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Commentaire biographique

Marie-Joseph-Louis-Adolphe Thiers est né à Marseille le 15 avril 1797. Il est issu d’un milieu bourgeois, mais d’un père, Pierre-Marie-Louis Thiers à la vie particulièrement dissolue, habitué aux affaires louches et à la banqueroute. Doté de qualités évidentes, remarquées par ses professeurs au lycée, Adolphe ira étudier le droit à Aix-en-Provence. Il y réussit brillamment et devient avocat en 1818. En 1821 il vient s’installer à Paris dépourvu de tout revenu et sans patrimoine. Doué pour l’écriture, il est invité à écrire dans le journal Le Constitutionnel et d’autres journaux. Il fonde en 1830 Le National. Il se fait une réputation en écrivant sur de multiples sujets, principalement politiques. Il s’intéresse aussi à l’art, écrit sur les Salons et est l’un des premiers en 1822 à soutenir le jeune Eugène Delacroix (1797-1863). Il se lie d’amitié avec la famille Dosne en 1827, qui deviendra sa famille d’adoption. Le maître de famille Alexis Dosne (1781-1849) est agent de change. Il va vendre à Thiers un immeuble à crédit. Cela lui offre un revenu permettant d’être éligible dans le système électoral censitaire de l’époque. En remerciement, Thiers le fait nommer receveur général à Brest puis Lille. Alexis Dosne réside donc peu à Paris et Thiers se trouve seul avec Mme Dosne mère (1794-1869) et ses deux filles Élise (1818-1880) et Félicie (1823-1906). Il épousera Élise en 1833.

À partir de 1833, il résidera dans l’hôtel familial place Saint-Georges. La presse satirique lui prêtera une aventure avec sa belle-mère et sa belle-sœur (Valance G., 2007, p. 151-155). Cette même presse ne ménagera jamais Thiers et le moquera durant sa très longue carrière politique notamment par la caricature (p. ex. « Un parricide », planche no 106 de la série Actualités, Honoré Daumier, 16 avril 1850, BNF, département des Estampes et Photographie, inv. Rés. Dc-180b (40)-Fol.). Il est moqué pour sa petite taille, son physique ingrat et ses mauvaises manières.

Sur le fond il est surtout brocardé pour son arrivisme, sa propension à changer de camp. On lui prête diverses pratiques de corruption. Il est détesté par la gauche pour sa défense de l’ordre bourgeois et ses décisions politiques perçues comme hostiles au peuple (soutien au suffrage censitaire), et particulièrement la répression de la révolte des canuts à Lyon en 1834 ou de la Commune lors de la guerre de 1870 (Valance G., 2007).

Thiers va en effet entamer très vite une carrière politique après s’être fait un nom en tant qu’historien avec la publication des premiers volumes de son Histoire de la Révolution française en 1823-1824. C’est un immense succès d’édition, dix tomes paraîtront, le dernier en 1827. Cela lui vaudra d’être élu à l’Académie française en 1833. Il rédigera ensuite de 1845 à 1862 vingt tomes d’une Histoire du Consulat et de l’Empire, qui connaîtra elle aussi un très grand succès en librairie et des rééditions nombreuses. Il est élu député des Bouches-du-Rhône en 1830, réélu jusqu’en 1848 (Guiral P., 1986, p. 585-592). Pour cette période, sa sensibilité politique peut être qualifiée de bourgeoise orléaniste. Il sera successivement Sous-secrétaire d’État aux Finances du 2 novembre 1830 au 13 mars 1831, ministre de l’Intérieur (11 octobre 1832) et ministre de l’Agriculture et du Commerce (décembre 1832-avril 1834), ministre de l’Intérieur en avril 1834, Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères en 1836 (22 février-6 septembre) et en 1840 (1er mars) (Guiral P., 1986, p. 585-592). Il quitte le gouvernement en 1840 et entre ensuite dans l’opposition. Il sera nommé président du conseil par Louis Philippe pour à peine une journée le 24 février 1848 alors que la révolution éclate. Face à son incapacité à faire revenir l’ordre il sera démis par le roi qui abdiquera peu après.

Suite au coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1851, Thiers sera contraint à l’exil d’abord en Allemagne puis en Belgique, en Angleterre, en Allemagne à nouveau, en Suisse et en Italie pendant au total huit mois (Valance G., 2007 p. 249-263). Opposé au Second Empire, il vivra retiré de la politique jusqu’en 1862 et la publication du dernier tome de son Histoire du Consulat et de l’Empire (Valance G., p. 269-270). Il se fera élire député de Paris en 1863.

La guerre de 1870 est l’occasion pour Thiers de revenir aux affaires, après la défaite de Sedan et la chute de l’Empire, catastrophes qu’il avait annoncées et tenté de prévenir. Il est nommé « chef du pouvoir exécutif de la République française » après une victoire électorale (Valance G., 2007, p. 316). La population, las de la guerre voit en lui l’homme capable de faire la paix. Celle-ci est obtenue au prix de l’écrasement de la Commune qui restera la tache la plus sombre dans sa carrière politique. Pendant cette période l’hôtel particulier de la place Saint-Georges sera détruit par les communards (Valance G., 2007, p. 340). L’hôtel actuel sera reconstruit grâce à une subvention de l’État (Valance G., 2007, p. 358). Thiers devenu Président de la République s’emploiera ensuite à réunir l’indemnité de guerre de 5,5 milliards de francs négociée avec les Allemands en échange de leur retrait des régions qu’ils occupent. Il y parviendra en moins de deux ans par des emprunts d’État ce qui lui vaudra le qualificatif de « libérateur du territoire ». Écarté du pouvoir en 1873, il décède en 1877. Ses funérailles réunissent de millions de personnes (Valance G., 2007, fig. 38).

Constitution de la collection

Adolphe Thiers a constitué une collection d’art importante, mais éclectique. La chronologie exacte de ses acquisitions reste encore pour l’essentiel inconnue. Des recherches dans les catalogues de vente et les archives ont permis d’identifier quelques provenances et le catalogue de Charles Blanc en donne quelques-unes, mais pour l’essentiel des objets il est probable que leur origine reste durablement mystérieuse (L’or du japon, 2010, p. 93, 95, 123, 127, 162 et 163).

Concernant la part asiatique nous savons juste par Charles Blanc (p. X) que Thiers commença à la constituer « bien avant l’expédition de Chine » donc avant 1860. Le rapport entre Thiers et l’art est ancien. Dès le début de sa carrière, en tant que journaliste, il commente les salons (1822 et 1824) (Thiers A., 1822 ; Chaudonneret M.-C., 2005). Devenu ministre, il lance plusieurs grandes commandes dont plusieurs sont attribuées à Eugène Delacroix dont il est l’un des défenseurs. Il soutient la rénovation de l’École des Beaux-Arts dont il charge Félix Duban (1797-1870) en 1832 (Bonnet A., 1996). Thiers a un goût marqué pour l’histoire de l’art et croit à la régénération des études artistiques par l’étude des références historiques et des grands maîtres. À travers sa collection, il entend d’abord réunir un panorama de l’histoire de l’art. Il achète quelques originaux, mais y renonce faute d’argent (Blanc C., 1884 p. IV et VI). Il commande aussi aux peintres de son époque des copies des grandes œuvres conservées en Italie. Ainsi sa collection au terme de sa vie comprend un ensemble de 45 copies d’après les maîtres. Cela sera la cause essentielle du discrédit qui frappera cette collection après son don au Louvre. Ce discrédit de la collection européenne de Thiers explique largement le désintérêt qu’a suscité sa collection asiatique. Le goût étant jugé mauvais dans un domaine, il ne peut qu’être mauvais dans un autre.

L’éclectisme de la collection a probablement aussi joué dans la perception négative de l’ensemble, de même que sa structuration. Elle comprend en effet de petites séries d’objets sans cohérence thématique, stylistique ou historique dans la plupart des cas et deux séries assez longues, les bronzes européens et les laques japonais. Les antiquités égyptiennes et grecques comptent ainsi 32 numéros, les terres cuites de la Renaissance, 13, les bronzes, 93, les marbres 13, les ivoires 15, les bois sculptés 25, les marqueteries 5, les « sculptures diverses » 11, les camées et intailles, 3, les verres de Venise, 11, les copies d’après les grands maîtres, 45, les tableaux, 5. Côté Asie, les peintures chinoises comptent 17 numéros, les bronzes chinois et japonais, 15, les émaux cloisonnés, 15, les agates, jades, pierre de lard, 30, les bois sculptés ou incrustés, 11, les ivoires, 23, les laques, 65, les porcelaines de la Chine et du Japon, 36 pièces (Blanc C., 1884).

On remarquera quelques rares pièces de la Chine et du Japon au côté des centaines de pièces de manufactures européennes dans la collection de porcelaines léguées par Madame Thiers. À la différence de son mari, qui collectionne essentiellement les vases, elle se focalise sur les porcelaines de service, tasses, assiettes, etc.

Le legs

Suivant les vœux de Thiers, sa collection a été léguée après sa mort au Musée du Louvre (Blanc C., 1884, p. 283). Le legs a été fait par sa veuve Élise Dosne-Thiers qui y ajoute sa propre collection de porcelaine, sous réserve d’usufruit de sa sœur Félicie Dosne qui à la mort de celle-ci renonce à l’usufruit et décide de délivrer immédiatement le legs complété de sa collection personnelle de tabatières. Le legs Thiers est donc triple.

Félicie Dosne ajouta une condition au legs, que les objets restent tous au Louvre, non dispersés, dans des salles Thiers. C’est ce qui explique que les objets asiatiques de Thiers soient restés dans les collections du département des objets d’art du Louvre lors des redistributions thématiques entre musées nationaux au milieu du XXe siècle. La fondation Thiers, héritier moral du legs Thiers a, par la suite, accepté que certaines pièces mineures de la collection soient mises en réserve et que des pièces importantes, en peinture, sculpture, arts décoratifs, soient intégrées dans les autres salles du musée où elles ont pu être mieux mises en valeur. À cela s’ajoutent les contraintes de conservation des œuvres graphiques de la collection qui ne peuvent être exposées de manière permanente. Ainsi, la structure d’origine de la collection Thiers n’est plus lisible dans les salles du Louvre, mais les œuvres et le legs sont valorisés au mieux.

L’ensemble du legs a été catalogué par Charles Blanc dans un ouvrage paru en 1884 (Blanc C., 1884). L’auteur y commente l’ensemble et liste les objets la composant. Charles Blanc l’avait déjà décrite sommairement dans la Gazette des Beaux-Arts en 1862 (Blanc C., 1862), ce texte ayant été réédité en 1871 (Blanc C., 1871). Les informations présentes dans ce catalogue pour ce qui concerne l’Asie sont d’une utilité très limitée sauf dans quelques cas, car Blanc ne connaît pas l’art asiatique. Aussi le texte oscille entre des notices relevant du commentaire descriptif dans un style parfois grandiloquent et souvent apologétique concernant le goût de Thiers, et d’autres, plus rares, très documentées, Blanc ayant eu, à l’occasion, des sources utiles, par exemple un membre de l’ambassade du Japon ou des éléments sur la provenance. Cela révèle que Thiers a collectionné par des biais divers. Il a reçu des objets en cadeau, par exemple de la famille de Guignes, qui fournit plusieurs ambassadeurs de France en Chine aux XVIIIe et XIXe siècles (Blanc C., 1884, p. XI). Il achète aussi en vente publique, des objets seuls ou en groupe. Certains proviennent de collections très anciennes comme la collection Denon (Blanc C., 1884, p. IX, 20 et 148). Plusieurs de ses laques japonais ont un historique qui remonte au XVIIIe siècle (L’or du Japon, 2010).

La collection de Thiers continue toutefois de s’enrichir jusqu’à la fin de sa vie avec des objets parfois contemporains. Il possède ainsi deux vases d’émaux cloisonnés qui peuvent être stylistiquement attribués au Japon des années 1870 (Paris, Musée du Louvre, inv. TH 313 et TH 314). De ceci il ressort qu’il n’y a pas de logique à la collection Thiers, ni en termes de série typologique, ni en termes de technique ou de qualité. Elle recèle néanmoins des chefs-d’œuvre ou des raretés dont, semble-t-il, ni Thiers ni Charles Blanc n’avaient conscience. Thiers présente en effet comme des pièces importantes certains objets qualitativement les plus médiocres de la collection tout en ignorant d’autres, infiniment plus importants.

On peut citer à cet égard la bouteille inv. TH 457, l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la porcelaine chinoise dite de famille rose qui porte un poème et la marque de l’empereur Qianlong. La collection comprend aussi un des seuls cloisonnés d’époque Yuan connus à ce jour (inv. TH 310) ou un pot à pinceau en émail cloisonné lui aussi au nom de Qianlong (inv. TH 312) qui est un chef-d’œuvre de cette technique. Par ailleurs la collection comprend une très importante coupe en jade indienne inscrite d’un poème de l’empereur Qianlong. Elle appartient à un groupe d’une centaine d’objets en jade et pierres dures entrées dans les collections impériales chinoises entre 1760 et 1793 par tribu ou cadeau diplomatique, suscitant une véritable passion de l’empereur qui composera des poèmes au sujet de ces pièces qui seront ensuite gravés sur celles-ci (Xu X., 2015). La coupe Thiers est l’un des seuls objets de ce groupe qui ne soient pas conservés au musée du Palais de Taipei ou à la Cité interdite à Pékin.