Aller au contenu principal
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Commentaire biographique

Henri Rivière est né le 11 mars 1864 à Paris (2, rue Brongniart) (AP, actes d’état civil). Il est le fils de Prosper Rivière (1830-1873), négociant en dentelle installé 135, rue de Montmartre et d’Henriette Leroux (1840-1912), sans profession. Son frère, Jules (1865-1912), naît quinze mois plus tard. Après un séjour à Ax-les-Thermes dans la famille paternelle afin de fuir les événements de 1870-71, le jeune Henri, dont le père meurt en 1873, suit sa scolarité dans un internat à Asnières puis au collège Rollin (actuel collège Jacques-Decour), période durant laquelle il découvre le dessin par la copie des illustrations de Gustave Doré (1832-1883) et de Daniel Vierge (1851-1904) et grâce aux visites des expositions de la revue La Vie moderne, boulevard des Italiens. Renonçant à la carrière commerciale à laquelle sa mère le destinait, il se forme brièvement dans l’atelier du peintre académique Émile Bin (1825-1897). En 1881, la création par Rodolphe Salis (1851-1897) du cabaret du Chat noir, qu’il fréquente assidûment dès l’âge de 18 ans, l’introduit dans le milieu de la bohème montmartroise et lui ouvre la voie d’une carrière artistique. Il prend part à la fabrication du journal éponyme, assurant par intermittence aux côtés du rédacteur en chef, Émile Goudeau (1849-1906), le rôle de secrétaire de rédaction et signant occasionnellement articles ou dessins. Au même moment, il explore les possibilités de l’eau-forte qu’il aborde en peintre-graveur oscillant, à la manière d’un Félix Buhot (1847-1898), entre paysages impressionnistes et scènes fantastiques.

Mais c’est surtout à la création du Théâtre d’ombres du Chat noir que son nom reste attaché comme le fondateur d’une esthétique théâtrale nouvelle. En 1886, Salis lui en confie la direction artistique et technique.Il crée notamment La Tentation de Saint-Antoine, féerie à grand spectacle (1887), La Marche à l’étoile, mystère en dix tableaux (1890), L’Enfant prodigue (1894) ou encore Clairs de lune, féerie en six tableaux (1896) dont la représentation précède de peu la fermeture définitive du Chat noir en 1897. Un ultime spectacle, Le Juif errant, est présenté en 1898 au Théâtre Antoine. Le succès populaire des créations de Rivière est conforté par l’édition de livres qui retranscrivent textes et partitions et reproduisent, dans des lithographies en couleurs, les tableaux successifs de ses spectacles.

En 1888, Henri Rivière fait la connaissance d’Estelle Eugénie Ley (1864-1943) qu’il épouse le 14 novembre 1895 (AP, actes d’état civil). Ils emménagent au 29 boulevard de Clichy et passent la belle saison en Bretagne (à Saint-Briac, puis dans la région de Paimpol et à Tréboul). En 1895, ils acquièrent un terrain à Loguivy, sur la falaise qui domine l’embouchure du Trieux, et y font construire une maison, baptisée « Landiris », dans laquelle ils séjournent tous les étés jusqu’à sa vente en 1913.

Sous l’influence conjuguée de l’estampe japonaise et des paysages de Bretagne, Henri Rivière se lance, au début des années 1890, dans la gravure sur bois. Il parvient à retrouver la technique de gravure japonaise et procède lui-même à toutes les étapes, depuis le broyage des couleurs délayées à l’eau jusqu’à l’impression à la main. La majorité de son œuvre de graveur sur bois est réunie dans deux séries, tirées à vingt exemplaires chacune, La Mer, études de vagues (1890-1892) et Paysages bretons (1890-1894) qu’il présente aux expositions des Peintres-graveurs entre 1890 et 1893.

Témoin de la construction de la tour Eiffel qu’il photographie lors d’une visite du chantier, Henri Rivière lithographie les Trente-six vues de la Tour Eiffel en hommage aux Trente-six vues du mont Fuji d’Hokusai. Sa première idée, dont témoignent deux planches, était un album de gravures sur bois. À ce procédé aussi contraignant qu’impropre à la diffusion, il préfère la lithographie. Les trente-six planches seront réunies, en 1902, dans un ouvrage édité à 500 exemplaires.

Quittant le format du livre, le lithographe franchit un pas décisif lorsqu’il entreprend, avec la complicité de l’imprimeur Eugène Verneau, la réalisation d’« estampes décoratives en couleurs » destinées à orner les intérieurs privés, mais aussi publics, notamment les salles d’école. Le caractère confidentiel des tirages des gravures sur bois cède le pas à la diffusion plus large que permet la technique lithographique. Les recherches chromatiques sont toujours au cœur des préoccupations de Rivière qui s’attache à transposer dans la lithographie les effets de dégradés de ses gravures sur bois. Les Aspects de la nature (1897-1899), une suite de seize lithographies de grand format, tirée à 1 000 exemplaires, répond aux critères d’éducation au beau par l’image. En 1900, la suite de huit lithographies de grand format intitulée Paysages parisiens apporte un pendant monumental aux Trente-six vues de la Tour Eiffel. Avec La Féerie des heures (1901-1902), seize lithographies tirées à 2 000 exemplaires, Rivière aborde un de ses sujets de prédilection : les changements atmosphériques et météorologiques au fil des heures du jour et des saisons. Les planches de la série du Beau pays de Bretagne sont éditées de 1898 à 1917, tandis que sa dernière série, Au vent de Noroît, demeure inachevée.

Découverte en 1882 et abandonnée en 1888, l’eau-forte réapparaît dans l’œuvre de Rivière en 1906 pour être utilisée jusqu’en 1916. En majorité gravées sur zinc, les eaux-fortes de cette deuxième période (des paysages bretons d’après des dessins exécutés sur le motif) sont d’une facture différente de la première qui combine des tailles larges franchement mordues à l’eau-forte aux traits plus légers d’un vernis mou.

Durant l’automne 1913, Henri Rivière se rend en Italie à l’invitation de ses amis peintres, Berthe (1886-1971) et André Noufflard (1885-1968), qui possèdent une villa près de Florence. En 1916, il met fin à son activité de graveur et de lithographe pour ne plus s’adonner qu’à l’aquarelle, technique qu’il n’a cessé de pratiquer depuis 1890, d’abord pour réaliser les modèles de ses estampes puis pour des œuvres autonomes. Très largement inspiré par la Bretagne jusqu’en 1916, année où il y séjourne pour la dernière fois, ces aquarelles le sont aussi par d’autres régions de France, au gré de ses séjours : la Provence où il se rend régulièrement de 1923 à 1944, les Pyrénées, la Savoie, l’Auvergne, la Normandie où ses amis Noufflard l’accueillent dans leur maison de Fresnay-le-long, le Périgord et l’Île-de-France. Peu après le décès de son épouse survenu le 24 mai 1943, il peint sa dernière aquarelle, à Buis-les-Baronnies, dans la Drôme, où il s’est réfugié en 1939. En novembre 1944, une atteinte oculaire brutale, qui le rend presque aveugle, l’oblige à renoncer à son art. Après avoir dicté ses souvenirs, réunis sous le titre Les Détours du chemin, il meurt, à 87 ans, le 24 mars 1951, à Sucy-en-Brie (AD 94, actes d’état civil), dans la maison d’Henriette Noufflard (1915-2003), la fille d’André et de Berthe, ses amis de toujours. Il est enterré à Frenay-le-Long (Seine-Maritime) à côté de la propriété de ses amis.

Constitution de la collection d’Henri Rivière

Les conditions dans lesquelles Henri Rivière a constitué sa collection d’estampes japonaises sont connues grâce à ses mémoires, Les Détours du chemin (quinoxe, 2004) dans lesquels il évoque la manière dont il est entré en contact avec les trois marchands à l’origine de sa découverte des arts nippons. À la fin des années 1890, Odon Guéneau de Mussy (1849-1931), amateur d’art japonais, l’introduit chez le célèbre marchand Siegfried Bing (1838-1905), dont le magasin, L’Art nouveau, est situé rue de Provence. Il y découvre, en compagnie de George Auriol (1863-1938), ami du Chat noir, poteries, bronzes, gardes de sabre, étoffes et, surtout, estampes qui le séduisent plus que tout. C’est le même Guéneau de Mussy qui le conduit chez Florine Langweil et Hayashi Tadamasa. Le magasin de Florine Langweil (1861-1958), spécialisée dans l’importation directe d’objets d’art anciens de la Chine et du Japon est alors situé au 4, boulevard des Italiens, avant d’occuper une maison, 26, place Saint-Georges (Rivière H., 2004, p. 87-94). Madame Langweil a beaucoup compté dans l’éducation de Rivière à l’art japonais comme dans sa vie personnelle, par leurs liens d’amitié et ceux noués avec sa fille Berthe et son époux André Noufflard, tous deux peintres. Rivière passe de longues heures « à fureter dans les tiroirs, à dérouler des kakémonos, à caresser de l’œil et de la main laques et poteries, à feuilleter les estampes et les livres ! » (Rivière H., p. 84) et commence à acheter objets et estampes. On ne connaît ni le nombre, ni la nature de ses achats chez Mme Langweil (seulement six épreuves de sa collection portent le cachet de la maison Langweil, ce qui n’exclut pas qu’il y en ait eu d’autres).

La part la plus importante de sa collection, Rivière la doit à un concurrent installé 65, rue de la Victoire, Hayashi Tadamasa (1853-1906), rencontré sans doute vers 1900, au moment où ce dernier organise la présentation du pavillon japonais à l’Exposition universelle (Rivière H., 2044, p. 95). Au regard des moyens financiers limités de Rivière, la richesse de sa collection surprend : elle est redevable à son amitié avec Hayashi. En 1902, le marchand japonais lui commande des peintures murales pour la décoration de la salle-à-manger d’une maison qu’il se fait construire à Tokyo. En guise de rémunération, il lui propose de se servir dans sa collection personnelle tant en estampes qu’en livres illustrés, laques et poteries. Bien qu’acheminées au Japon en 1906, les toiles de Rivière n’ont jamais été installées, Hayashi étant mort cette année-là (Rivière H., 2004, p. 96).

Nature de la collection d’Henri Rivière

Si une partie de la collection japonaise de Rivière a été vendue aux enchères peu après sa mort en 1953 (vente Paris, Hôtel Drouot, 26-28 octobre 1953), la plus grande part a été conservée par Henriette et Geneviève Noufflard, les filles de ses amis Berthe et André Noufflard, puis acquise par dation par le département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, en 2007, en même temps que l’ensemble du fonds d’atelier de l’artiste. Cet ensemble, quantitativement exceptionnel par le nombre et la qualité des épreuves, sans équivalent chez les artistes collectionneurs de son époque, se compose de 800 pièces réparties entre 749 estampes, 49 livres illustrés et deux pochoirs. Les limites chronologiques de la collection, de 1765 à 1865, correspondent au siècle d’or de l’estampe japonaise, c’est-à-dire à la deuxième moitié de l’époque d’Edo (1603-1868). Il s’agit de gravures sur bois appartenant à l’école de l’Ukiyo-e. Au sein de cette école, la collection de Rivière accorde une place prédominante au paysage (550 pièces). Par ordre d’importance, les autres genres représentés sont les beautés féminines (93 pièces), les acteurs (30) et les fleurs et oiseaux (27). Quant aux artistes, deux noms se détachent, celui d’Utagawa Hiroshige (1797-1858) dont l’œuvre constitue près des deux tiers de la collection, avec 450 pièces, et celui de Katsushika Hokusai (1760-1849), représenté par 130 pièces. À côté des gravures des deux artistes qui furent pour Rivière une source d’inspiration récurrente, figurent des œuvres de Kitagawa Utamaro (1753-1806) représenté par 37 pièces, Suzuki Harunobu (1725-1770) avec 13 pièces, mais aussi Ikeda Eisen (1790-1848), Utagawa Toyokuni III (12), Koryusai (9), Shunsho (6) et Kiyonaga (4), dont les estampes, choisies avec discernement, attestent de son désir de ne pas limiter sa collection aux seules références utiles à sa propre création artistique, mais de l’élargir à d’autres représentants de l’art de l’ukiyo-e.

D’Hokusai, Rivière possédait les huit feuilles du Tour des chutes d’eau des différentes provinces, les trois feuilles de Setsugekka (Neige-lune-fleur), quarante feuilles desCinquante-trois relais du Tōkaidō et surtout la série complète des Trente-six vues du Mont Fuji, dont vingt-cinq de la première édition à contours bleus.

Les estampes de la collection de Rivière ont été, pour une grande majorité, contrecollées au pourtour sur un carton fort plus large que l’épreuve afin d’être regroupées par séries dans des cartonnages sur mesure aux plats recouverts d’un papier créé par George Auriol et au dos de cuir orné du titre de série en lettres dorées.

La collection d’art extrême-oriental de Rivière ne se réduit pas aux seules estampes japonaises. De nombreux objets tels que paravents, laques, inrō, écritoires et céramiques d’époques diverses figuraient également dans sa collection dont certains sont entrés par legs, en 1952, au musée Guimet. D’autres pièces de sa collection ont été léguées au musée des Arts décoratifs (legs enregistré en 1954), parmi lesquels un ensemble important d’agrafes chinoises de la période des Royaumes Combattants, des dynasties impériales Qin et Han.

En marge de son activité artistique, Rivière s’est investi dans une activité éditoriale qui lui a permis de diffuser les connaissances acquises grâce à la constitution de sa collection. Entre 1913 et 1925, parmi les cinq projets éditoriaux qu’il mène, l’un concerne la céramique extrême-orientale (Rivière H., 1923), l’autre la collection d’art chinois de son ami Osvald Sirèn, conservateur au musée national de Stockholm (Rivière H., 1925). Comme en témoigne un tapuscrit inédit (BNF, Estampes et photographies), un projet de publication de sa collection d’agrafes chinoises n’a pas abouti. Pour ces publications, Rivière s’appuie sur un réseau international de collectionneurs privés et d’institutions. La qualité des reproductions des œuvres, à laquelle il était particulièrement attentif, confère à ces ouvrages la valeur d’instruments de travail scientifique. Les talents d’éditeur d’art de Rivière font regretter qu’il n’ait pas publié les chefs-d’œuvre de sa collection japonaise.