Skip to main content
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier
21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

La donatrice Alexandrine Leclanché, veuve Dècle

Née le 20 août 1807 à Châteaudun (AD 28, État civil de 1807, registre des naissances, acte no 87, coté 3 E 88/045), Alexandrine Leclanché (1808-1896), veuve Dècle, est la fille de Jean Louis Charles Leclanché (1760-1822) et de Françoise Massé (1776-1850). Son père Charles Leclanché est « visiteur de rôles » en 1792, puis « receveur principal des contributions indirectes », dans sa ville natale de Châteaudun, important propriétaire foncier selon son inventaire après décès (1er août 1822, AD 28, 2 E 15/395).

Le frère d’Alexandrine est l’avocat et homme de lettres Léopold Leclanché (1813-1871) qui s’illustre par la première traduction complète en français de la Vies des peintres, sculpteurs et architectesde GiorgioVasari, entreprise éditoriale (menée de 1839 à 1842) qui le lie au peintre et lithographe Philippe-Auguste Jeanron (1808-1877), éphémère directeur des Musée Nationaux de 1848 à la fin de l’année 1849. Nommé commissaire de la République à Amiens (département de la Somme) en 1848, Léopold Leclanché est révoqué en avril de la même année (Leclanché L., 1848 et Leclanché L., [s. d.]) et prend le chemin de l’exil en Angleterre à l’avènement de Louis-Napoléon. Il y rejoint son ami Alexandre-Auguste Ledru-Rollin (1807-1874) et collabore à l’organe mensuel du Comité central démocratique européen formé par l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire de 1848 : Léopold Leclanché figure en 1850 au nombre des rédacteurs du Proscrit : journal de la République universelle (Brutinel N., 1850). C’est probablement durant ce séjour en Grande-Bretagne que le traducteur de GiorgioVasari et de Benvenuto Cellini contribue au projet de traduction en français des œuvres de William Shakespeare que mène François-Victor Hugo (1828-1873), entre 1859 et 1866. Le fils de Léopold Leclanché et neveu d’Alexandrine est Georges Leclanché (1838-1882), inventeur de la pile électrique et lui-même grand collectionneur d’art de la Renaissance (vente après-décès de 1892, à Paris : Mannheim, C., 1892.).

Alexandrine Leclanché épouse Eléonor Dècle (ou Eléonore selon les sources), né en 1796 à Amiens et décédé en 1870, négociant domicilié 7 rue Neuve-Saint-Eustache à Paris, le 14 mai 1825 à Orléans (AM Orléans, 2E104). La fortune du couple est issue du commerce textile, particulièrement de la laine mérinos, activité d’Eléonor Dècle documentée de 1828 à 1864 par les différents annuaires des commerçants de Paris (Verstraete, N., 2016, p. 29). Elle se fonde aussi sur les placements financiers du couple, dans les années 1860 principalement, ce dont témoigne l’inventaire après-décès d’Eléonore Dècle (AN, MC/ET/XLVII/1040).

Alexandrine Leclanché, veuve Dècle, décède le 27 octobre 1896 à Paris (AP, 9e arrondissement, État civil de 1896, registre des décès, acte no 1090, coté V4E8832).

La collection d’un couple et d’une vie

Ainsi que le précise Alexandrine Leclanché, veuve Dècle (1808-1896), dans une version de son testament du 3 avril 1882 (AN, MC/ET/XCVIII/1309), les biens formant la collection des époux Dècle « ne [leur] sont pas venus d’héritage », mais n’ont été réunis tout au long de l’activité de négoce d’Eléonor Dècle et des investissements du couple sur les marchés financiers Aucune mention dans les archives testamentaires ou la correspondance de la donatrice ne permet de préciser les modalités d’acquisition de cette collection, à l’exception de l’indice très mince d’un Monsieur G. Fournier que désigne Alexandrine Dècle pour être l’un des experts (avec Charles Mannheim) de sa collection à son décès (AN, MC/ET/XCVIII/1309). Marchand d’antiquités, d’objets d’art et de tableaux (Verstraete, N., 2016, p. 43), ce dernier jouera un rôle d’intermédiaire auprès Sèvres au moment de la répartition du legs Dècle (MMMS, 4W669/legs Dècle (1897)/correspondance).

La préparation du legs et le rôle d’Edmond du Sommerard

Les nombreuses versions des testaments et codicilles d’Alexandrine Dècle, qui s’échelonnent de 1870 à 1896 (AN, MC/ET/XCVIII/1309), font apparaître le projet d’un legs au profit d’une institution muséale à partir de 1880, initialement au seul bénéfice du musée de Cluny. Le conservateur Edmond du Sommerard (1817-1885) se charge alors de rechercher les musées susceptibles de recevoir les objets qui ne seraient pas retenus par son institution (en particulier les tableaux et gravures de la collection) et noue en 1884 les premiers liens à ce sujet avec le musée de Dijon (MMAC, legs Dècle). D’autres échanges entre les représentants de la donatrice et la Manufacture de Sèvres sont attestés durant l’année 1890 : le projet alors en discussion d’un legs de porcelaines, faïences, vitraux et émaux (mais aussi de miniatures et d’objets d’orfèvrerie) s’accompagne, de la part d’Alexandrine Dècle, de plusieurs dons anticipés, notamment de pièces de porcelaines européennes (MMMS, 4W669/legs Dècle (1897)/correspondance). Les dispositions testamentaires de 1890 officialisent ce nouveau bénéficiaire du legs, au même titre que le musée des Arts décoratifs de Paris qui apparaît alors pour la première fois.

La répartition du legs ou l’entrée de la collection dans le domaine public

Par son testament du 15 avril et codicille du 7 juin 1892 chez maître Paul Girardin, notaire à Paris (85 rue Richelieu), Alexandrine Leclanché, veuve Dècle, lègue en définitive ses collections en faveur des musées de Cluny, de Sèvres et des Arts décoratifs, ainsi que du musée de Dijon. À ce dernier, reviennent les ouvrages de sa bibliothèque, du mobilier, des bronzes et des objets de décoration dont des « figures et chimères du Japon », deux mappemondes, et tous les tableaux, dessins, gravures, pastels, aquarelles qui se trouvaient dans sa résidence parisienne, 20 rue de Navarin (l’ensemble y est « estimé par les experts de la famille Dècle à 26 770 francs ») et dans sa maison de campagne à Yerres (cet ensemble estimé à 3 162 francs). En outre, 124 objets de porcelaine orientale et occidentale seront refusés par les musées de Cluny (167 numéros retenus au final) et de Sèvres (entrée de 95 numéros), et viennent augmenter le legs au profit de Dijon. Ce dernier (208 numéros) est, dans sa constitution définitive, présenté à la commission du musée dijonnais du 12 novembre 1897 et accepté par le conseil municipal du 27 novembre 1897, dont le rapport précise que « les porcelaines de Japon, Sèvres et Saxe, reprises par la ville, conformément aux dispositions […] du codicille du 7 juin 1792 » ont une valeur « d’environ 10 353 francs ». Le conseil municipal reprend à son compte l’avis de la commission du musée selon laquelle « il conviendrait d’affecter une vitrine spéciale destinée à exposer aux yeux du public les objets de Saxe, Sèvres, Chine et Japon » provenant de ce legs. Le conseil d’administration de l’UCAD entérine quant à lui la réception du legs Dècle (165 entrées à l’inventaire) le 29 octobre 1897, tandis qu’il faut attendre le13 août 1898 pour la signature d’un décret d’acceptation du legs de Mme veuve Dècle par l’État.

Modalités d’exposition de la collection Dècle

Au moment du legs ou même dès les négociations préalables à celui-ci, la présentation des œuvres issues de la collection Dècle est envisagée sous la forme d’une salle d’exposition spécifique à la Manufacture de Sèvres (au musée ou dans une salle de la bibliothèque, à des fins d’études pour les artistes) et au musée de Dijon. En mai 1900, une nouvelle salle de ce dernier — prise sur les salles formant le « musée Trimolet » — est dédiée à la collection Dècle, dans l’aile XIXdu bâtiment : excepté certaines pièces de mobilier et des « bibelots de luxe plutôt que d’art », qui ont été « réservés pour le cabinet de M. le Conservateur» (Chabeuf, H., 1900), cette présentation se compose des tableaux du legs et d’une grande vitrine de plus d’une centaine de céramiques (deux photographies de la vitrine conservées dans la documentation du musée). La collection d’objets d’art (140 pièces) issue du legs Dècle à Dijon montre en effet une prédominance de statuettes et petits groupes en céramique où la porcelaine européenne et celle asiatique (Chine principalement, Japon, et Corée) sont représentées à part comparable (65 entrées sous une provenance d’Asie). L’ensemble des 67 peintures se signale quant à lui à la fois pas sa cohérence et son unité : tableaux des XVIIe et XVIIIsiècle, avec quelques incursions dans le XIXe siècle, de maîtres français, flamands, allemands, et italiens, en majorité de petits formats à l’exception des peintures de Trinquesse (L’Offrande à Vénus, inv. DE 22 et Le Serment à l’amour, inv. DE 23), toujours finement peints, d’une manière volontairement porcelainée, et où dominent les sujets mythologiques ou galants, les scènes de genre et les paysages.