 1912 et 1913, les noms de Joseph Brummer et Junca.

Toutefois, de nombreuses acquisitions restent anonymes. À partir de 1912, les achats ralentissent d’autant que l’installation des collections à l’hôtel Biron – occupé par Rodin dans sa totalité depuis 1911 – est achevée dans la perspective de la création d’un musée fondée sur l’idée de réunir ses œuvres et ses antiques afin de montrer toutes les influences qui l’ont nourri.

Les dons

Des collectionneurs, admirateurs de l’œuvre du grand sculpteur, lui envoient des cadeaux en forme de remerciements, tel le docteur Linde de Lübeck qui, ayant acquis après l’Exposition de 1900 des sculptures pour son parc, lui offre en 1902 deux estampes de Kitagawa Utamaro 喜多川 歌麿 (1753-1806) qu’il commente dans sa lettre du 12 juin : « Je ne sais pas si le maître japonais est du cercle de vos amis artistes. […] Je me dis que vous, mon cher maître, devez aimer cet art […]. »

Le peintre Morie Ogihara, devenu sculpteur après avoir vu Le Penseur, lui offre en 1907 deux estampes d’Harunobu : « […] en faisant le choix des tableaux de Suzuki Harunobu – le plus grand artiste du Japon pour l’expression de la beauté intime de la femme – nous le croyions spécialement convenable pour l’artiste. » Cette missive – écrite dans l’atelier de l’historien de l’art, peintre et essayiste Walter Pach (1883-1958) – est cosignée Morie Ogihara/Walter Pach. Ces estampes sont recensées sous les numéros G.7453 et G.7456.

Parfois, il s’agit moins d’un don que d’une sollicitation valant monnaie d’échange. En février 1912, M. Mizuochi, antiquaire à Osaka lui adresse cette lettre : « Je me permets Maître, de vous offrir 20 estampes anciennes et 2 volumes de dessins. Un petit dessin tracé de votre main ou un simple mot de réponse venant de vous, mettrait le comble à mon bonheur, laissez-moi espérer que vous daigniez acquiescer à ma demande. » Rodin répond à son vœu en lui envoyant un dessin.

La collection d’estampes japonaises s’enrichit de manière significative en termes d’importance grâce au don des membres de la revue Shirakaba, revue mensuelle littéraire et artistique publiée entre 1910 et 1923. Pour rendre hommage au grand sculpteur à l’occasion de ses 70 ans, ces derniers publient un numéro spécial en novembre 1911 et lui offrent un ensemble d’estampes nishiki-e. Mushakôji évoque leur choix : « Naturellement nous n’avons pas assez d’argent pour en acheter d’extraordinaires. Nous en avions acquis néanmoins un peu plus d’une vingtaine de bonne qualité et, vers le mois d’août, nous les avons enfin envoyés à Rodin, avec quelques estampes conservées précieusement et offertes à cette occasion par certains membres de Shirakaba, soit un total de trente œuvres. » Ikuma Arishima 有島 生馬 (1882-1974), directeur de la revue en dresse la liste : six Utagawa Toyokuni, quatre Utagawa Hiroshige, trois Eisen 渓斎英泉 (1790-1848), un Taigaku美術 (1805-1825), un Shôtei Hokuju 昇亭北寿 (1763-1824), un Katsushika Hokusai, un Toyokuni II (1777-1835). L’estampe de Kitagawa Utamaro sur fond jaune, Toji zensei, bijinzoroi Tamaya-nai Komurasaki (les Beautés du jour), et celle de Utagawa Toyokuni, Yakasha butai no Sugata-e Hamamuraya (Image d’un acteur sur scène, Hamamuraya), se distinguent de l’ensemble par l’excellent état de conservation et par l’illustration de thèmes classiques : la courtisane de haut rang ou l’acteur célèbre.

Touché par leur attention, Rodin répond en faisant l’éloge de l’art fondé sur l’observation profonde de la nature : « Je les ai regardé longtemps et à diverses fois, quelques-unes sont de parfaits chefs-d’œuvre de grâce, de simplicité et de force. » Et, pour leur témoigner son estime, les prient d’accepter trois petits bronzes (1° Une petite ombre, 2° Tête de gavroche parisien, 3° Buste de Mme Rodin) (cat. Japon, F. B., p. 197). Il leur propose une exposition de son œuvre graphique à Tokyo en 1913, considérant le Japon comme le pays du dessin ; le projet ne se réalisera pas.

Conclusion

Entreprise tardivement à la fin du XIXe siècle au moment où les objets de qualité se raréfient, la collection extrême-orientale de Rodin se caractérise par sa variété et la diversité des supports. Elle comble son imagination au-delà de la réalité objective et traduit les deux foyers de sa création : l’œuvre sculpté et l’œuvre dessiné, indépendants l’un de l’autre. Considérée comme matériau de travail et comme source d’inspiration, son œuvre affirme sa parenté avec l’art japonais et chinois.

Ses collections d’antiques ont fait l’objet de la quatrième et dernière donation de Rodin (25 octobre 1916), acceptée avec difficulté par l’État français car jugée de moindre qualité. En 1899, le critique Arsène Alexandre avait bien défini le statut de ces objets « qu’un grand musée rejetterait peut-être dédaigneusement, mais qui suffisent comme prétexte à son imagination, dont il sait vous faire voir la beauté, et que son éloquence naïve complète d’une façon inattendue et charmante » (Garnier B., p. 51).

Elles participent de la création d’un musée encyclopédique et pédagogique au service de jeunes artistes en vue de leur apprentissage et de leur éducation. En guise de testament, Rodin déclare : « Vous qui voulez être les officiants de la beauté, peut-être vous plaira-t-il de trouver ici le résumé d’une longue expérience » (Rodin A.,1924, p. VII).