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Un voyageur invétéré

Riche industriel parisien, Charles Louis Varat (1842-1893) s’éprend très vite de voyages et d’explorations. Dans un contexte de foisonnement des missions ethnographiques orchestrées par le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts – contexte propre à la jeune IIIe République (1870-1940) –, et soutenu par une importante fortune personnelle, celui-ci se fait « explorateur » professionnel et part arpenter les différents continents. Commençant par sillonner la France pour son loisir, il s’attèle ensuite à l’Europe, l’Amérique et l’Afrique du Nord, avant de parcourir le continent asiatique : Inde, Birmanie, Malaisie, Siam, Cambodge, Vietnam, Chine, Mongolie, Japon, Corée et Russie sont autant d’étapes qui ont su enrichir et affiner ses connaissances en matière de géographie et d’ethnologie. Les Archives nationales conservent notamment des traces de ses expéditions en Russie septentrionale et en Sibérie (1886), en Corée (1888), ainsi que dans les pays nordiques (1891) — Hollande, Suède et Finlande. Nommé président de la Société sinico-japonaise en 1891, Charles Varat donnera des conférences à la Société de Géographie ainsi qu’au Congrès des Sociétés savantes, à l’instar de la lecture de son mémoire sur L’organisation religieuse, sociale et administrative de la Corée, tenue à la Sorbonne en avril 1893 (T’oung Pao, 1893, p. 311).

Une expédition en Corée

Pris d’un vif intérêt pour la Corée, et dès le mois d’avril 1888, Charles Varat manifeste auprès du Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts son désir d’en explorer les moindres recoins pour satisfaire sa soif de découvertes. Ce dernier le charge alors d’une mission d’ordre scientifique qui consistera en la quête d’une collection destinée, entre autres, à enrichir les vitrines du musée d’ethnographie du Trocadéro. Aussi, après un détour par le Canada et la Californie – par laquelle il pénètre au Japon puis embarque pour Vladivostok d’où il se rend en Mandchourie et en Chine du Nord, Varat accoste-t-il dans le port coréen de Chemulpo 제물포, l’actuelle Incheon 인천, par le bateau venant de Tchefou 芝罘, ou Yantaï 烟台, dans la province chinoise du Shandong 山東省(Broc N., 1992, p. 432). C’est depuis ce port de la côte occidentale, et dans le courant du mois d’octobre 1888, que Varat gagne enfin Séoul où le consul général de France Victor Collin de Plancy (1853-1924), chargé des affaires de la République à Séoul, lui réserve un accueil chaleureux et l’assiste dans la préparation de son expédition. Charles Varat réside une quinzaine de jours à la légation française de la capitale, où il s’adonne à une observation attentive aussi bien des habitants que de la vie urbaine, et commence sa collecte auprès de marchands locaux. Collin de Plancy entend faciliter l’entreprise de l’explorateur : lui fournissant les lettres de change et les autorisations nécessaires pour mener à bien ses achats, il fait venir négociants et interprètes qui l’aident à juger de l’intérêt ethnographique ou artistique de la marchandise proposée (Brouillet S., 2015, p. 9). Sans tarder, Charles Varat se met en route pour le port méridional de Busan 부산 par la voie de Daegu 대구 et Miryang 밀양시. À la tête d’une petite caravane, il pénètre au cœur de cette terra incognita qu’il s’attache à décrire le plus fidèlement possible. Il publie d’ailleurs le récit de son périple près de quatre ans plus tard dans la revue du Tour du Monde, en cinq parties parues du 7 mai au 4 juin 1892, prémices d’un projet plus vaste qui devait paraître aux éditions Hachette, malencontreusement avorté par son décès survenu subitement à Paris le 22 avril 1893 (Varat C., 1892, p. 289-368). Cet ouvrage devait exposer les « résultats de ses explorations », que Charles Varat avait déjà dévoilés, par bribes, à l’occasion de ses conférences parisiennes. Parvenu jusqu’à Busan, à l’issue de son voyage, Charles Varat regagne la Chine puis la France en passant par l’Indochine, le Siam et l’Inde, son séjour en Corée ayant duré, en tout et pour tout, un mois et demi à peine.

Une collection éclectique et exhaustive

Dès le mois de décembre 1888, Charles Varat annonce au Ministère de l’Instruction Publique l’envoi de quinze caisses « contenant partie de la collection ethnographique [qu’il a] réunie durant [sa] mission en Corée » (AN, F/17/3012/1). Une fois réceptionnées, et de manière concomitante à l’Exposition Universelle de 1889 à Paris, les pièces sont dévoilées au public au Palais du Trocadéro, dans une mise en scène qui se veut à la fois didactique et attractive, pensée par l’explorateur. D’après une note rédigée dans le Tour du Monde de 1892, cette immense collection, offerte à l’État par Charles Varat, aurait rassemblé « près de deux mille numéros » (Varat C., 1892, p. 354). Si l’on ne conserve à ce jour aucune liste de l’ensemble des objets réunis par Charles Varat au gré de ses pérégrinations, on dispose néanmoins d’un recueil de photographies datant de 1889 et conservé à la Bibliothèque nationale de France, qui rend compte de son agencement au Trocadéro. Outre celui-ci, la collection fait l’objet d’un inventaire dressé par le musée Guimet en 1910, qui répertorie, pour sa part, quelque 335 pièces, auxquelles viennent s’ajouter les rares pièces que Charles Varat évoque dans son Voyage en Corée. D’aucuns admireront l’aspect extrêmement composite de cette vaste collection, qui rassemble autant d’objets témoins d’un artisanat propre à la Corée des époques Goryeo 고 —시 — (918-1392) et Joseon 조 —시 — (1392-1910) — céramiques, bronzes, bois sculpté —, que de pièces vouées à illustrer plus largement une culture et une « identité » coréennes – costumes et masques, meubles et peintures bouddhistes ou chamaniques à valeur auspicieuse, bien éloignées de l’esthétique raffinée propre à la peinture de cour des fonctionnaires lettrés (Brouillet S., 2015, p. 118 ; Cambon P., 2015, p. 63). Si la collection tient davantage de l’ethnographie que des beaux-arts, certaines pièces se distinguent toutefois par leur grande finesse artistique ; aussi citera-t-on la statue d’Avalokitesvara à mille bras et aux mille yeux, véritable pièce d’exception réalisée en fonte de fer sous la dynastie Goryeo, et provenant du temple de Tongbang-sa 통방 — (MNAAG, n.inv. 15369), ou encore le Bodhisattva assis sur un lotus, en bronze doré, daté également de la période Goryeo (MNAAG, n.inv. 15258). À celles-ci s’ajoutent des fonds remarquables par leur ampleur, tels que la série des 170 miniatures du peintre de scènes de genre Kim Chun-gun 김준근, dit Kisan 기산, et datées du XIXe siècle, de même que la collection de masques en bois peint, aux profils grimaçants, traditionnellement portés lors de danses populaires et de pièces de théâtre masquées, une coutume fortement ancrée dans le folklore coréen du XVIIIe siècle.

L’exposition coréenne de 1889

C’est dans l’après-midi du 18 septembre 1889, qu’est officiellement inaugurée « l’Exposition Coréenne » que Charles Varat organise dans la galerie d’exposition du Palais du Trocadéro, à l’issue de sa toute récente expédition, éveillant par-là la curiosité du public parisien. Au milieu d’une débandade d’objets « exotiques », celle-ci se propose de mettre en scène de manière pédagogique, au travers de diverses reconstitutions ethnographiques, la vie quotidienne de ce pays que les Occidentaux avaient alors coutume d’appeler la « Terre du calme matinal » (Chaillé-Long-Bey C., 1894), ou encore le « Royaume ermite », contrée jusque-là bien méconnue des Européens. Quel projet plus ambitieux que celui de dresser le panorama de la culture coréenne de la fin de l’époque Joseon (1392-1910) en offrant au regard d’un public néophyte une multitude d’objets ethnographiques en tout genre, rassemblés en une vaste collection éclectique « intéressant les arts, les sciences, l’agriculture, l’industrie, et le commerce » (Le Monde illustré, 1890, p. 106). L’évènement est d’emblée couvert et relayé par la presse de l’époque qui insiste sur la réception favorable que celle-ci suscite, de même que le franc succès qu’elle rapporte en matière d’affluence de visiteurs et de recettes.

L’attribution de la collection au musée Guimet

À l’issue de son exposition temporaire, dès décembre 1889, Charles Varat émet le souhait de prolonger la présentation de sa collection afin d’en garantir un accès pérenne au public. Se mettant en quête d’un musée qui puisse accueillir dans ses salles une telle quantité d’objets, il s’appuie sur l’article du Monde illustré du 15 février 1890 pour mettre en valeur l’intérêt pluriel de sa collection, dont les pièces maîtresses sont mises en lumière au moyen de gravures réalisées d’après les photographies prises à l’occasion de l’exposition. Insistant sur l’intérêt majeur que représente la collection Varat « au point de vue de l’Histoire des Religions » (Archives du MNAAG, Dossier « Charles Varat », s.c.), le Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts l’attribue alors au jeune musée Guimet — qui a ouvert ses portes en 1889, à l’angle de l’avenue d’Iéna et de la rue Boissière —, où les pièces sont transférées en 1891. Au musée Guimet, la collection est confiée aux soins de l’aristocrate coréen Hong Jong-u (1851-1913), assigné au musée par Émile Guimet, sur recommandation de Félix Régamey (1844-1907) à titre de « collaborateur étranger » pour une durée d’un an. Charles Varat et lui s’attèlent ensemble au classement et à l’inventaire de la collection, afin d’en élaborer la disposition dans les salles du musée et d’en rédiger les cartels — composés en français et traduits en hangeul 한 — avec sa transcription française. Pendant deux ans, la galerie de la « Religion et [de l’] ethnographie coréennes » (Musée National des Arts Asiatiques – Guimet, 1996, p. 202) prend ainsi progressivement forme avant d’être finalement inaugurée le 11 avril 1893, au second étage du musée où elle occupe sept salles, proposant au regard curieux du public parisien un aperçu ethnographique exhaustif de la Corée au travers des collections Varat, Collin de Plancy et Steenackers – ces deux dernières collections étant le fruit d’envois et de dons visant à compléter l’ensemble réuni par Varat. La disposition des mannequins et des objets puise en grande partie dans l’agencement de l’exposition du Trocadéro, reprenant un parti pris s’attachant à reconstituer, entre autres, les différentes sphères qui structurent la vie en Corée : les personnages y incarnent tous les âges et les étapes de la vie, de l’enfance aux funérailles en passant par le mariage à travers un savant mélange d’objets autour duquel s’élabore un discours qui se veut ethnologique.

La dislocation de la collection Varat

Dès 1895, l’attribution, sur décision du Ministère de l’Instruction Publique, des armes coréennes qui garnissent la collection Varat au musée de l’Armée ouvre la voie à la dislocation de ce vaste ensemble qui s’étendra, progressivement, sur plusieurs années au travers de divers dépôts successifs. Car en effet, n’étant plus en mesure d’exposer ni de conserver l’intégralité de la collection – et privilégiant désormais davantage les œuvres relevant de l’archéologie et des beaux-arts –, le musée Guimet initie une politique de transfert des objets qu’il estime d’un intérêt moindre, et qu’il confie, entre autres, aux musées d’ethnographie implantés en province. C’est ainsi qu’il se défait d’une grande partie de ce vaste ensemble par le biais de dépôts aux musées de Bordeaux (1904), du Havre (1915) et du Trocadéro (1930, 1943 et 1962), expliquant ainsi l’éclatement actuel de la collection.

Notices liées

Collection / collection d'une personne

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