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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

MALINET Marie Antoinette (FR)

Commentaire biographique

Marie Antoinette Schlotterer est née à Paris le 26 novembre 1811, de l’union de Jacques (ou Jacob) Schlotterer et de Victoire Catherine Gouffé (AN, MC/ET/XXVI/1427). Elle se marie le 20 juillet 1830 avec Nicolas Joseph Malinet, qui est alors tailleur (AP, 5Mil 2060 2945-2947). Peu à peu Nicolas Joseph délaisse son travail initial pour le commerce de la curiosité, et il semblerait que Marie Antoinette ait participé pleinement à ces activités. Charles Pillet, dans la préface d’une des ventes après décès de Nicolas Joseph Malinet, la décrit comme « une collaboratrice aussi intelligente que dévouée » (Pillet C., 1887, p. V).

À partir des années 1850, elle forme une collection essentiellement composée de porcelaines chinoises et en confie l’inventaire à Albert Jacquemart (1808-1875), savant et amateur passionné qui deviendra dans le courant des années 1860, une référence en matière de porcelaine extrême-orientale.

Nous savons peu de choses sur le parcours de Marie Antoinette Malinet indépendamment de celui de son mari. Le couple aura une fille, Camille, qui meurt prématurément à l’âge de 9 ans. Peu d’années après la mort de leur fille, ils recueillent la jeune Louise Molas-Page (1851-1892) alors âgée de cinq ans, qu’ils éduquent comme leur fille et qui sera adoptée par Nicolas Joseph Malinet quelque temps après la mort de sa femme en 1881 (AN, MC/ET/XXVI/1427, d’Abrigeon, notice Nicolas Joseph Malinet). À cette date, Louise est déjà adulte et mariée à Henri Grimberghs, neveu de Nicolas Joseph Malinet et employé dans sa boutique de curiosité au 25 quai Voltaire. Marie Antoinette Malinet forma, avec son époux, un tandem uni jusqu’à la mort. Un journaliste relate avec émotion la célébration de leurs noces d’or pour leurs cinquante ans de mariage en l’église de la Trinité : « ce jour-là, […] ils souriaient comme deux jeunes mariés au printemps de la vie » (Bloche A., 1886, n.p.).

Peut-être en raison du peu d’information connue sur Marie Antoinette en dehors des activités de son mari, le peu de choses qui lui sont propres ont eu tendance dans l’historiographie à être attribuées à une initiative de son époux. Ainsi, le rassemblement et publication de sa collection de porcelaine chinoise a pu être interprété comme une stratégie de valorisation des activités commerciales de son mari (Saint-Raymond, 2021, p. 247) alors même qu’aucune source ne permet de vérifier l’acquéreur des pièces lors des ventes – les procès-verbaux indiquent rarement plus que le patronyme – , qu’il est tout aussi probable que Nicolas Joseph Malinet achetait pour sa femme selon les indications de celle-ci au même titre qu’il achetait pour ses clients, et enfin que la préface du catalogue de sa collection présente la publication comme une initiative personnelle de Marie Antoinette Malinet (Emery E., 2019, p. 92 n. 18). De plus, lorsque Marie Antoinette prête sa collection pour l’exposition du Musée Oriental de 1869, elle est bien identifiée, dans les labels et dans la presse comme la propriétaire des objets présentés, sans qu’aucun amalgame ne soit fait avec les activités de son mari (Burty P., 1869, n.p.). Par ailleurs, si l’on observe le catalogue d’une vente organisée par Nicolas Joseph Malinet en 1863, force est de constater qu’il n’a pas la précision scientifique du catalogue de porcelaines que Mme Malinet a fait tout spécialement rédiger par Albert Jacquemart. S’il est vrai que Marie Antoinette Malinet a participé à l’activité de son mari et bénéficié de sa réussite sociale pour acquérir sa collection, il est cependant possible et donc nécessaire de saisir les particularités de son parcours de collectionneuse (cf. commentaire sur la collection).

Le testament de Marie Antoinette Malinet n’apporte guère plus d’information pour saisir sa vie. La seule disposition qu’il contient est de faire de son mari son légataire universel (AN, MC/ET/XXVI/1386). C’est dans le testament de Nicolas Joseph six ans plus tard qu’apparaît le projet des époux d’adopter la Louise Molas-Page.

Marie Antoinette Malinet s’éteint le 28 février 1881 à l’âge de soixante-neuf ans.

Un catalogue de spécialiste

Marie Antoinette Malinet rassemble une collection principalement composée de porcelaines chinoises. On doit la connaissance de la collection à sa publication en 1862 par Albert Jacquemart qui s’affirme alors comme un véritable expert en matière de porcelaines extrême-orientales. L’ouvrage prend la forme d’un catalogue très similaire à un catalogue de vente, sans illustrations, mais rigoureusement classé par typologie et accompagné de paragraphes explicatifs pour chaque catégorie. Le but étant de garder une trace de cette publication. Mais leur collaboration ne se limite pas à la rédaction de ce catalogue. Marie Antoinette Malinet a mis à la disposition d’Albert Jacquemart sa collection (Blanc C., 1880, n.p.) pendant les quinze longues années qu’a durée la gestation de son premier ouvrage sur la porcelaine coécrit avec son collègue Edmond Le Blant sous le titre : Histoire artistique industrielle et commerciale de la porcelaine (1862, « Prospectus », p. 2). Et pour cause, le chapitre dédié à la « porcelaine orientale », fait abondamment référence à la collection de Marie Antoinette Malinet. Un grand nombre d’œuvres provenant de sa collection sont aussi reproduites par Jules Jacquemart, le fils d’Albert. Si Albert Jacquemart a privilégié la collection de Marie Antoinette Malinet pour illustrer son ouvrage, c’est très certainement en raison de la grande qualité de ses œuvres, de leur variété et de leur nombre. Marie Antoinette avait, du fait de l’activité de son mari, une capacité d’achat très importante, du moins bien plus grande que celle d’Albert Jacquemart, lequel possédait aussi une collection, mais essentiellement constituée d’œuvres de petites dimensions, parfois fêlées, tant que celles-ci lui permettaient d’exemplifier sa classification des porcelaines chinoises. Il n’est donc pas étonnant que, pour les planches de son ouvrage, Albert Jacquemart se soit reporté sur les collections de Marie Antoinette plutôt que les siennes.

Le catalogue comprend en tout 431 porcelaines en grande majorité chinoises. Le classement est extrêmement rigoureux et chaque catégorie est explicitée au moyen d’un paragraphe introductif. Après les porcelaines dites « historiques », c’est-à-dire inscrites (la plupart du temps de marque de règne nianhao 年號), on trouve les grandes catégories élaborées par Albert Jacquemart à savoir : les familles archaïques, chrysanthémo-paeonienne (sic), verte, rose, ainsi que les fabrications exceptionnelles (sur ce classement, voir d’Abrigeon P., 2018). À cela s’ajoutent des catégories qui n’existent pas dans l’Histoire de la porcelaine telles que celle des porcelaines « vitreuses » ou « impériales » (Jacquemart, 1862, p. 51-55). Cette dernière catégorie « inspirée, sans nul doute, par la vue des ouvrages européens, sort complètement des habitudes ornementales de l’Orient » nous dit Albert Jacquemart (1862, p. 54). On pourrait croire le nom de cette catégorie trouve son origine dans la vente des pièces en provenance du Palais d’été, le Yuanmingyuan 圓明園, cette résidence palatiale des empereurs Qing pillée puis incendiée à la fin de la seconde guerre de l’Opium (1860) par les troupes franco-britanniques, mais il n’en est rien, les descriptions semblent toujours faire échos à de la porcelaine d’exportation. À côté des porcelaines chinoises, Albert Jacquemart identifie également des porcelaines coréennes, indiennes et perses. Or, l’analyse approfondie de sa classification au moyen d’objets existants a montré que les « porcelaines » indienne et perse étaient bien souvent faites en Chine à destination du Moyen-Orient ou de l’Asie du sud-est, ce qui implique une différence stylistique et formelle à l’origine de l’erreur d’expertise d’Albert Jacquemart (P. d’Abrigeon, à paraitre). Quant aux porcelaines coréennes, elles correspondent aux pièces de style kakiemon produites au Japon pour le marché occidental dans le tournant du XVIIIe siècle (d’Abrigeon P., 2020, p. 88). Enfin, la plupart des porcelaines de la famille rose « japonaise » sont aussi attribuables le plus souvent à la Chine.

De nombreuses provenances sont notées dans le catalogue ce qui permet d’avoir une idée de la temporalité dans laquelle s’inscrit la collection. Il est ainsi fort probable de Marie Antoinette Malinet entreprenne sa collection au début des années 1850. La provenance identifiée la plus ancienne contenue dans le catalogue est celle de la vente de la collection Debruge-Duménil (1788-1838). Marie Antoinette Malinet n’a probablement pas fait d’acquisition lors des sept ventes après décès de ce dernier entre 1839 et 1840 (Lugt 15279, 15324, 15586, 15640, 15701, 15963, 15994) – on trouve le nom de son mari pour quelques achats lors des ventes des 10 mars et 14 décembre 1840, mais rien qui ne concerne la porcelaine chinoise (AP, D48E3 33, D48E3 34) –, mais plutôt lors de la vente des 23 et 24 janvier 1850 qui rassemble une cinquantaine de lots de porcelaines chinoises et japonaises (au sujet des ventes de cette collection, voir Arquié-Bruley F., 1990). En 1853, lors de la vente du peintre Alexis Gabriel Decamps (Lugt 21350), « Malinet » – impossible de savoir s’il s’agit de monsieur ou madame – achète quelques objets variés, dont « deux tasses chinoises avec soucoupe » pour quarante francs, ou encore « deux plats de faïence indienne » (lot 296) pour trente-huit francs (voir exemplaire annoté du catalogue, BNF, YD-1 (1853-04-21)-8, procès-verbal absent). Plusieurs pièces de la collection sont encore indiquées comme provenant des ventes de la Duchesse de Montebello, laquelle avait définitivement orienté le commerce de Nicolas Joseph Malinet vers les objets d’Extrême-Orient (d’Abrigeon P., notice Nicolas Joseph Malinet). Lors de la très importante vente d’objet d’art et de tableaux de Louis Fould en juin 1860 (Lugt 25635) Malinet achète des objets d’art de tout ordre, dont plusieurs tasses, théières, et assiettes en porcelaines de Chine (AP, D48E3 51). Parmi les diverses provenances encore citées se trouvent les noms de l’inspecteur en chef de l’imprimerie et de librairie Charles Henri Bailleul (vente de 1853, Lugt, 21294 ; AP D48E3 45), Augustin Pierre Daigremont (vente 1861, Lugt 26072, AP D448E3 52), Hope, Humann, Madame Odiot, Poinsot (vente de 1861, Lugt, 26033), Richard, Horace de Viel-Castel, enfin une pièce provient des anciennes collections d’Auguste le Fort (Frédéric-Auguste Ier de Saxe dit, 1670-1733) conservées au Porzellansammlung de Dresde (no 234). Certaines pièces sont par ailleurs indiquées comme provenant du Yuanmingyuan, dont les ventes avaient commencé à Paris à peu près un an avant la publication du catalogue.

Les pièces reçues en don témoignent aussi des liens entretenus par Marie Antoinette Malinet avec les collectionneurs de son temps. Elle reçoit ainsi des œuvres de la part de Tony de Berg, Barbet de Jouy (1812-1896), du baron Hippolyte Boissel de Monville (1795-1873), du baron Dejean, de Paul Chevandier de Valdrôme (1817-1877, lequel vend sa collection en 1862, Lugt, 26534, AP, D48E3 53), la comtesse Tarragon et bien évidement d’Albert Jacquemart.

1869 : l’exposition de la collection au Musée oriental

En 1869, l’Union centrale des arts décoratifs organise une exposition entièrement dédiée aux arts de l’« Orient », qui regroupe les collections privées d’un grand nombre de collectionneurs dans le but de fournir des modèles à l’industrie. Avec ses quelque 312 numéros exposés – dont 297 porcelaines chinoises – Marie Antoinette Malinet est l’une des principaux prêteurs de cet événement (Saint-Raymond, 2021, p. 247). Ses vitrines, nous dit Philippe Burty « contiennent les types les plus variés et les plus exquis […] on trouvera dans la collection Malinet à peu près toutes les formes et tous les tons, toutes les variétés de pâtes et de décors que l’on peut rêver. Cela va du « blanc de la Chine » le plus homogène et le plus crémeux au craquelé le plus original, du dos de grenouille verte au violet aubergine, du bleu du ciel après la pluie au jaune impérial et au foie de cheval, du cornet d’un jet élancé au vase renflé et presque Médicis » (Burty, 1869, n.p.). Albert Jacquemart, chargé quant à lui de couvrir l’événement dans la Gazette des Beaux-arts, attire l’attention du lecteur sur les « grandes chimères » couleur « violet-pensée », ou encore un vase dit « du district de Tching-Ling » qu’il avait déjà analysé dans ses premières publications (Jacquemart A. 1869, p. 484 et 486-487). Le journaliste Felix-Deriège dans le quotidien Le Siècle (25 oct. 1869), évoque « parmi les [pièces] les plus remarquables » une « coupe à décor bleu rehaussé de personnages et de chimères en biscuit ronde-bosse » ou encore « une urne coquille d’œuf autour de laquelle des mandarins gravissent une série de montagnes pour aller faire leurs offrandes » dont « les figurines et le paysage se distinguent par la finesse et la perfection du travail ». L’auteur remarque également les pièces dites de commandes faites en Chine dont les décors sont inspirés de gravures européennes que l’on trouve abondamment dans la collection de Marie Antoinette Malinet. Il ne semble pas que Marie Antoinette Malinet ait poursuivi la mise en valeur de sa collection après cette date, et il est même difficile de retrouver la trace de cette collection dans l’inventaire après décès de son mari tant les descriptions sont laconiques (AN, MC/ET/XXVI/1427).

On trouve en revanche des descriptions plus tardives de la collection par Edmond de Goncourt dans la Maison d’un artiste. Il dépeint amoureusement une « assiette dont le rebord a été coupé, représentant une Chinoise assise sur un escabeau de porcelaine, une main tombée sur un album fermé, une main portant à ses narines une fleur odorante ; près d’elle sont deux enfants. Ce petit plateau est de la plus belle qualité d’émaillure, avec ses tendresses de tons, ses carnations de rose mourant des premières porcelaines de Saxe, avec ses étoffes qui ne sont, pour ainsi dire, colorées que dans le sillonnement [sic] renflé des plis, profondément incisés. Ce plateau porte le no 150 de la collection de Mme Mallinet [sic], où cette pièce, parfaitement chinoise, a été classée par M. Jacquemart dans la famille rose japonaise » (Goncourt E., 1881, vol. 2 p. 235) ». En plus de souligner les progrès faits dans l’expertise des œuvres, ce témoignage indique qu’à cette période les porcelaines qui composaient la collection de Marie Antoinette étaient mises en vente, très certainement via la boutique du 25, quai Voltaire.

Contrairement à son mari qui possédait une collection relativement hétéroclite, partagée entre la peinture de son temps, les médailles, les objets d’art extrême-orientaux et les estampes, Marie Antoinette Malinet a rassemblé une collection essentiellement dédiée aux porcelaines chinoises et l’a fait connaître en la publiant par l’expert le plus reconnu de son temps et en l’exposant magistralement à l’occasion de l’un des immanquables rendez-vous de l’Union Centrale des arts décoratifs.

J’adresse mes sincères remerciements à Elizabeth Emery, qui a encouragé la rédaction de cette notice, et l’a enrichie de ses précieuses relectures.