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Commentaire biographique

Alexis-Hubert Rouart naît le 21 mars 1839 à Paris, dans un appartement situé rue de Richelieu. Son père, Alexis‑Stanislas Rouart, est le premier de cette famille originaire de l’Aisne à s’installer à Paris en 1816 (Rey J.‑D., 2014, p. 8). Il y retrouve un oncle passementier et brodeur et devient à son tour passementier spécialisé dans les costumes pour l’armée. En 1832, il épouse Rosalie Charpentier (1814‑1889), mère d’Alexis.

Une carrière d’ingénieur récompensée

Alexis grandit comme pensionnaire au lycée Louis-le-Grand aux côtés de son frère Henri (1833‑1912). Il y obtient son baccalauréat et étudie le droit à la Faculté de Droit de Paris. Il se forme finalement au métier d’ingénieur‑mécanicien à l’École Centrale et s’associe à son frère dans l’entreprise fondée par celui-ci à la fin des années 1850 avec Jean‑Baptiste Mignon. La société Mignon et Rouart (Rouart frères & Cie à partir de 1885), installée boulevard Voltaire, est spécialisée dans les moteurs et systèmes de réfrigération. En 1866, les frères Rouart ouvrent une seconde usine, de tubes en fer creux, à Montluçon. Des années 1860 à la fin des années 1890, la société multiplie les prix et médailles qu’elle reçoit à l’issue des expositions auxquelles elle participe en France et à l’étranger (Haziot D., 2001, p. 18‑25). Plusieurs catalogues, mémoires explicatifs ou comptes rendus d’expériences écrits de la main d’Alexis Rouart prouvent son implication dans les innovations de l’entreprise (Rouart A., 1889).

Un environnement familial marqué par les arts

Alexis Rouart fréquente dès l’enfance les peintres militaires du temps et découvre leurs tableaux dans leurs ateliers. Ces peintres sont Charlet (1792‑1845), Raffet (1804‑1860), Vernet (1789‑1863) ou Lami (1800‑1890), que le père d’Alexis côtoie et à qui il commande des dessins pour coudre ses passements. En 1847, le père d’Henri et d’Alexis commande à Auguste Bonheur (1824‑1884) un portrait de ses fils, aujourd’hui conservé à Pau (Musée des Beaux-Arts de Pau, inv. 899.10.1). À l’époque de la réalisation du portrait, les fils Rouart suivent des cours obligatoires de dessin et côtoient Degas (1834‑1917) ou Caillebotte (1849‑1894) au lycée. Henri, frère d’Alexis, se forme à la peinture chez Millet (1830‑1906) et Corot (1796-1875) à la sortie du lycée et rejoint le groupe des impressionnistes dès sa première exposition. En 1865, Alexis épouse sa première femme, Amélie Lerolle (1845‑1882), nièce du peintre Henry Lerolle (1848‑1929). Henri Rouart épouse quant à lui la descendante d’une grande famille d’ébéniste, Hélène Desmalter (1842‑1886). Le meilleur ami de la famille n’est autre que Degas (1834‑1917). Après s’être perdus de vue à la sortie du lycée, Alexis, Henri et Degas se retrouvent tous affectés au Bastion 12 lors de la Commune de Paris en 1870. Ces retrouvailles marquent le début d’une grande amitié entre Degas et les deux frères. C’est à Alexis qu’il écrit en 1904, en parlant des Rouart : « vous êtes ma famille » (Guérin M., 1945, lettre 235, p. 238). Leur pratique commune de la collection et les intérêts qu’ils partagent pour l’art et la gravure sont au cœur des échanges entre Degas et Alexis.

Henri et Alexis Rouart

Henri et Alexis, très proches, partagent leurs vies professionnelles et sociales, leur intérêt pour l’art et leur pratique de la collection. Alexis vit un temps dans un appartement près de l’usine située boulevard Voltaire, puis s’installe dans l’hôtel particulier qu’occupaient ses parents, construit par le beau-frère de Degas, et mitoyen de celui d’Henri. Les deux frères et leurs amis s’y réunissent tous les vendredis soir chez Henri, et un mardi soir sur deux chez Alexis. Les premiers ouvrages sur la famille Rouart, restée particulièrement discrète de l’histoire de l’art, commencent à paraître au début du XXIe siècle. Mais au sein de la petite historiographie formée sur la famille, c’est la figure d’Henri et sa descendance qui constituent la mémoire des Rouart. Alexis Rouart, vu comme « moins brillant » que son frère (Haziot D., 2001, p. 30), a du mal à dissocier son image de celle d’Henri, dont la réussite professionnelle, les talents de peintre et la richesse de la collection font la fierté de la famille.

Un acteur du réseau de sociabilité et de diffusion des connaissances artistiques

Membre de la Société des Amis du Louvre, des Amis de Versailles ou de l’Art français, Alexis participe à l'effervescence intellectuelle et artistique des cercles de son temps. Il est également l’« un des plus anciens membres de l’Union Centrale des Arts Décoratifs, dont son beau‑père Henry Lerolle avait du reste été l’un des fondateurs » (Lemoisne P.‑A., 1911, p. 13). En tant que membre d’honneur de la Société des peintres‑graveurs français, il participe à l’organisation d’expositions qui promeuvent à Paris les œuvres lithographiées des artistes du XIXe siècle. Alexis Rouart détient sa place au sein des réseaux d'érudition tournés vers l'art japonais. Il est invité tous les dimanches matin chez le collectionneur Henri Vever (1854‑1942) et participe aux dîners japonais organisés tous les mois par Siegfried Bing (1838‑1905). Il est élu membre du conseil de la Société franco-japonaise de Paris à de multiples reprises, et œuvre alors activement pour la diffusion de la culture japonaise en France et réciproquement. À sa demande, la Société envoie des livres français aux universités japonaises (Société franco-japonaise, septembre 1911, p. 30). Hayashi Tadamasa, japonais venu s’installer à Paris à l’occasion de l’Exposition universelle de 1878, est un des piliers de ce cercle d’amateurs d'art japonais. Il est un proche ami d’Alexis comme l’atteste leur correspondance (Koyama‑Richard B., 2001). Les deux hommes se rencontrent aux alentours de 1880, peut‑être dès l’arrivée d’Hayashi en 1878, ou lors de l’ouverture de son premier magasin d’art en 1883. Cette rencontre pourrait être à l’origine de la naissance ou de l’affirmation de l’intérêt d’Alexis pour l’art japonais.

Constitution de la collection

Alexis Rouart et l’art français

Alexis débute sa collection d’art occidental lorsqu’à l’âge de dix-huit ans, il acquiert ses premières lithographies romantiques (Lemoisne P.‑A., 1911, p. 6). Il s’éprend pour cet art et cette période dont les œuvres composent en grande majorité sa collection d’art occidental. Alexis accumule les plus belles épreuves de Géricault (1791‑1824) et Delacroix (1798‑1863) et limite son intérêt pour ces deux artistes à leurs œuvres graphiques. Il collectionne avec abondance les estampes les plus rares et uniques de son ami Degas. Passées entre les mains de son fils Henri après la mort du collectionneur, la plupart rejoignent les collections du département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale. Citons par exemple Après le bain (inv. RÉSERVE DC-327 (DH,7)-BOITE EC) que l’artiste réalise vers 1891, ou Les Deux danseuses, une aquatinte 1877 (inv. RÉSERVE DC-327 (DH,4)-BOITE ECU). Le fils d’Alexis fait don de ces deux œuvres à la BNF en 1932. La Sortie du Bain est quant à elle conservée aux musées d’Art de Harvard (Fogg Museum, M26274). Degas exécute ce dessin au crayon électrique chez son ami Alexis, vers 1882. C’est la première fois que Degas expérimente ce type de crayon, et l’une des premières fois qu’il représente le sujet de la femme au bain. En peinture, Alexis s’attache à l’art des artistes auxquels l’histoire de l’art n’a accordé qu’une place marginale, comme les artistes romantiques restés dans l’ombre de leurs chefs de fils. Il voue une affection particulière aux peintres militaires qui forment sa culture visuelle. Les œuvres d’Eugène Lami sont parmi les plus nombreuses de sa collection. L’Entrée de son A. R. la Duchesse d’Orléans aux Tuileries est une toile acquise par le musée du Louvre après décès du collectionneur (inv. RF 1775). Entouré d’artistes impressionnistes dans sa vie sociale et familiale, Alexis retient en majorité ceux dont l’appartenance au groupe est restée discrète et ambiguë comme Cals (1810‑1880), dont les Rouart sont les rares mécènes.

Les estampes japonaises

Alors dénuées de valeur au Japon, les estampes japonaises provoquent l’engouement des collectionneurs parisiens à partir de leur arrivée en France dans les années 1890. Cette époque marque précisément la période à laquelle Alexis Rouart débute le penchant asiatique de sa collection d’art (Saint-Raymond L., 2016). À sa mort, sa collection d’estampes japonaises s’élève à près d’un millier d’épreuves. Celles‑ci ne sont pas vendues avec le reste de la collection après son décès en 1911, mais passent entre les mains de son frère Henri, qui les conserve et les accroche dans son hôtel particulier. Elles deviennent ensuite la possession d’un collectionneur américain qui organise leur vente à New York en 1922. Le Metropolitan Museum acquiert plusieurs épreuves ayant appartenu à Alexis Rouart à l’occasion de la vente. La Baie de Tago près d’Ejiri sur le Tōkaidō d’Hokusai ou Minuit : Mère et enfant endormi d’Utamaro font partie des achats du musée.

Un intérêt pour les objets d’art chinois et japonais

Cette affection pour l’estampe japonaise n’empêche pas Alexis Rouart de s’intéresser aux objets d’art de la Chine et du Japon. Les laques du Japon, les inrō, netsuke et tsuba sont représentés par centaines au sein de la collection. Sa collection de tsuba est particulièrement reconnue au sein du monde des amateurs d’art japonais du siècle. Son envergure et sa qualité lui vaut l’analyse du Marquis de Tressan (1877‑1914), grand spécialiste de cet objet, qui rédige la préface du catalogue de leur vente, après le décès d’Alexis. Dans les années 1890, Kœchlin (1860‑1931) est persuadé de l’« incontestable supériorité du Japon » et raconte sa réticence et celles des collectionneurs de son entourage à s’intéresser à l’art chinois : « rien de ce qui était chinois ne franchissait le seuil de nos collections ». Il ajoute que « seuls Alexis Rouart, Isaac de Camondo et Gonse faisaient exception » (Kœchlin, p. 64). Alexis Rouart forme une riche collection de bronzes, de matières précieuses, d’émaux cloisonnés et de porcelaines chinoises. Son intérêt pour l’art extra-occidental s’étend aux miniatures et objets d’Inde et de Perse qui enrichissent sa collection. En 1908, à l’issue d’une visite chez Alexis Rouart, Paul-André Lemoisne (1875‑1964), archiviste puis conservateur directeur du Cabinet des Estampes de la BnF, publie un article qui dresse l’état des lieux de l’ensemble de la collection d’Alexis Rouart et décrit ses pièces les plus exceptionnelles.

La constitution d’une collection

Habitué des salles de ventes de l’Hôtel Drouot, la constitution de la collection d’Alexis Rouart résulte surtout des relations qu’il entretient avec les marchands d’art parisiens du temps. Hector Brame ou Paul Durand-Ruel (1831‑1922) font partie de ses principaux fournisseurs. En 1883, Alexis Rouart achète à Durand-Ruel, pour 3 000 francs, ce qui devient la plus belle pièce de sa collection d’art occidental selon Haziot (2001, p. 30) : L’Atelier de la Modiste de Degas. Mais c’est au sein des magasins d’objets chinois et japonais qu’Alexis Rouart passe le plus clair de son temps et tisse ses liens d'amitié les plus importants. En parlant de la boutique d’Hayashi, Kœchlin se souvient qu’Alexis Rouart y « faisait un détour pour prendre le vent, quand il quittait ses ateliers métallurgiques » (Kœchlin R., 1930, p 19). Il est aussi l’un des plus fidèles clients et ami de Florine Langweil (1861‑1958). Kœchlin décrit les objets d’art chinois que « chaque jour presque il [Alexis] rapportait d’une visite à Mme Langweil » (Kœchlin R., 1930, p. 37).

La collection et son rayonnement

Alexis Rouart est le « premier donateur » des estampes en feuilles du département des Estampes de la BNF (Lambert, 2009). En 1894, il donne sept de ses estampes japonaises au musée du Louvre (AN, 20 144 787/16) et inaugure alors, accompagné d’une série d’amateurs d’art japonais, les fonds des estampes japonaises de l’époque d’Edo du musée. Jusqu’aux années 1905, Alexis Rouart fait bénéficier ces institutions, ainsi que le musée des Arts Décoratifs ou le musée Guimet de ses dons. Sa deuxième femme, Augustine Pipaud, originaire de la Creuse, le mène jusqu’au musée d’art et d’archéologie de Guéret. Il en devient un des principaux bienfaiteurs et, entre 1892 et le début des années 1900, se sépare de plus d’une centaine de pièces de sa collection au profit du musée. Les estampes, poteries et gardes de sabres japonais, les statuettes de la Chine et du Japon de sa collection introduisent l’art asiatique au sein du musée de Guéret. Notons l’importante collection de bols chawan donnés au musée par Alexis Rouart, à l’origine utilisés pour la préparation, le service et la dégustation du thé lors des cérémonies japonaises du thé. Certains d’entre eux ont été réalisés au XVIIe siècle par le potier Ninsei Nonomura comme celui représentant une langouste (inv. B 076), motif rependu de l’art japonais et symbole de longévité. Nous pouvons également citer un très beau petit autel domestique japonais en bois laqué et doré, dans lequel se trouve la statuette du dieu Atago-Gongen (inv. 2010.0.25), ou encore un brûle-parfum en bronze en forme de Qilin, trèscertainement venu de Chine (inv. B 231).